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La folie Shein qui ne débouchera sur rien

En ce moment, c’est la curée contre la plateforme de e-commerce chinoise Shein (et accessoirement de ses consœurs, comme Temu). Elles sont accusées de tous les maux de la terre, et sont sous la menace de se faire bloquer. Tout cela illustre (malheureusement) à merveille le cirque qu’est devenue la politique française.

La plateforme est accusée d’avoir proposé à la vente (sur la place de marché, donc par des vendeurs tiers) des poupées « sexuelles » à l’effigie d’enfants. La pédopornographie, rien de mieux pour discréditer et frapper les esprits, et ce fut effectivement efficace. Puis, pour bien clouer le cercueil, on y a également trouvé des armes de première catégorie (comme les poings américains ou les couteaux papillon). Sauf qu’en cherchant bien dans les archives, et en allant voir chez les autres places de marchés en ligne, on y trouve des choses pas bien reluisantes, et chez tout le monde, Amazon et eBay compris. On se rend alors compte que le problème est structurel, et que les grandes plateformes de e-commerce, qui abritent des vendeurs tiers, ont tout intérêt à ne pas trop regarder ce qu’ils font, car elles ne sont responsables de rien, tant qu’on ne leur a pas signalé. Je suis à peu près certain qu’en tirant encore un peu plus le fil, on peut trouver aussi de la fraude à la TVA et aux différents impôts. On aurait une belle réforme à faire, sur une responsabilisation plus poussée des plateformes, mais on n’est sans doute pas près de la faire.

Il semble donc bien que le sujet était assez largement connu du « petit milieu » qui travaille ou vit en osmose avec ces places de marché. En cherchant bien, on finit toujours par trouver des choses gênantes, et il suffit ensuite d’un gentil signalement à la DGCCRF et accessoirement à quelques médias, qui s’empresseront de publier ça avec de grands bandeaux « exclusif », faisant croire que c’est le résultat de mois d’enquête. Quand on regarde ce qui est arrivé à Shein, on constate que l’affaire éclate quelques jours avant l’ouverture de son premier « corner » physique, au BHV à Paris. On retombe sur un schéma bien connu en politique, le choix stratégique du moment de la divulgation de dossier qu’on a en réserve. C’est typiquement les « affaires » qui sortent, pile poil au moment où un parlementaire devient ministre. C’est le cas de Damien Abad, dont les « dragues lourdes » ne posaient pas problème quand il était député et président de groupe, mais qui deviennent scandaleuses du jour où il entre au gouvernement.

Quand tout sort dans la presse et provoque une « émotion médiatique », l’ensemble de la classe politique se lance dans la surenchère et le lynchage, demandant immédiatement la peine capitale, à savoir l’interdiction et le blocage de l’ensemble du site. Le plus gênant, c’est quand des ministres en exercice découvrent d’un seul coup qu’ils ont des pouvoirs, et décident de les mettre en œuvre devant les caméras. C’est par exemple deux ministres de Bercy, qui décident d’aller à l’aéroport Charles de Gaulle, pour ouvrir des colis arrivés de Chine. Ils s’aperçoivent alors, ô stupeur, d’un taux impressionnant de non-conformités, que ce soit sur la sécurité des produits, sur l’exactitude de la description de ce qui est censé être dans le colis, ou des quantités qui dépassent manifestement le seuil de la « consommation personnelle » pour relever de l’importation illégale. Mais pourquoi donc avoir attendu si longtemps pour s’alarmer de ce qu’il peut y avoir dans les 200 000 colis arrivant tous les jours à Paris, et prétendant tous être des achats de produits conformes à toutes les normes, d’une valeur de moins de 150 euros ?

Toutes ces protestations vociférantes se heurtent toutefois à un petit obstacle juridique, assez gênant pour les politiques. Depuis 2020, en grande partie sous l’impulsion de la France, l’Union européenne s’est dotée d’un impressionnant arsenal juridique de régulation des plateformes numériques. En 2025, l’interdiction d’un plateforme systémique de e-commerce relève quasi-exclusivement de Bruxelles, avec des procédures qui respectent les droits de la défense, et s’accommodent mal du tempo de l’indignation médiatique. Les juges et régulateurs nationaux n’ont que peu de marge de manœuvre, et Shein leur a coupé l’herbe sous le pied en fermant provisoirement la place de marché, ne conservant que les activités de vente en son nom propre. Ne restent que des vociférations impuissantes de politiques, qui sont d’autant plus vocaux qu’ils n’ont pas fait, avant le scandale, ce qui était en leur pouvoir pour que ça n’arrive pas. Exactement la situation de l’Arcom, quand le streamer Jean Pormanove est retrouvé mort lors d’un live en direct. C’est lorsque l’émotion médiatique a surgi, que le régulateur français découvre que, selon le droit européen, c’est l’autorité maltaise qui était compétente pour réguler Kick.

Tout cela n’est pas arrivé à Shein par hasard. Cela fait plusieurs années que son modèle économique de base, la Fast Fashion, dérange. Il est vrai qu’il est écologiquement bien dégueulasse, mais surtout, il fait très massivement concurrence à des acteurs européens et français, que ce soit la filière de la mode qui ne peuvent pas suivre sur les prix, ou les autres e-commerçants, qui ont des charges logistiques importantes, et paient leurs impôts. Bref, Shein faisait de la concurrence pas très loyale, à des acteurs économiques qui sont allés pleurer auprès des pouvoirs publics. Jusqu’à cette histoire de poupées pédopornographiques, la principale mesure envisagée contre Shein et consorts était l’instauration d’une taxe de deux euros sur leurs colis, afin de rétablir un semblant d’équilibre économique avec leurs concurrents, et de leur faire supporter une (petite) partie du coût de traitement logistique de leurs centaines de milliers de colis arrivant tous les jours.

Dernier travers que cette histoire va illustrer : après tout ce bruit et cette fureur, il ne va rien se passer. Des centaines de milliers de colis de fringues de merde (mais pas chères du tout) vont continuer à déferler. Shein ayant probablement de bons avocats, ils ne seront pas bloqués, et dans quelques semaines, avec une bonne purge des vendeurs tiers problématiques (qui reviendront d’ici quelques mois), la place de marché va réouvrir. La grande majorité des français, qui ne connaissaient que le versant « textile » de l’activité de ces plateformes, vont constater la totale absence d’efficacité de leurs dirigeants politiques. Qu’est-ce qu’ils n’ont pas entendu comme bruit et comme fureur dans les médias, et au final, de leur point de vue, strictement rien n’a changé. Tout explication un peu nuancée, même techniquement exacte, est médiatiquement inaudible. C’est exactement ce qu’on a connu l’Arcom, qui peut faire la police des contenus sur les médias audiovisuels, mais pas sur les plateformes. Comment expliquer que vous pouvez coller de grosses amendes à Hanouna pour ses dérapages sur C8, et ne pas pouvoir le faire pour la même chose (en pire) sur Kick ?

Toute cela était pourtant hautement prévisible. Les politiques français se sont dessaisis (pour de bonnes raisons) de leur pouvoir d’édicter les règles sur les plateformes, et ne sont pas donné les moyens de mettre en œuvre ce qui relève de sa compétence. Pour autant, ils ont continué à faire croire à leurs électeurs qu’ils étaient omnipotents, et pouvaient tout régler d’un claquement de doigts.

Pourtant, il aurait été possible de faire les choses de manière plus intelligente. Mais cela aurait nécessité de prendre les choses en main très en amont, en assumant de prendre des décisions politiques. Oui, le modèle économique de Shein et consorts est catastrophique, économiquement et écologiquement, et justifie d’être soit sérieusement règlementé, soit tout simplement interdit de fait, pas quelques pratiques administratives que la France a élevé au rang d’art. Il suffit, non pas de bloquer le site, mais juste de faire une vérification systématique des colis à la hauteur de l’enjeu. Ce n’était pourtant pas compliqué de créer un goulot d’étranglement dans quelques aéroports européens. On aurait alors trouvé des non-conformités permettant de coller des amendes à ces plateformes, et on aurait, au passage, sérieusement rallongé le délai de livraison effectif pour le client. En matière de e-commerce, c’est le meilleur moyen de flinguer un modèle économique.

4 réponses sur « La folie Shein qui ne débouchera sur rien »

Question purement béotienne.

Etant donné que tous les colis Shein/Temu arrivent par avion (je suppose ?), ce serait pas possible de dérouter tout le fret vers un aéroport spécifique sous peine d’interdiction d’atterrissage (par exemple : Le Bourget, Beauvais ou autre à proximité) ?

Cela paraît compliqué de créer un goulot d’étranglement à Roissy ou Orly vu le trafic, mais dans les aéroports de province qui deviennent de toute façon de moins en moins fréquentés avec la baisse de trafic des lignes intérieures, ça resterait envisageable.

Cela ne change rien à la volonté politique et aux moyens afférents cela dit.

Oui, c’est même souhaitable de ne pas encombrer nos aéroports « normaux ». On a doit bien avoir une ancienne base aérienne militaire en déshérence quelque part, loin de tout 🙂

Écoutez on peut se dévouer à Lann Bihoué à Lorient tant que c’est pour mettre des bâtons dans les roues de ses saloperies.

Après, il faut se mettre à la place du consommateur « pauvre ». Ce genre de produits à bas coût se trouvent également dans des commerces physiques qui ont fait des marges XXL (Kiabi pour les vêtements ou Foir fouilles pour la déco), il pense qu’il peut enfin bénéficier de la mondialisation en zappant les intermédiaires. Donc attention en s’attaquant à ces plateformes.

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