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Une forme de résignation

Alors que nous sommes en pleine période de remaniement ministériel, cela ne semble intéresser personne. Pas ou peu de rumeurs, et même les principaux intéressés (ministres, parlementaires et entourages) n’éprouvent pas vraiment de fébrilité. La petite bulle médiatique qui, d’habitude, frétille, semble s’en foutre complètement. C’est assez étrange, et inquiétant.

Sébastien Lecornu semble plutôt bien s’en sortir, en tout cas, il n’a pas débuté par des erreurs monumentales, comme son prédécesseur qui part en jet, pour présider le conseil municipal de Pau, alors qu’un cyclone dévaste Mayotte. Il prend également le temps de consulter, avant de donner des éléments de programme et de constituer son équipe. Attendons de voir ce qu’il en sera, tant de la solidité de la coalition, que du programme et de sa capacité à séduire au delà de sa coalition.

Les différents partenaires potentiels (essentiellement le PS et les syndicats) n’ayant pas eu beaucoup de choses à se mettre sous la dent, ils restent dans l’expectative et maintiennent la pression. C’est de bonne guerre, et pour l’instant, rien d’irréparable n’a été commis, mais rien n’est fait non plus, dans la direction d’une stabilisation et d’une survie du gouvernement Lecornu. Pour l’instant, le PS est sur la réserve, mais à tendance plus négative que positive, avec des exigences élevées.

Dans ce moment de calme au milieu de la tempête, on sent comme une apathie et une forme d’indifférence à ce qui pourrait advenir. De plus en plus se disent que c’est foutu, que Lecornu est arrivé trop tard, et qu’à six mois des municipales, ce serait un suicide politique pour les socialistes que de lui sauver la mise. Ce qui aurait été possible lorsque Bayrou a été nommé, ne l’est peut-être plus aujourd’hui, et que l’habilité de Lecornu ne suffira peut-être pas, car tout ne dépend pas de lui. La falaise est trop proche.

Les esprits commencent déjà à se préparer à une dissolution, qui pourrait amener à une victoire du RN. On sent que cette perspective, effrayante en juin 2024, fait moins peur, certains commençant à dire que ça ne peut pas être pire que l’immobilisme actuel. Il est vrai que depuis début 2024, on en est à notre quatrième gouvernement, que faute de majorité, aucune réforme d’ampleur ne peut être votée, alors même que nos finances publiques sont dans le rouge vif. La fatigue démocratique fait son œuvre.

Je crains les semaines qui arrivent, car la résignation à l’arrivée du RN au pouvoir progresse. Et c’est le fait même de baisser les bras, de renoncer, qui va justement faire que cela pourrait arriver. La faute en reviendrait au bloc central, et au premier chef à Emmanuel Macron, incapable de reprendre la main après l’erreur funeste de la dissolution, et de jouer son rôle de leader. Plus rien de sérieux ne sort du bloc central en termes d’idées, entre un Gabriel Attal adepte des coups de comm’ totalement creux, un Édouard Philippe muet sur le fond, qui ne fait qu’envoyer des cartes postales, et des LR, toujours divisés, qui courent après le RN.

Faire de la politique, c’est rassembler autour d’un programme et d’un leader. Emmanuel Macron l’a réussit en 2017, mais a largement échoué en 2022. Un vide politique s’est formé, et n’a cessé de s’agrandir, par affaiblissement de la Macronie, qui finira bien par être rempli par d’autres. Et ces autres, c’est malheureusement le RN, qui pourraient l’emporter, non pas parce qu’ils sont bons, mais par défaut, par écroulement des autres.

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Le sevrage du présidentialisme

Nous vivons une période politiquement difficile, mais potentiellement salutaire pour notre démocratie. Nous sommes en train de nous sevrer de la culture politique présidentialiste de la Ve République. Comme pour le fumeur en sevrage, c’est difficile, car nous sommes toujours sur des vieux réflexes, à chercher à nous raccrocher à des mécanismes et des habitudes qui ne fonctionnent qu’en période de majorité absolue stable.

Nous sommes déboussolés, mais pourtant, on commence à voir quelques débuts de réflexions et d’évolutions des pratiques. C’est par exemple Laurent Wauquiez qui dit qu’avant de composer un gouvernement, il faudrait peut-être d’abord passer un pacte entre partis, définir le « quoi » avant le « qui ». C’est une évidence pour toutes les « vraies » démocraties parlementaires, et je ne suis pas dupe des arrières-pensées politiciennes de Wauquiez (mettre une peau de banane sous les pieds de Retailleau). Il n’empêche, ça commence à venir, et peut-être que Sébastien Lecornu va essayer de faire quelque chose dans ce sens. Cela sera nécessairement imparfait et insuffisant, car il n’a que 15 jours-3 semaines, alors que dans les autres pays, ça prend 3 mois, et de toute manière, tant que les leaders politiques ont les yeux rivés sur la présidentielle, et donc ne veulent surtout pas se compromettre, il ne se passera rien de sérieux.

On commence également à avoir, très timidement, des débuts de réflexion sur la nécessité d’être fiable et respectueux. Pour l’instant, on constate surtout les dégâts que provoquent leur absence, entre un RN qui prend les concessions, et plante le gouvernement (que ce soit Barnier ou Bayrou), ou encore la majorité, qui s’est bien foutu de la gueule de la gauche avec le « conclave » sur les retraites, en lançant quelque chose en sachant pertinemment que ça finirait en eau de boudin. Il faut arriver à se déshabituer de la drogue dure qu’est le « winner takes all » et l’arrogance qui l’accompagne, où l’opposition est rejetée hors de la sphère décisionnelle (en attendant que les rôles s’inversent, donc sans volonté de changer le système).

Il faut d’abord toucher le fond avant de remonter, il faut un écœurement démocratique, pour se dire qu’on ne trouvera pas de solution en essayant de ressusciter l’ancien système. Je pense qu’on n’a pas fini de creuser, et que les tentatives de fermer la parenthèse vont durer jusqu’au la présidentielle de 2027. Et c’est seulement si ce scrutin ne règle rien, avec par exemple une assemblée sans majorité après la dissolution post-présidentielle, que l’on se résoudra à faire les réformes institutionnelles pour basculer dans un véritable régime parlementaire. On n’aura plus le choix. C’est souvent comme cela qu’on fait les réformes en France, quand on est au pied du mur.

Il n’y a pourtant pas grand chose à changer dans nos mécanismes institutionnels. Un passage à la proportionnelle (la vraie, pas un scrutin majoritaire déguisé), quelques réformes constitutionnelles pour rogner les pouvoirs de l’exécutif face au législatifs, et encadrer les prérogatives présidentielles. Il faudra imposer que le gouvernement, avant d’entrer en fonction, doive obtenir la confiance de l’Assemblée, afin que le Premier ministre tire sa légitimité du Parlement, et pas du président. Il faut revoir les mécanismes tels que le 49.3, le vote bloqué. Au passage, notre procédure parlementaire, complètement obsolètes, doit être revisitée. Les pouvoirs propres du président, à commencer par la dissolution, doivent être bien plus encadrés, et qu’on ne se retrouve plus avec une dissolution surprise pour convenances personnelles. Derrière, bien entendu, il faudra que la culture politique, des citoyens comme de la classe politique, évolue afin de faire vivre les institutions selon un esprit parlementaire. C’est cela le plus important, et la période difficile que nous vivons est essentielle, pour que nous nous disions « plus jamais ça ». Là dessus, on est servi.

Mais en attendant, on va en baver jusqu’à l’été 2027, et ça, ce n’est pas agréable. Mais si on peut commencer à préparer l’après (parce que ça ira vite), ça peut permettre de supporter un peu le dégoût et le découragement démocratique.

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Le jour du tournant

Aujourd’hui, 10 septembre, deux évènements marquants sont à retenir. Le premier est l’escalade du conflit en Europe de l’Est, avec une violation, volontaire et assumée, de l’espace aérien polonais par des drones russes. Le second est la déroulement en France, d’une répétition générale d’émeutes urbaines menée par l’Ultra-gauche.

Le danger pour notre démocratie libérale se rapproche encore un peu plus, à la fois depuis l’extérieur et l’intérieur. Comme par hasard, le même jour, nous avons une passation de pouvoir à Matignon, avec le quatrième Premier ministre en moins de 18 mois, symbole de l’impuissance politique française.

Ce n’est qu’avec le recul que l’on peut fixer, rétrospectivement, le moment clé, celui où l’histoire bascule. C’est souvent un continuum. La seconde guerre mondiale a été précédée d’avertissements : la remilitarisation de la Ruhr, l’Anschluss, le démantèlement de la Tchécoslovaquie acté par les « accords de Munich ». A chaque fois, les nazis ont testé, à chaque fois, on a laissé faire et ils sont allés plus loin. Même après l’attaque de la Pologne, et la déclaration de guerre, l’armée française est restée l’arme au pied, sans prendre l’offensive.

J’ai peur que nous soyons en train de suivre le même chemin, en particulier en France. D’autres pays européens semblent beaucoup plus lucides et se préparent à la guerre. Cela veut dire se réarmer, mais également préparer la population civile à tenir le choc, à rester unis et soudés, et à subir des dommages matériels. Il suffit de regarder ce qui se passe en Ukraine, cela se déroule sous nos yeux. Nous ne sommes absolument pas prêts, en France, à subir cela, et nous semblons même pas conscients que cela peut potentiellement nous arriver d’ici quelques années, voire avant.

L’urgence politique n’est plus nationale, à se regarder le nombril, en crachant sur les ultra-riches, en ressassant nos rancoeurs et en pleurnichant sur les risques de baisse de notre train de vie, depuis longtemps sous perfusion d’argent public. Tout cela pourrait devenir anecdotique et accessoire, et rappelle un peu les byzantins, qui débattaient du sexe des anges, alors que les turcs étaient aux portes de Constantinople.

Il est nécessaire qu’il y ait une prise de conscience et un sursaut national, pour prendre la mesure du danger qui guette le pays. Je ne le vois pas trop venir, même si, de plus en plus, je sens monter cette préoccupation autour de moi. La priorité politique doit être la défense de l’Europe, d’autant plus qu’elle ne peut plus compter sur le parapluie militaire américain pendant au moins encore trois ans.

J’espère que le nouveau Premier ministre, parfaitement au courant de cet enjeu, vu ses anciennes fonctions, saura faire le nécessaire pour amener ce sujet au cœur du débat politique français.

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On n’échappera pas à la taxe Zucman

C’est maintenant quasiment certain que Bayrou va tomber, et sera remplacé par un premier ministre issu du bloc central, dont la mission sera de dealer un accord de non-censure avec le PS sur les textes budgétaires.

Ce parti, qui n’a pas du tout intérêt à une dissolution, a par ailleurs sorti un contre-budget, qui fait office de base de négociation pour cet accord, qui doit être bouclé avant le 15 octobre, moment prévisible de déclenchement d’un 49.3 sur le PLF à l’Assemblée. Si le deal est conclu, la motion de censure ne sera pas adoptée, si le PS ne la vote pas.

Pour que cet accord puisse être conclu, il va falloir que le bloc central fasse des concessions réelles, et que le PS puisse avoir au moins une victoire symbolique importante. Parmi les demandes du PS, certaines sont irréalistes, ne serait-ce que techniquement, comme la suspension de la « réforme des retraites » (en langage clair, le relèvement de l’âge de départ). En revanche la création d’une nouvelle taxe sur les hauts patrimoine serait tout à fait possible, et coche toutes les cases, pour être le point central de la négociation.

La proposition, baptisée « taxe Zucman » est déjà sur la table, et est un objet politiquement et symboliquement identifié. Il y a déjà eu pas mal de communication dessus, elle est « incarnée » avec un économiste dont elle a pris le nom. Elle répond à une demande très forte à gauche de « taxer les riches » et obligerait Emmanuel Macron à manger son chapeau, lui qui a supprimé le symbolique ISF dès son arrivée en 2017.

Que cette taxe rapporte effectivement de l’argent est finalement très secondaire (et de fait, elle ne rapportera pas grand chose), ce qui compte est l’effet symbolique. Le budget 2026 qui s’annonce sera fait de renoncements, de coupes franches, et donc de larmes et de sang. Même le PS le reconnait, en prévoyant une vingtaine de milliards d’économies. Tout le monde va y passer, certains peuvent l’encaisser (les retraités aisés), d’autres moins. S’il n’y a pas un « moteur » à l’acceptation de sacrifices, à savoir que tous, y compris et surtout les « riches » passent aussi à la casserole, il y aura de très gros problèmes d’acceptabilité. Il est donc indispensable d’afficher quelques symboles, si on veut éviter de faire encore monter la température dans la cocotte sociale, déjà bien en surchauffe.

Tous les débats vont donc consister à mettre en scène cette décision qui s’impose, les uns en faisant croire que c’est grâce à eux, les autres en surjouant la déploration pour ne pas perdre le soutien électoral de cette catégorie. En temps « normal », avec de vrais politiques, qui savent jouer ces chorégraphies complexes et bien « raconter » un « narratif politique » crédible, ça passe crème. Malheureusement, la baisse du niveau fait que je ne suis pas certain que le boulot soit fait proprement, ni même que le deal soit conclu.