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Les malfaçons législatives dans toute leur splendeur

Les députés ont examiné, lundi 5 mai, une proposition de loi qui est emblématique de la vacuité de l’activité parlementaire. Un neutron législatif à l’état chimiquement pur !

Cette proposition de loi issue du groupe EPR vise à renforcer le parcours des élèves en situation de handicap. Le coeur du texte est de créer un livret numérique destiné au partage d’informations entre enseignants suivant les élèves en situation de handicap. Sujet tout à fait honorable, mais un peu « de niche » et comme bien souvent, dans le domaine de l’éducation, le contenu en est purement règlementaire. Un décret aurait largement suffit (ce qui aurait permis de demander l’avis de la Cnil).

Mais les parlementaires voulant s’exprimer sur tout, ils ont trouvé le moyen de déposer 74 amendements en commission et 75 en séance (avec le lot habituel d’irrecevables). A l’arrivée, 14 articles, dont certains très bavards, descendant très bas dans l’infrarèglementaire, et 6 articles de demandes de rapports. Le gouvernement n’a pas été en reste, déposant des amendements creux et bavards. Au passage, la ministre en profite pour faire voter la généralisation d’une expérimentation qui a débuté à la rentrée 2024, et n’a donc pas pu faire l’objet de la moindre évaluation. Bref, un cauchemar légistique.

Les députés ont cramé une séance entière sur cette PPL, et pendant ce temps, le gouvernement cherche désespérément des créneaux, pour faire discuter un projet de loi de simplification qui traine depuis un an. La mise en abîme est éloquente.

Cela doit vraiment amener à s’interroger sur l’organisation du travail des assemblées. Il faut en finir avec une organisation complètement obsolète de répartition du temps et revoir les outils. Le but d’un parlementaire est de débattre de sujets politiques, de contrôler l’action du gouvernement et d’écrire la loi. Chaque fonction devrait se faire indépendamment de l’autre, sans instrumentalisation d’un outil, par détournement de sa fonction. Malheureusement, l’outil d’écriture de la loi est trop souvent détourné, pour faire de la politique. Il est nécessaire de trouver d’autres manières, pour que les députés puissent continuer à avoir leurs pastilles vidéos pour réseaux sociaux, sans parasiter l’écriture du droit. L’organisation de « débats » qui ne sont qu’une succession de monologues, lors des semaines de contrôle, n’a pas montré une grande efficacité, que ce soit pour le contrôle de l’action du gouvernement ou l’expression politique. L’examen de résolution (sans portée législative) est une piste plus intéressante, et devrait être davantage creusée.

Sur l’organisation du temps, il y aurait plein de choses à faire. Certains sont déjà mises en œuvre, sans le dire, comme le phagocytage des semaines de contrôle. Pas plus tard qu’en début de mois, l’essentiel d’une semaine de contrôle a été consacrée à un projet de loi (celui sur la simplification). Il faudrait aussi s’attaquer à l’organisation des prises de parole en séance, en cassant le lien mécanique entre amendement et prise de parole. Tout député qui dépose un amendement à droit à deux minutes, quelque soit l’intérêt de sa proposition. C’est véritablement pousse-au-crime sur l’inflation des amendements, et surtout, ça déstructure le débat, certains prenant la parole pour répéter ce que vient de dire son voisin, juste pour ce que soit lui qui le dise, et produire sa capsule vidéo pour les réseaux sociaux.

Il faut également assumer davantage que le travail législatif est structuré par les groupes. Si le dépôt d’amendement en commission peut rester individuel, il faudrait que seuls les groupes politiques, ou un nombre substantiel de députés (au moins 15) puissent le faire en séance, avec des prises de parole structurées, dans un ordre prévu à l’avance. La répartition du travail existe déjà, entre une commission qui écrit le texte législatif et une séance qui est le théâtre où sont mises en scène les postures politiques. Autant aller au bout de la logique, cela fera gagner du temps à tout le monde, rendra les débats politiquement plus lisibles, et on polluera moins les textes législatifs avec les scories que sont les amendements sémantiques et les demandes de rapports.

Pour l’instant, cela reste théorique, car il n’y a pas de majorité à l’Assemblée pour revoir en profondeur le fonctionnement de la machinerie législative. Mais à terme, il faudra bien y arriver.

7 réponses sur « Les malfaçons législatives dans toute leur splendeur »

Depuis le temps que vous proposez ces solutions en disant « à terme il faudra y arriver » et que ça s’enfonce…
Le paquebot législatif me semble être devenu un sous marin non?

On peut aussi interdire les capsules vidéo, puisque cela semble être l’origine de tout. Des députés, pas des vidéastes !

Les débats sont publics (ce qui est essentiel pour une démocratie) et télédiffusés (ce qui est normal, tout le monde ne peut pas être au balcon de l’assemblée), d’où la capsule vidéo de chaque député qui cause, intéressé par la publicité de son action pour son éventuelle réélection.

Question sérieuse : Comment étaient organisés les débats sous la IIIème république quand ils n’étaient retransmis que par la presse écrite ?

Autre piste de réflexion, l’impossibilité de se présenter à une élection dont on a occupé le siège lors du dernier mandat normal, avec 2 exceptions :
– Le conseiller municipal,
– Si il n’y a aucune autre candidature.

Bref, un élu ne pourrait pas exercer 2 mandats consécutifs, ce qui obligerait à travailler en équipes (pour qu’une ou un collègue lui succède plutôt qu’une ou un adversaire), et son action devrait laisser de bons souvenirs durables au public pour être réélu. Cela devrait relativiser grandement, voire marginaliser, les discours creux, les actions inutiles et les postures théâtrales.

Remarque : Le droit d’exercer un mandat est déjà restreint par la parité et le non-cumul des mandats, et cette nouvelle restriction n’empêcherait pas quelqu’un d’exercer successivement deux mandats électifs différents, ou mieux encore, d’alterner entre un travail (patron, salarié, fonctionnaire) et un mandat à temps plein ou partiel.

Je suis vigoureusement contre cette idée. Un élu qui n’a aucune perspective de réélection n’a aucun compte à rendre. C’est la porte ouverte au grand n’importe quoi, puisque le comportement des élus ne serait alors guidé que par leur éthique et l’idée qu’il se font du respect dû à leurs électeurs.

Tout à fait d’accord avec Authueil. Parlementaire c’est un métier complexe qui s’acquiert en plusieurs années. On ne devient pas René Dosières, Gilles Carrez ou Jean Luc Warsmann en 2 ans. Et il faut bien que les politiques ambitieux aient un vrai job pour les nourrir et les faire monter en compétence avant de devenir ministre. Je préfère un ministre de la défense qui a passé 15 ans à la commission défense affaires étrangères que dans une mairie.

La limitation des mandats aurait par contre bcp de sens au niveau local (régions et communes, sauf villages). 2 mandats de 6 ans c’est déjà bien long, on pourrait même passer à 2 x 5.

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