On a coutume de dire que l’Assemblée nationale est le « cœur battant de la démocratie ». Cela dépend du jour, et surtout, cela dépend de qui le dit. En ce moment, l’Assemblée nationale ressemble plus à un cirque, non pas tant par ce qui se passe dans l’hémicycle (encore que…) mais par l’exploitation, dans les médias et les réseaux sociaux, de ce qui s’est passé dans l’hémicycle. Cette semaine en est un exemple parfait.
Jeudi, a eu lieu la journée du groupe LFI, celle où il est en mesure de fixer l’ordre du jour de l’Assemblée. Il faut reconnaitre que, vu les contraintes, le groupe LFI l’a très bien gérée techniquement. Ils ont inscrit 12 textes, en sachant que s’ils arrivent à en passer 3, c’est beau. Donc cela fait 9 textes examinés en commission, mais pas en séance. Mais au moins, ça fait un rapport parlementaire (rédigé avec l’appui d’un administrateur de l’Assemblée) et un débat en commission. Quand, comme pour la commission d’enquête sur les « Uber Files », c’est voué à l’échec, c’est le dosage parfait : on en a parlé dans les médias, c’était le but.
La gestion en séance a également été politiquement et médiatiquement excellente. Elle a permis de faire monter la sauce médiatique sur l’interdiction de la corrida, sujet ô combien clivant (donc médiatiquement visible) et qui permet de caresser dans le sens du poil les électeurs LFI (plutôt végans qu’aficionados). J’ai rarement vu une opération aussi bien menée pour occuper l’espace médiatique sur un texte qui n’a strictement aucune chance de prospérer. Le dosage était même parfait, puisque le texte a été évoqué en séance, mais sans cramer trop de temps (la denrée réellement rare au Parlement). Et cerise sur le gâteau, le retrait de cette proposition de loi a laissé du temps pour une autre proposition, celle sur la réintégration des soignants non vaccinés, autrement plus gênante pour la majorité, car ayant des chances réelles d’être adoptée. Le gouvernement a réussi à s’en sortir, au prix d’une obstruction peu glorieuse (et donc politiquement couteuse).
La journée parlementaire LFI se traduit donc par une série de victoires tactiques : LFI grille la politesse à Renaissance (qui a été beau joueur sur ce coup) sur l’inscription du droit à l’avortement dans la constitution, provoque une belle agitation médiatique sur l’abolition de corrida, et un grand moment de gêne du gouvernement sur les soignants non vaccinés.
Mais cela ne reste qu’une série de victoires tactiques. En 1814, Napoléon a remporté plein de petites batailles contre ses adversaires. Cela ne les a pas empêchés d’entrer dans Paris et de l’envoyer à l’ile d’Elbe.
La vie politique française ne se joue plus dans l’hémicycle de l’Assemblée. Les groupes politiques ont beau essayer de surjouer leurs petites victoires ou leurs esquives, ça ne prend plus. Globalement, les français sont majoritairement indifférents à ce qui se passe au jour le jour, au Palais-Bourbon. Et ils ont raison !
Cela devrait amener les groupes politiques à avoir une réflexion sur la bonne utilisation de la tribune de l’Assemblée. Parfois, c’est important, voire capital, de ne pas rater l’occasion de faire trébucher le gouvernement. Parfois, c’est une perte de temps (et d’énergie) de s’acharner. Au moment où j’écris ces lignes, se déroule un débat sur une motion de censure, déposée par LFI, après le énième 49.3 utilisé par le gouvernement sur le PLFSS.
L’impact politique de ce débat, un vendredi soir entre 21h30 et 23h est à peu près nul, et son issue est courue d’avance : il n’y aura pas 289 députés présents pour la voter. Médiatiquement, elle passera inaperçue, car on va surtout y entendre la répétition d’arguments et d’éléments de langage déjà entendus. En revanche, elle a un coût, pour l’ensemble des personnes (parlementaires, fonctionnaires, journalistes, et les quelques citoyens devant leur écran d’ordinateur) qui crament leur vendredi soir à suivre ce triste spectacle.
Oui, l’hémicycle peut être une chambre d’écho politique formidable, à condition de savoir l’utiliser à bon escient. Les oppositions (en particulier LFI) ne semblent pas encore l’avoir compris et c’est problématique pour le bon fonctionnement de la démocratie représentative. En usant et abusant de la ficelle parlementaire, on dévalorise l’institution, qui n’en a franchement pas besoin.
Quoi qu’ils en disent, la gauche n’a pas gagné les élections, et depuis 6 mois, même avec une majorité relative, le gouvernement Borne arrive, globalement, à gouverner et faire passer ses textes. Il serait temps pour les oppositions d’en prendre acte, et de passer à d’autres formes d’actions politiques, moins nocives pour la démocratie représentative.