Le scandale politique du moment porte sur le démarrage, lent, de la campagne de vaccination, en France, contre le Covid 19. Un sujet dont les politiques d’opposition s’emparent, avec parmi les angles d’attaques, celui de critiquer la bureaucratie. Le démarrage de la campagne serait entravé par des prescriptions bureaucratiques absurdes, imposées par les technocrates du ministère de la Santé.
Cela illustre, assez bien, l’un des problèmes majeurs de la France, celui de la déconnexion des élites (cette fois-ci administratives).
Dans ce dossier, les responsables administratifs de la santé publique en France ont le sentiment d’avoir fait leur travail. Il existe différents vaccins, avec des modes d’administration différents, et des effets secondaires pas toujours bien connus. Si pour la plupart des gens, il n’y aura pas de soucis, et un rapport avantage/inconvénient très positif (le vaccin les rendra moins malade que le Covid 19), on aura toujours quelques cas problématiques. C’est statistiquement inévitable. Or, il existe en France une mouvance anti-vaccin (et plus globalement anti-science) assez enracinée et influente, pour qu’il faille tenir compte du risque d’instrumentalisation militante de ces quelques cas problématiques. L’autre risque, identifié par les responsables administratifs, est celui des recours en justice, contre les décisions, puis ensuite, les poursuites pénales de la part des « cas problématiques ».
Ils ont donc choisi de bien ficeler l’opération, en écrivant tout, dans de long documents, très complets (45 pages pour le protocole de vaccination en Ehpad). De leur point de vue, tout est dans les clous, les risques ont été évalués, et traités.
Sauf que…
Depuis maintenant neuf mois, la population est en souffrance, du fait des restrictions de vie sociale, des risques économiques, de l’incertitude de l’avenir. Les français n’ont qu’une envie, c’est de revenir à une situation « normale », c’est à dire celle d’avant. Et ils ont parfaitement compris que cela ne sera possible qu’avec l’immunité collective qui procurera une très vaste campagne de vaccination. La pression est donc énorme.
Et que voient les français, en regardant la télévision ? Que nos voisins allemands et britanniques ont atteint des chiffres importants de personnes vaccinées, dépassant le million, là où nous n’avons pas dépassé le millier. La procédure suivie est parfaite, conforme à tous les standards de « bonne gouvernance » mais le résultat n’est pas au rendez-vous.
A partir de là, toute explication technique, sur le manque de résultat, est totalement inaudible devant la frustration sociale. C’est d’autant plus inaudible que les dirigeants du pays ne disposent pas de la confiance de la population. Le gouvernement se retrouve pris en tenaille, car la position, techniquement justifiée, de son administration, n’est pas recevable aux yeux de leurs électeurs (dont dépend leur maintien en poste). S’enferrer dans la défense de la politique choisie, la prudence et la recherche du « meilleur résultat possible » ne peut qu’aggraver les choses. On ne va pas tarder à voir apparaitre (si ce n’est déjà fait) des théories complotistes indiquant qu’en fait, si le gouvernement français attend, c’est volontairement, parce qu’il est de mèche avec l’industrie pharmaceutique, pour faire monter les prix ou je ne sais quelle autre raison.
Tout cela vient, en partie, de la dépolitisation des élites politico-administratives, qui prennent des décisions en fonction de paramètres qui excluent largement la prise en compte des ressentis et des demandes exprimés par les populations. Un exemple, dans un tout autre domaine, la lutte contre le chômage. Cela fait bientôt 40 ans que la France connait un important chômage structurel, et n’arrive pas à le résorber. Cela vient du fait qu’en dépit des promesses, rien n’est réellement fait pour le traiter, car il ne touche pas les élites et leurs proches, et que les arbitrages politiques sont en faveur de l’ouverture du commerce (et donc de la destructions d’emplois peu qualifiés en France). Non seulement, les français se rendent bien compte qu’on n’écoute pas leurs demandes, mais en plus, on se moque d’eux. Quand en 1995, Jacques Chirac fait campagne sur la fracture sociale, et enchaîne avec une purge libérale administrée par un Premier ministre technocratique et sûr de lui, cela fait des dégâts sur le long terme.
Ce refus des dirigeants du pays de mener des politiques répondant clairement aux demandes de la population, notamment sa composante la plus modeste, amène à la création d’un fossé de défiance, qui aggrave encore plus la situation du pays, et la gestion des périodes délicates. Les gilets jaunes ont été un avertissement très clair de la colère de la base, et du fait qu’ils n’espèrent plus que les choses changent de l’intérieur.
Une fois de plus, sans prise de conscience, par ceux qui dirigent le pays, qu’il faut changer radicalement les paramètres de la décision publique, on va vers un risque politique majeur. Arrivera un moment où une majorité jugera que l’aventure populiste, ça ne sera pas pire que ce qu’il vivent avec les élites technocratiques.
4 réponses sur « Haro sur la bureaucratie »
Bonjour et bonne année.
Vous avez raison sur le diagnostic mais tort sur les symptômes. Le fiasco des vaccins c’est d’avoir une guerre de retard. On cherche à copier ce qu’il aurait peut être fallu faire pour un autre vaccin, alors que c’est aberrant dans ce cas ci. C’est comme la doctrine de l’offensive face aux mitrailleuses et la ligne maginot face aux blindés et aux avions: toujours une guerre de retard. L’administration est un monastère où se transmet le savoir faire de génération en génération (et donc souvent obsolète), pas une université capable de prospective.
C’est ça le pb de la haute administration, c’est d’être un vase clos hermétique à ce qui se fait réellement dans le privé et à l’international, plus que l’entre soi et la reproduction sociale. La plupart des énarques, dégoutés du terrain par leur stage en préfecture, n’y remettent jamais les pieds. Et leur apolitisme les dispense de « jouer leur peau » comme les hauts fonctionnaires américains (spoil system et skin in the game). Comme ils n’ont pas de responsabilité politique, ils n’ont pas non plus de légitimité pour prendre des décisions politiques non arbitrées.
L’actualité américaine du jour semble donner corps à votre conclusion.
Mais, sans mandat impératif, comment forcer les élus à mettre en oeuvre les politiques voulues ? Pour canaliser les expressions, et s’assurer de la participation de tous et de la légitimité des représentants, le vote obligatoire ne serait-il pas une solution ?
Encore bonne année !
La polémique de décembre c’est plutôt que cela allait trop vite…
Les vaccins sont arrivés plus vite qu’attendue !
Il me semble qu’en France le « retard » (c’est une « course » de longue haleine…) soit plus le résultats de décisions politiques (privilégier les EHPAD, formaliser le recueil du consentement, passer par l’intermédiaire d’un comité de citoyens) que technique. Arrêtons de tout mettre sur la haute administration, qui n’a quasiment plus de marge de manoeuvre.
Les hauts fonctionnaires méritent sans doute d’être décriés (?). Néanmoins, je pense que c’est de plus haut que vient le choix de penser prioritairement aux personnes qui ne veulent pas se faire vacciner, et d’oublier la majorité des gens. C’est du même endroit que vient la décision de recourir aux services de trois cabinets de conseil. On aimerait savoir qui, au bout du compte, est coupable de quoi. Enfin, nos politiques et nos hauts fonctionnaires sont d’accord pour tout faire pour être responsables sans jamais être coupables de rien – objectif dont je parierais qu’ils le partagent avec les cabinets de conseil. Enfin (bis), la frontière entre privé et public paraît parfois bien floue, tel fonctionnaire pouvant devenir banquier avant de se retrouver un job public, puis, sans doute, de finir dans un cabinet financier…
Par ailleurs, j’aimerais bien en savoir un peu plus sur les raisons pour lesquelles le passage des énarques par les préfectures laisse de si terribles séquelles (réf au post de dedenn).
Et tous mes vœux pour 2021.