Le climatologue Jean Jouzel se plaint, dans une interview aux Echos, de l’accueil « glacial » qu’il aurait reçu aux universités d’été du Medef. Il dit en avoir « marre » de « l’inaction des élus ». Il illustre parfaitement l’un des travers des « climatologistes », qui militent pour que la lutte contre le réchauffement climatique soit la priorité absolue, celui du recours systématique à l’argument d’autorité.
Ils expliquent que la science a maintenant parfaitement documenté qu’il existe un phénomène de changement climatique accéléré, causé par l’activité humaine. Les conséquences concrètes sont déjà là, avec une augmentation visible des épisodes climatiques extrêmes. Ils en déduisent qu’au vu des conséquences pour les sociétés humaines, la priorité absolue des politiques publiques doit porter sur le réduction des émissions de carbone, sans discussion possible. Toute objection est disqualifiée d’office.
Le lien entre le constat scientifique, et les décisions politiques à prendre, est présenté comme une évidence mécanique, qui ne doit même pas faire l’objet d’un débat. C’est là que le bât blesse, car les choix politiques doivent toujours faire l’objet de débats, quand bien même leur issue ne fait pas trop de doute, car ils sont importants pour l’acceptation des décisions (et éventuellement des sacrifices afférant). Éluder les débats est une grave erreur, surtout ici, où l’ampleur des changements préconisés par les scientifiques, est énorme, avec un impact très profond sur les modes de vie et les imaginaires individuels et collectifs.
La première question, qui semble un impensé total, est de savoir s’il est effectivement souhaitable de faire un effort, qui pèse sur nous, pour le bénéfice d’autres peuples (car le problème est planétaire). Ce questionnement, très politique, renvoie aux conceptions que l’on a de la solidarité. Il peut se résumer, de manière très brutale : Est-ce que nous sommes prêts à renoncer à notre niveau de vie, à notre puissance économique, pour que des peuples étrangers ne soient pas trop impactés par les catastrophes climatiques ? Quel est notre degré d’égoïsme ? Est-ce que les efforts fournis sont uniquement dus au fait que nous pourrions subir, indirectement, les conséquences des catastrophes touchant d’autres peuples ? Mettre cette question sur la table peut amener à des surprises et des désagréments pour ceux qui misent sur l’humanisme et la solidarité !
A supposer que la solidarité (humaniste et intéressée) soit majoritaire chez nous, le deuxième sujet est celui de la réciprocité. Je veux bien faire des efforts, à condition que le monde entier en fasse autant. Pas question de supporter des sacrifices au delà de ce que je pollue, et de payer pour les autres, qui ne font aucun effort. Or, des pays parmi les plus émetteurs de carbone, ne semblent pas faire beaucoup d’efforts, comme par exemple, la Chine, les USA ou l’Inde. Dans ces pays, le point d’équilibre politique n’est pas le même entre développement économique, confort de la population face aux catastrophes, et solidarité avec le reste de la planète.
Si on poursuit le chemin, une fois qu’on a accepté de faire des efforts et à quel niveau, arrive un troisième débat : qui doit concrètement supporter les efforts ? Quelle clé de répartition ? Il est tout aussi explosif que les autres, car tout le monde se sent légitime à y participer et à regarder l’assiette de son voisin en estimant qu’il est plus préservé, et que c’est donc injuste.
Les oppositions et inerties dont se plaignent les climétologues peuvent venir des différentes échelles, et être des réponses détournées à des questions qui n’ont pas été posées. Ou qui ont été posées de manière à ce que seule la réponse attendue soit possible, ce qui revient au même.
Ce n’est pas du tout un hasard si le climatoscepticisme fleurit à mesure que va sur la droite de l’échiquier politique. Contester la science et ses constats est une manière d’exprimer une position politique de refus de la solidarité avec les peuples étrangers. La position de Trump, qui allie isolationnisme, haine de l’étranger et climatoscepticisme est profondément cohérente. Il dit juste qu’il n’en a rien à faire ce que peuvent subir les autres peuples, et qu’il n’hésitera pas à utiliser la force pour protéger son pays des conséquences potentielles de ce que subissent ces peuples (comme par exemple les réfugiés climatiques). L’extrême-droite européenne ne pense pas autre chose, mais ce serait malséant de le dire comme ça, donc cela passe par des biais.
La résistance des entreprises vient plutôt du deuxième segment. Oui aux efforts, mais qui doivent s’arrêter dès qu’on se tire une balle dans le pied face aux concurrents internationaux. Pour les grands groupes français (Total par exemple), la compétition est mondiale et féroce. Se désavantager en faisant des efforts et sacrifices auxquels ne sont pas soumis leurs concurrents directs, c’est juste du suicide. On perd de la souveraineté, de la richesse et du pouvoir, sans faire avancer en rien la cause climatique.
Les résistances « populaires » peuvent emprunter au premier segment, mais sont également alimentées par la question de la répartition de l’effort. Les « Gilets jaunes », c’est une révolte de classes populaires qui estiment qu’on fait trop porter les efforts sur eux, et pas assez sur d’autres, qui pourtant leur semblent avoir plus de moyens. La France, pays de l’égalitarisme forcené et de la haine du riche, est un terreau particulièrement fertile pour ces débats, parfois très stériles (par exemple l’interdiction des jets privés).
L’erreur fondamentale des « climatologistes » est de considérer que ces débats n’ont pas lieu d’être, ou qu’ils sont tranchés d’office, dans le sens qui leur convient, au regard de l’importance qu’ils accordent à ce problème. Dans une démocratie, où il faut convaincre et trouver des consensus, une telle attitude n’est pas acceptable et ne peut que provoquer des frictions et des oppositions.