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La réformette des retraites

Depuis quelques semaines, la vie politique et médiatique française se focalise autour de la réforme des retraites. J’ai un peu de mal à comprendre cet engouement, car quand on regarde sur le fond, c’est une petite réforme, purement financière et paramétrique. Elle n’est en rien systémique, comme pouvait l’être celle de 2020 avec la basculement vers un système par points.

Quand on regarde ce que propose le gouvernement Borne, c’est essentiellement de décaler l’âge de départ, afin d’assurer un équilibre financier. L’argument s’entend, notre système par répartition étant très sensible aux évolutions démographiques. Si le nombre de bénéficiaires augmente (la durée de vie est plus longue) et que derrière, du fait d’un creux démographique dans les naissances, on risque d’avoir moins de payeurs, il faut bien réajuster le système. C’est d’ailleurs pour cela qu’on a régulièrement des « réformes des retraites ». Cela peut certes être désagréable de voir sa charge financière augmenter, ou sa pension de retraite s’éroder, mais il n’y a aucune surprise pour ceux qui connaissent un tant soit peu le système (qui ne peut pas avoir que des avantages pour tout le monde). En tout cas, il n’y a rien à mes yeux qui ne justifie vraiment d’aller jusqu’à bloquer le pays, à moins que tout cela ne soit le prétexte à l’expression d’une opposition purement politique et idéologique (mais c’est un autre sujet).

Mais on ne touche pas (pour l’instant) aux fondamentaux du système, et en particulier sa base, son caractère universel et obligatoire. Oui, notre système de retraite est une pyramide de Ponzi, mais elle tient car elle est obligatoire, et maintient à la marge les systèmes de retraite par capitalisation. Vous pouvez parfaitement vous faire votre complément de retraite, à coté du système par répartition (on peut même prévoir quelques aides fiscales) mais c’est en plus, et en aucun cas en remplacement du système par répartition. Tant que ce verrou tient, je ne suis pas inquiet pour l’avenir, et je sais que j’aurai une retraite dont le montant dépendra uniquement de la situation de la démographie (le rapport cotisant/ayant-droit) avec quelques corrections financières pour équilibrer la répartition de la charge.

Contrairement à 2020, les modalités de calcul des droits à pension ne sont pas concernés. Ce débat est intéressant, car il ouvre celui des inégalités de carrières, et propose des formules permettant une souplesse dans les rattrapages de ceux qui n’ont pas pu, pour une raison ou une autre, cotiser suffisamment à un moment de leur carrière, pour atteindre les critères leur permettant de toucher une retraite à taux plein. Cette fois-ci, on n’a même plus de ce débat.

J’ai donc suivi ce sujet avec une assez profonde indifférence, et un paquet de popcorn, car tout cela relevait beaucoup plus du spectacle que du débat de fond. S’il y a pu y avoir des débats de fond intéressant sur l’emploi des séniors et la souffrance au travail ou encore les choix de vie, tout cela ne valait pas le grand barouf politique et médiatique qui a été fait.

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La tartufferie politique française

Hier soir, à l’occasion de la réforme des retraites, Adrien Quatennens a pris la parole dans l’hémicycle. C’est la première fois, depuis son retour, après sa condamnation pour violences conjugales.

Comme il fallait s’en douter, vu l’ambiance survoltée causée par cette réforme des retraites, cela a provoqué un incident de séance, les députés de la majorité ne manquant pas de remuer ce couteau dans la plaie de LFI, surjouant l’indignation.

Cet incident fut aussi l’occasion de voir que malgré cette condamnation, obtenue sur reconnaissance de culpabilité, le groupe politique de la France insoumise continue à soutenir Adrien Quatennens et à le considérer comme l’un des siens. Même s’il a été officiellement exclu du groupe, il continue à siéger à la même place dans l’hémicycle, et bénéficie du soutien moral de ses camarades. Et dans quelques semaines, il réintègrera officiellement le groupe. Tout comme Julien Bayou, qui vient de terminer hier, discrètement, une période de « mise en retrait » provoquée par des faits similaires.

Cela permet de constater que la politique en France, c’est de la tartufferie, où chacun à tour de rôle, joue les vierges effarouchées ou la tortue, façon légion romaine en position de défense. Ces mêmes qui s’indignent qu’Adrien Quatennens n’ait pas démissionné, faisaient bloc autour de Damien Abad, il y a quelques mois, quand il était sous le coup des attaques de la France insoumise, pour des accusations de violences sexuelles.

Au final, on se rend compte qu’en politique, ce qui prime, c’est la conquête des places, du pouvoir, et que la défense du clan est une priorité. Quand bien même la faute est patente, voire en contradiction flagrante avec les « valeurs » défendues, il faut quand même faire bloc, et lancer les opérations pour « sauver le soldat X ».

Les valeurs, c’est accessoire. Et c’est là qu’est le problème, car les citoyens qui s’engagent en politique pour des idées, sans objectif de carrière ou d’exercice direct du pouvoir, ne peuvent qu’être écœurés par de telles attitudes. Comment être surpris de la désaffection des citoyens pour leur classe politique, quand ils voient que non seulement, ils ne sont pas capables de « faire le ménage » dans leurs rangs, mais qu’en plus, ils n’en ont, en fait, aucune envie.

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La réforme des retraites va être votée

Aujourd’hui, débute le cirque parlementaire autour de la réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron. Je parle de cirque, car il y a beaucoup d’esbrouffe et de communication autour d’un texte qui a toutes les chances d’être adopté, le gouvernement ayant tous les outils. Le seul vrai enjeu, pour Elisabeth Borne (et elle sera jugée sur ça) c’est d’arriver à le faire de manière à peu près propre.

En effet, il s’agit d’un texte financier, donc hors quota en termes d’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution. Le gouvernement gardera son joker. Et en plus, la procédure de l’article 47-1 de la Constitution impose des délais stricts, où le temps joue pour le gouvernement. Même si la jurisprudence peut sembler un peu floue, sur la possibilité de faire valoir ces délais sur un texte rectificatif (car leur finalité est de permettre l’adoption des budgets, discutés à l’automne, avant le 31 décembre), le conseil constitutionnel n’ira pas jusqu’à censurer sur cette base. Si jamais il se prononce sur ce point, ce sera pour donner, en creux, la jurisprudence, pour les prochaines fois.

Qu’il y ait un texte voté, ou pas, par les députés, n’est pas techniquement gênant (démocratiquement, c’est autre chose). Le seul véritable sujet, pour le gouvernement, est de faire adopter le texte devant les sénateurs. Ces derniers sont suffisamment malins pour ne pas jouer le drama de l’obstruction. Le texte sera discuté et voté dans les temps, et bien entendu, complètement réécrit s’il le faut. Après, commencera la discussion avec le gouvernement, pour une issue « propre » ou dans le bruit, la fureur, et le passage en force.

Lors de la commission mixte paritaire, si un deal est conclu avec la majorité sénatoriale, la CMP sera conclusive. Si ce n’est pas le cas, le gouvernement pourra toujours dégainer le 49.3 en nouvelle lecture à l’Assemblée, et faire passer en force son texte. Cette dernière option, bien que techniquement tout à fait opérationnelle, risque d’entacher politiquement la légitimité de cette reforme, et donc d’augmenter l’agitation sociale.

Amis commentateurs et journalistes, pas la peine de passer vos journées (et surtout vos nuits) devant les débats de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas là que ça se passe, à part des grands numéros de cirque. Gardez des forces pour l’examen au Sénat. Dès le passage en commission (qui durera une matinée, guère plus), on saura à quoi s’en tenir.

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Le bavardage législatif dans toute sa splendeur

Se plaindre de la complexité du droit est devenu une litanie depuis plusieurs décennies, qui sert notamment à justifier de voter régulièrement des « lois de simplification » (dont l’effet simplificateur reste à prouver). Il existe pourtant une méthode simple pour traiter cette inflation législative, qui consiste à s’abstenir de produire de la loi bavarde et inutile.

Le groupe Renaissance de l’Assemblée nationale vient de nous offrir un magnifique cas d’étude de ce phénomène de « loi bavarde » dont on pourrait se dispenser, avec cette proposition de loi relative à la prévention de l’exposition excessive des enfants aux écrans.

La quasi-totalité des mesures préconisées pourraient sans difficulté être mise en œuvre sans avoir à faire une loi. L’article 1er, par exemple, propose de créer une plateforme d’information à destination des parents, et d’intégrer le sujet des écrans, à la formation des personnels de la petite enfance.

Ce texte rajoute également des obligations, enquiquinantes pour les professionnels tout en étant parfaitement inefficaces, comme placer des mentions sur les emballages des ordinateurs et tablettes, pour informer des dangers de la surexposition aux écrans, ou encore dans les publicités pour ces produits. Ces recommandations seraient même inscrites dans le carnet de grossesse (article 2). Bien entendu, un comité théodule serait chargé de gérer tout cela, sous l’autorité des présidents de conseils départementaux.

On ne frôle même plus le ridicule, on y est en plein. Et je n’ai aucun doute que cette proposition de loi va générer plusieurs centaines d’amendements, de tous les bords.

Ce drame législatif et légistique pourrait se résumer en un proverbe : « quand on n’a qu’un marteau, tous les problèmes sont des clous ». Derrière cette proposition de loi, il y a beaucoup plus une envie de débattre, d’exprimer des positions politiques, que de légiférer. Mais au Parlement français, bien que l’outil existe pour ces débats purement politiques (cela s’appelle les résolutions), c’est encore par le biais d’une proposition de loi que tout se fait. Car ce qui est en jeu ici, ce n’est pas de modifier la loi, mais d’obtenir une visibilité médiatique, pour parler d’un sujet offrant une belle visibilité.

C’est ce détournement même de l’objet de la loi qui est l’une des sources de l’inflation législative et de l’obésité des textes. Au final, cela affaiblit la loi, et c’est le législateur qui en est le premier et le principal responsable, avec les médias, qui relaient complaisamment ces débats, et « poussent au crime » des élus en quête de postures.

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Faut-il avoir peur de ChatGPT ?

L’intelligence artificielle vient de franchir un nouveau palier, non pas tellement technique (encore que…) mais psychologique, avec ChatGPT. Ce programme est une IA conversationnelle, qui répond aux questions et est capable d’écrire des textes, avec des résultats assez bluffants. Dernier « exploit » en date, l’IA a obtenu, avec un très classement, un MBA du Wharton College.

L’utilisation de l’IA pour un certain nombre de tâches « mécaniques » n’est pas nouveau. Dans le journalisme, cela fait quelques temps que des articles comme les résultats sportifs ou les cours de bourse sont écrits par une IA, avec moins d’erreurs que lorsque c’est traité par un humain. En médecine, le métier de radiologue est appelé à disparaitre (ou à changer radicalement à court terme) car une IA est bien meilleure qu’un regard humain pour décrypter des images de scanners ou un fond d’oeil.

Le vrai choc, c’est que l’IA soit désormais à la portée du grand public, et que celui-ci prend conscience que cela va avoir des effets pour de nombreux usages, et donc sur de nombreuses professions. On est probablement au début d’une accélération de l’utilisation « courante » de l’intelligence artificielle.

Très rapidement, les recherches documentaires vont passer par ce canal. Les bibliothécaires et documentalistes vont devoir changer radicalement leur pratique professionnelle. Pareil pour les notaires, où les actes seront rédigés en mode semi-automatique, car il suffira de brancher l’IA sur un certain nombre de bases de données (celle de l’Etat-civil ou de la publicité foncière, par exemple). Et je ne parle même pas du métier d’enseignant, quand les élèves ont accès à un outil qui réussit mieux qu’eux les exercices demandés à la maison. Les exemples sont légion.

Il faudra quelques mois/années pour que les applications et modifications techniques permettent une fluidité d’utilisation, et cela viendra peut-être plus vite qu’on ne pense. Les modèles économiques sont là et la technologie vient de montrer qu’elle est globalement à la hauteur pour un certain nombre de tâches.

Est-ce un bien ou un mal ? C’est toujours la question qui se pose, quand on est saisi par le vertige en prenant conscience qu’un changement technologique aussi radical est désormais opérationnel et efficace à grand échelle.

La question est à la fois importante, mais également assez théorique. C’est désormais une règle connue : « tout ce qui est technologiquement possible sera mis en œuvre » et il faut des résistances et des refus éthiques et sociétaux très forts pour bloquer des usages. L’accueil fait à ChatGPT montre qu’il n’y a pas de refus, mais plutôt un enthousiasme, qui rendra toute diabolisation totalement inaudible.

Plutôt que de rester sur ce débat philosophique et déjà tranché, mieux vaut se pencher sur des sujets plus concrets, mais encore plus cruciaux, à savoir le contrôle technologique du fonctionnement (les biais, les sources d’information, les failles de sécurité) et la régulation des usages, profession par profession (la question est immédiate et brulante pour les enseignants).

Le premier sujet est de comprendre comment fonctionnent ces IA (il y en aura plusieurs), ce qu’elles peuvent bien faire, et les tâches qu’il est délicat de leur confier. Ces logiciels sont de fabrication humaine, avec des biais, en fonction de leur programmation initiale, des données qu’on leur a fournit pour s’entrainer. Leur utilisation dans une chaîne de valeur implique une confiance qui reste à construire. Se pose aussi le bon équilibre homme/machine : qu’est-ce qui doit rester dans le champ d’une décision humaine ? Qu’est-ce qui peut être délégué à la machine ? Cela pose des questions passionnantes, mais avec des enjeux sociaux cruciaux, car derrière, ce sont des fonctions et des professions qui vont être bouleversées, avec un risque très réel « d’uberisation » des plus précaires et des moins formés, dans les tâches où l’IA sera plus performantes que l’humain.

Viendra ensuite le moment où il faudra « réguler » et où le législateur va se mêler de poser des interdictions ou des contrôles. C’est là que ça risque de devenir « sportif », car les changements apportés par l’utilisation massive des IA va faire des gagnants et des perdants. La régulation politique risque d’être, non pas une réponse aux enjeux technologiques (comme posés ci-dessus), mais une réponse à la détresse de perdants qui pèsent électoralement, et vont chercher une régulation qui soit avant tout un protectionnisme, pour conserver leurs emplois, ou éviter d’avoir à se former plus vite qu’ils ne le peuvent ou ne le souhaitent.

Connaissant le « législateur » français, c’est de cette deuxième étape que j’ai un peu peur, davantage que de ChatGPT…

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L’heure des clarifications pour la Nupes

Le Congrès du PS est le premier vrai test de la solidité de la forme d’union de la gauche appelée Nupes. En effet, à l’issue du scrutin interne (qui s’est joué sur cette question), le sortant Olivier Faure, fervent partisan de l’alliance, est réélu de justesse, avec un parti fracturé, une moitié des 22 000 votants étant soit hostiles, soient réticents à la Nupes.

Ces tensions étaient prévisibles et attendues, et pour tout dire « normales » tant l’alliance a été conclue de manière rapide et ambiguë, dans un contexte de cartel électoral. La Nupes est née, non pas entourée de bonnes fées, mais de non-dits et d’arrières pensées. Si on veut que l’alliance perdure, à un moment, il faut purger tout cela. Le parti socialiste étant le plus gêné aux entournures, c’est logique qu’il ouvre le bal des clarifications.

Les urnes ont parlé et le constat est clair, Olivier Faure a encore beaucoup de boulot pour faire adopter la Nupes au PS. Un travail à deux faces. En externe, pour faire en sorte que les alliés (LFI en particulier) mettent de l’eau dans leur vin sur les points programmatiques ou tactiques qui irritent le plus au PS. En interne, pour faire admettre à la partie réticente que finalement, une Nupes adoucie et recentrée est dans l’intérêt du PS et de la gauche.

Les obstacles sont nombreux, des deux cotés. En externe, amener LFI à infléchir sa ligne et faire des compromis n’a rien d’évident. Il faut d’abord trouver les « bons interlocuteurs » dans une formation politique où la guerre de succession fait rage. Faire admettre à un parti qui s’est construit sur des postures de radicalité, qu’il faut s’adoucir, ne va pas de soi, surtout quand ce parti est persuadé qu’il doit son succès à cette radicalité.

En interne, c’est encore pire, car les adversaires d’Olivier Faure ne sont pas prêt de digérer une défaite sur le fil, et commencent à contester sa légitimité. Le risque d’un PS ingouvernable et cacophonique est réel, car les opposants ne peuvent pas quitter le parti, faute de moyens (c’est Olivier Faure qui tient la structure bénéficiant du financement public) et faute d’espace politique. Il lui faudra aussi tenir compte des egos et ambitions personnelles de grands barons locaux, en particulier ceux qui ont soutenu Mayer-Rossignol. On ne gomme pas d’un trait de plume et une culture politique et des pratiques historiques.

Toutefois, rien n’est perdu pour Olivier Faure, qui est à la tête d’une moitié homogène et soudée du PS, face à un ensemble hétéroclite d’opposants, pas tous sur la même ligne pour la Nupes (il y avait une motion clairement anti-Nupes, et une autre, simplement réticente), avec sans doute pas mal de positionnements tactiques en vue de récupérer des places en cas de victoire du challenger. Une fois la poussière retombée, qu’il faudra avancer et bosser sur le fond, on verra sans doute des mouvements vers Faure, probablement aidés par une habile politique de distribution de postes et de remplissage de gamelles.

L’histoire de la gauche est une longue suite de psychodrames, parfois incompréhensibles pour les non-initiés, suivis de spectaculaires réconciliations. Attendons la suite, mais normalement, la Nupes devrait sortir plus renforcée qu’affaiblie de ce congrès du PS.

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L’improbable réforme des institutions

L’actualité politique semble connaitre un léger frémissement, concernant la réforme des institutions, promise par Emmanuel Macron, mais au point mort depuis six mois.

Alors même que la commission d’experts annoncée pour l’automne n’est toujours pas nommée, voilà que le patron du parti du président mandate deux « experts » avec des propositions à formuler pour février et que les universitaires sortent du bois, sur une temporalité plus longue (la rentrée de septembre).

Tuons le suspense tout de suite, cette réforme des institutions ne se fera pas encore cette fois-ci. Aucune condition n’est réunie pour un aboutissement, et je pense que beaucoup en sont conscients, d’où ce retard à l’allumage, et cette occupation du terrain par des seconds couteaux. L’objectif est de sauver la face, en faisant semblant de faire quelque chose.

Pour mener à bien une réforme constitutionnelle, il faut déjà poser clairement les enjeux, et rester dans le cadre d’une commande politique claire. La discussion technique n’est ensuite que la mise en œuvre juridique des objectifs politiques qui font consensus.

Pour l’instant, il n’y a pas d’objectifs politiques. Que veut Emmanuel Macron sur ce sujet des institutions ? On n’en sait pas grand chose, et c’est bien pour cela que les propositions partent dans tous les sens, avec des préconisations purement techniques, sans la moindre vision politique. Si la vision est la même que celle avancée en 2017, et qui n’a pas pu aboutir alors qu’il avait une majorité absolue, il n’y a aucune chance que cela prospère maintenant qu’il n’a plus qu’une majorité relative.

Car en plus d’une absence de vision, il n’y a pas de consensus politique, vu les écarts énormes entre les différents partis. Aucune chance d’avoir un texte conforme entre les deux assemblées, et une majorité des trois cinquième au Congrès (un référendum serait à haut risque politique pour Macron).

Si c’est éventuellement possible d’avoir des accords sur des petits sujets consensuels (comme l’inscription du droit à l’avortement dans la Constitution), sur les institutions, ce n’est même pas la peine d’essayer. Et je n’ose imaginer le bourbier qui sera la discussion à l’Assemblée, avec des montagnes d’amendements qui partent dans tous les sens. Le souvenir des débats de 2018, avant même que tout parte en vrille avec l’affaire Benalla, est suffisamment traumatisant pour donner envie d’y retourner. Et cette fois-ci, ce n’est pas 17 insoumis, mais 75, qui seront dans l’hémicycle, bien décidés à défendre leur projet constitutionnel de VIe république.

Si cela ne suffisait pas pour flinguer le projet, la dernière étape serait délicate, car politiquement, le seul accord possible serait « majorité présidentielle + LR ». Politiquement, c’est loin d’être fait, car je vois pas l’intérêt d’un accord pour le parti désormais dirigé par Eric Ciotti, et encore moins pour Gérard Larcher et Bruno Retailleau. Mathématiquement, cet attelage (s’il ne manque absolument aucune voix) fait tout juste trois cinquième. La barre est à 555 voix, et la totalité de la majorité présidentielle (assemblée et Sénat) et de la majorité sénatoriale (LR-UC-Indépendants) c’est 552. Autant dire que même en allant gratter chez les non-inscrits, c’est très chaud.

Inutile, donc, de perdre du temps sur le sujet, rien ne se passera avant 2027.

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Le piège du « quoi qu’il en coûte » se referme

La réforme des retraites, qui est lancée par le gouvernement, pourrait se révéler une bérézina politique historique. Sur un sujet historiquement casse-gueule, le gouvernement n’a politiquement rien préparé. Surtout, il n’a pas compris que le « quoi-qu’il-en-coûte » a été un changement de paradigme dans la perception des réformes par les français. On a bien sauvé l’économie à coup de centaines de milliards en 2020, on peut bien faire la même chose pour les retraites !

Le premier étage de la fusée est l’absence totale de « vision politique » sur cette réforme. Il n’y a aucun récit, aucune projection sur le futur expliquant pourquoi c’est essentiel de la faire. Croire qu’on peut faire passer une réforme qui touche à un totem, l’âge du départ à la retraite, sur des bases uniquement comptables, c’est prendre un gros risque. Sauver l’équilibre du système des retraites, ça préoccupe surtout les retraités, qui voient avec inquiétude la perspective d’un manque de financement qui entrainerait une baisse de leurs pensions. Mais ça ne fait pas rêver les actifs, et certainement pas les jeunes en début de carrière. S’il n’y a pas de lien avec un projet de société, ça ne peut pas aller loin.

Le deuxième point de friction est l’absence de « pédagogie ». Aucun travail de conviction n’a été fait, le sujet arrive maintenant sans préparation médiatique et politique. Bayrou, qui est un politique expérimenté, s’en est ému avant les fêtes. C’est vrai que c’est difficile de faire de la pédagogie, quand la veille des annonces, certains points ne sont pas encore arbitrés. Compliqué, pour ceux qui n’ont pas trop suivi les débats, de « s’approprier » cette réforme, en examinant si ce qui a été finalement arrêté leur convient. Le texte va passer comme un TGV, avec des annonces politiques le 10 janvier, un passage en conseil des ministres le 23 et un examen en commission à l’Assemblée le 30 janvier. La méthode retenue est très clairement le passage en force, et mentionner des « concertations » relève de la vaste blague.

Le troisième point est l’isolement politique du gouvernement. La gauche est vent debout et unie contre la réforme avec des messages très politiques. Le RN est dans les mêmes dispositions et Macron n’a rien à en attendre. Le seul allié de la majorité, c’est LR, et ça reste bien fragile. Numériquement, cet appoint suffit à peine, et la désunion au sein du parti ne garantit pas que toutes les voix seront au rendez-vous. Et surtout, la manière dont ce ralliement est présenté donne vraiment l’impression d’un achat de vote, d’un ralliement non pas par conviction, mais contre des concessions. Si la vague monte contre la réforme, et que les LR sentent qu’ils peuvent être entrainés dans le naufrage, ils risquent de quitter bien vite le navire.

Le piège est donc largement ouvert, pour que le gouvernement se heurte à un rejet massif de cette réforme, qu’il devra à sa propre incohérence. Si le gouvernement a mis en place le « quoi qu’il en coûte » face à la crise du Covid, vient de cramer plusieurs dizaines de milliards d’euros dans des boucliers tarifaires sur l’énergie, pourquoi n’est-il pas capable de le faire aussi pour sauver le système de retraite ?

Le « quoi qu’il en coûte » est un piège, car c’est un aller-simple. Toute tentative de retour en arrière est à très haut risque politique, car une fois qu’on a branché une perfusion d’argent public, le pays y prend goût et ne comprendrait pas pourquoi cela s’arrêterait, alors que ça fonctionne si bien…

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La non-succession de Mélenchon est un problème

Le conclave insoumis a tranché, ce sera Manuel Bompard qui reprendra les rennes de la « coordination » de la mouvance insoumise après la mise en retrait forcée d’Adrien Quatennens (le dauphin de cœur de Jean-Luc). Une désignation qui suscite les aigreurs des autres héritiers potentiels du vieillissant chef charismatique, qui craignent de se voir écarter d’un pouvoir auquel ils ont été associés jusqu’ici. Ce n’est qu’un épisode d’un long feuilleton, qui risque de n’aboutir à rien, ce qui est problématique pour la démocratie.

La France insoumise s’est construite autour de la personnalité de Jean-Luc Mélenchon, comme le Macronisme s’est construit autour d’Emmanuel Macron, et le Lepenisme autour d’une lignée familiale (père, fille, petit-fils par alliance). Du fait de liquéfaction des idéologies politiques, les structures partisanes ne peuvent plus se bâtir autour d’idées et de programmes, mais autour de personnalités charismatiques, qui fédèrent une mouvance. C’est ce que n’a pas compris le PS, qui continue à croire que le programme doit primer sur les personnes, et qui en est arrivé à un score de 1,75% qui n’est absolument pas un accident.

Pour qu’un relais soit pris, il faut qu’un nouveau leader charismatique émerge, et s’impose. Soit il est préparé en amont, et arrive à s’entendre à peu près avec le leader charismatique en poste (cas du RN, jusqu’ici), soit il émerge sur un champ de ruine, après le départ définitif du leader charismatique précédent.

On est clairement partis pour la deuxième option chez LFI, où le leader charismatique, même s’il a pris un peu de recul sur l’opérationnel, est toujours bien présent en coulisse et continue à tirer les ficelles. N’ayant pas de dauphin qui s’impose d’évidence (aucun de ses lieutenants n’est à la hauteur), il laisse s’installer une forme de guerre de succession larvée, où le « diviser pour régner » lui permet de continuer à être le chef. Cela pourrait l’arranger, car c’est le genre d’animal politique qui ne quittera vraiment la vie politique qu’une fois entre quatre planches. Le risque est qu’après son départ définitif, ce qu’il a construit se délite, et que la force d’entrainement de gauche passe à une autre mouvance, et que de moteur, LFI devienne satellite. C’est probablement ce qui va leur arriver, reste qui sera le prochain « leader charismatique » de la gauche et surtout quand il arrivera à émerger. Pas certain du tout que ce soit fait pour 2027.

En attendant, nous allons avoir un triste spectacle, où des seconds couteaux se déchiquètent, pour le plus grand désarroi des militants. Cela pourrait même être dangereux pour la démocratie si la Macronie se met à entrer dans le même processus.

Le véritable piège est que sur les trois blocs qui structurent désormais la vie politique, deux soient en crise de leadership en même temps en 2027 : un Mélenchon, trop vieux pour se présenter, mais sans héritier faisant le poids et l’unanimité, un Macron qui ne peut pas se représenter, et flingue le seul dauphin ayant la carrure (Édouard Philippe).

En politique, parfois, ce n’est pas le meilleur qui gagne, mais le moins mauvais, et surtout, le moins désuni. Le but n’est pas tant de prendre des électeurs à ses concurrents que de faire le plein de ses propres voix. A ce jeu, je vous laisse deviner qui ramasse le morceau à la prochaine présidentielle…

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La prévention des conflits d’intérêts pourrait nuire à la démocratie

Jean Castex, ancien Premier ministre, a été nommé à la tête de la RATP. Ayant été en poste au gouvernement moins de trois ans avant sa nomination, celle-ci est soumise à l’avis de la haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP). Elle a émis un avis favorable, sous réserve que Jean Castex ne prenne pas contact, de sa propre initiative, avec les ministres qui étaient en poste dans son gouvernement, à savoir la Première ministre (par ailleurs ancienne patronne de la RATP), le ministre des Transports et le ministre du Budget. En clair, ses trois « ministres de tutelle ».

Tout cela est complètement ridicule. Le patron d’une grande entreprise de ce type a besoin d’avoir des relations fluides avec le gouvernement et les administrations centrales. Si ce n’est pas Jean Castex qui passera les appels, c’est son directeur de cabinet qui le fera à sa place, et on arrivera au même résultat, au prix de contorsions et de faux-semblants qui ne tromperont personne.

Croire que les relations nouées par Jean Castex avec certains ministres, du fait qu’il ait été leur supérieur hiérarchique quelques mois auparavant, vont créer un avantage indu pour la RATP est tout aussi ridicule. La véritable relation de pouvoir qui compte, celle avec Macron, n’est pas incluse dans le périmètre des interdictions ! Si le choix, pour ce poste sensible est difficile, s’est porté sur un ancien premier ministre, c’est probablement parce que le fait d’avoir été à Matignon est un atout, qui sera bénéfique pour la RATP, entreprise publique en situation de monopole.

Cela montre à quel point la manière dont on traite les conflits d’intérêts potentiels des personnes qui ont exercé des charges publiques est mal pensée, et donc globalement inefficace. Certes, le dispositif actuel permet d’éviter quelques recasages problématiques, comme cet ancien ministre des transports qui aurait voulu passer directement au comité exécutif du plus gros armateur français.

Le vrai sujet n’est pas le contrôle « ex ante » où on intervient, avant même qu’il se passe quelque chose, mais dans le contrôle « ex post » où on passe voir après, si effectivement, il y a eu un usage abusif d’une ancienne position ministérielle au profit d’intérêts particuliers. Malheureusement, ce contrôle est quasiment inexistant, et ne peut reposer que sur la vérification que les interdictions formelles édictées par la HATVP n’ont pas été violées. Bref, il suffit d’être assez malin, pour ne pas prendre directement les contacts soi-même, pour faire des petites magouilles en toute tranquillité. En revanche, on met en insécurité nombre de personnes, qui vont respecter une éthique scrupuleuse, et n’abuseront pas de l’influence donnée par leurs anciennes fonctions, et risquent de se voir reprocher un coup de fil anodin, avec une personne qu’il ne fallait pas contacter directement.

Le souci avec les conflits d’intérêts, c’est qu’ils ne sont pas, en soi, un problème. Il s’agit juste d’une situation où, potentiellement, on peut faire prévaloir un intérêt privé par rapport à l’intérêt général. Normalement, quand on n’est plus ministre, on n’est plus en charge de l’intérêt général. En revanche, on peut utiliser les contacts, les connaissances, et l’aura liée à l’ancienne fonction, pour en faire bénéficier des employeurs privés. Le fait qu’on ne puisse pas, directement, prendre contact avec certaines personnes, ne change pas grand chose, et ne gêne pas vraiment celui qui veut mal faire.

Imposer des règles aussi tatillonnes est juste un obstacle à la poursuite de carrière d’un certain nombre de personnes ayant occupé de hautes fonctions. Qu’il y ait une surveillance pour éviter les scandales est tout à fait normal, mais cela ne doit pas non plus fermer trop de portes pour les anciens élus et décideurs. Là où il faut être ferme, c’est en cas d’abus avéré, et malheureusement, aucun dispositif n’est prévu, pour enquêter et sanctionner.

Se lancer dans une carrière politique représente un coût, en exposition publique (les déclarations d’intérêt et de patrimoine), en sacrifices de la vie sociale et familiale. Si en plus, les revenus sont plafonnés (et à un niveau nettement inférieur à ce que cette même personne pourrait gagner dans le privé) et qu’on est entravé pour la suite de sa carrière, qui va vouloir se lancer ? Le problème est réel, et déjà sensible, notamment à l’Assemblée nationale et dans les cabinets ministériels et c’est potentiellement dangereux pour notre démocratie.