Catégories
Non classé

Le combat de l’écriture inclusive est une impasse

Le Sénat vient d’adopter une proposition de loi visant à interdire l’écriture dite « inclusive » dans les documents officiels. Il s’agit d’un texte purement politique, où la droite sénatoriale s’est fait plaisir. En droit, il est purement inapplicable, faute de définir très précisément ce qui est concrètement interdit, et surtout faute de sanction en cas de manquement.

L’intérêt de ce texte est purement politique, car cet épisode, qui a fait couler beaucoup d’encre (et ce n’est pas fini) illustre parfaitement les enjeux et les impasses de ce débat. Ce combat autour de l’écriture inclusive est un leurre, qui nuit à la cause de l’égalité Femmes-Hommes.

La promotion de l’écriture inclusive relève clairement du militantisme politique, avec tous ses travers. C’est un combat autour d’un symbole, permettant à ceux qui le promeuvent, d’avoir de la visibilité, de la bonne conscience en ayant le sentiment (trompeur) d’avoir fait quelque chose.

L’écriture inclusive ne devrait être qu’un outil, destiné à faire avancer une cause, celle de l’égalité femmes-hommes. Malheureusement, comme cela arrive parfois, le moyen finit par devenir une fin en soi. Le proverbe « quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » trouve encore ici une belle illustration.

Les enjeux de l’égalité femmes-hommes sont énormes. Ce n’est rien de moins que la redistribution du pouvoir dans la société (dans toutes ses dimensions) et c’est sans doute pour cela que des réticences, voire des résistances s’expriment. Disperser ses forces dans des combats périphériques ne peut que desservir la cause, surtout quand l’objet du combat ne fait pas consensus chez ceux qui, par ailleurs, seraient enclins à soutenir cette cause.

Plusieurs points dérangent profondément dans ce combat pour l’écriture inclusive, et offrent des prises aux opposants, qui ont parfaitement compris qu’hystériser sur ce symbole, permet de mieux lutter en faveur du véritable enjeu : conserver le pouvoir.

Il existe chez les défenseurs de l’écriture inclusive toute une frange d’activistes de la déconstruction du genre, qui peuvent aller anthropologiquement très loin et susciter bien des réticences. Cette minorité radicale (très visible et vocale) prône la fin de la notion même de genre, ou alors qu’elle soit déconnectée des différences physiques et sexuelles. Un combat d’intellectuels urbains diplômés, loin d’être compris et encore plus loin d’être accepté. C’est un peu le dilemme de toutes les causes, les plus radicaux sont à la fois des moteurs dans la construction idéologique et des boulets pour l’acceptation majoritaire.

Le deuxième sujet est l’instrumentalisation d’un bien commun, la langue, au profit d’une cause politique. On est sur un autre niveau, où on peut estimer que les militants d’une cause, aussi légitime et « juste » soit-elle, doivent rester dans certaines limites. Je fais partie de ceux qui estiment qu’il existe des « biens communs » qui doivent être préservés d’une appropriation militante, pour justement, rester « communs ». C’est par exemple l’interdiction d’affichage sur les bâtiments publics, afin de préserver leur neutralité. J’ai toujours été choqué par les grandes banderoles, que l’on voit sur certaines mairies, pour défense d’une cause particulière (même si sur le fond, je suis pour cette cause).

Le langage fait aussi partie des biens communs, et vouloir forcer des usages heurte et divise. La langue est une chose vivante, qui évolue, mais cela doit se faire dans le consensus, qui prend du temps. Elle ne s’impose pas, mais ne doit pas non plus faire l’objet d’interdictions.

En se lançant dans un combat qui divise et clive, au lieu de rassembler, les partisans de l’écriture inclusive nuisent à la cause de l’égalité hommes-femmes. Il serait temps qu’ils s’en rendent compte, et qu’ils comprennent qu’il faut savoir choisir ses combats : ce qui sert à souder un noyau militant, nuit pour obtenir un soutien majoritaire dans la population. Au final, cela fait le jeu de ceux qui veulent que rien ne bouge.

Catégories
Non classé

Le psychodrame du projet de loi Immigration

Depuis quelques semaines, les médias en font des caisses sur le projet de loi relatif à l’immigration, allant même jusqu’à se poser la question d’une éventuelle crise politique. Tout cela n’est que de la mousse, et au final, on finira encore par un « tout ça pour ça… » car le texte va passer sans encombres et actera juste le recul politique de LR, qui sera le cocu de l’affaire. En mettant toutes ses billes sur ce texte, LR prend un gros risque politique, celui d’être finalement humilié.

Le sujet est hautement symbolique, notamment pour LR, dont c’est à peu près le seul totem sur lequel il est encore visible, et surtout, sur lequel il y a globalement un accord interne. Ce consensus vient tout simplement du fait que le parti s’est vidé de ses modérés, et qu’il ne reste plus que des durs, qui sont en train de faire du parti une antichambre du RN quand Marine Le Pen sera aux portes du pouvoir. D’où l’agitation fébrile, et la fixette sur l’article relatif à la régulation des sans-papiers travaillant dans les métiers en tension.

Le passage au Sénat va être surtout l’occasion de mesurer la perte de pouvoir du LR. En effet, le groupe centriste a marqué sa nette différence avec LR, en prenant une position sur laquelle le gouvernement peut se retrouver (un léger durcissement, mais pas de rupture). C’est l’occasion idéale, pour son président des centristes, Hervé Marseille, d’acter officiellement sa montée en puissance politique. Lors des débats, la gauche se ralliera sans trop de mal à une position qui certes, est encore trop dure pour elle, mais moins pire que celle dictée par LR. Et puis pourquoi se priver du plaisir de faire battre LR et d’humilier un peu son très droitier président de groupe ?

On aura donc, à la sortie du Sénat, un texte globalement acceptable pour le gouvernement et pour l’aile gauche de sa majorité à l’Assemblée, qui elle aussi, s’est beaucoup excitée sur le symbole de la régularisation des travailleurs des métiers en tension. Il suffira, à l’Assemblée, de convaincre à gauche (PS) et chez les modérés (LIOT), qu’il y a l’occasion de donner une belle claque à LR. Leur abstention suffit pour que ça passe. De toute manière, même si le texte qui sort de l’Assemblée est un peu baroque, la commission mixte paritaire se chargera de remettre tout cela d’aplomb. Le seul vrai souci, pour le gouvernement, c’est le vote sur les conclusions de la CMP à l’Assemblée, où à défaut de majorité, il faudrait dégainer le 49.3 . Ce serait alors médiatiquement gênant, mais pas problématique, les socialistes ayant d’ores et déjà annoncé qu’ils ne voteraient pas une éventuelle motion de censure LR déposée à cette occasion. Le gouvernement Borne ne tombera pas cette fois-ci.

Sur le fond, ce texte n’a aucune importance. Il y a une loi immigration en moyenne tous les deux ans, et le droit des étrangers est tellement bordélisé et mal foutu, qu’il fonctionne en autonomie. Le système est largement entre les mains des préfets, qui régularisent (ou pas), qui appliquent (ou pas) les décisions d’expulsion, en fonction de leur bon vouloir et des contingences pragmatiques. La France, qui est par ailleurs un pays d’immigration depuis au moins 150 ans, a besoin de ces travailleurs sans-papiers, pour faire le sale boulot que les « nationaux » ne veulent plus faire. Donc on ne les expulsera pas. Mais comme les patrons peuvent aussi avoir un coté « Thénardier », maintenir la pression sur l’éventuelle régularisation permet de moins bien les payer, et de la faire bosser dans des conditions pas forcément très dignes.

Le principal point noir pour les sans-papiers, ce n’est pas la loi en tant que telle, mais l’organisation des services préfectoraux chargés de traiter leurs dossiers. On aura donc, au pire, une loi encore un peu plus baroque que les précédentes, mais ça ne changera pas grand chose sur le terrain, en attendant la prochaine loi. Et tout va continuer comme avant, sans amélioration réelle pour les principaux concernés. En revanche, la classe politique (médias compris) se sera fait plaisir.

Tout cela est assez symptomatique, malheureusement, de ce qu’est devenu la vie politique : beaucoup de mousse autour des symboles, mais une prise assez limitée sur le réel.

Catégories
Non classé

Le problème de l’ancrage territorial des élus

Plus de 300 parlementaires demandent le rétablissement de la réserve parlementaire, afin, disent-ils, de rétablir une forme « d’ancrage territorial » pour les parlementaires. Une mauvaise solution pour un vrai problème.

Députés et sénateurs sont élus dans le cadre d’une circonscription clairement définie, où ils sont en compétition, au scrutin majoritaire pour les députés, et pour certains sénateurs, à une proportionnelle qui ressemble pas mal au scrutin majoritaire. Il est donc nécessaire, pour être élu et réélu, d’être identifié et de « peser » localement. Or, avec la suppression du cumul des mandats, les parlementaires ne peuvent plus avoir un exécutif local, ils ne peuvent être que simples conseillers municipaux, départementaux ou régionaux.

De ce fait, les parlementaires ont été quasiment exclus du système politique local. Ils le sentent d’ailleurs très bien, les élus locaux, et pire, la société civile locale n’a plus besoin d’eux, sauf comme soutien pour faire avancer des dossiers à Paris. Ils n’ont plus accès à l’information, ne sont pas forcément invités à tout. Le risque est donc grand, pour un sortant, d’être « invisibilisé » localement, et de voir surgir face à lui, un pilier du système politique local, qui lui, en revanche, est parfaitement identifié et connu de la population et du tissu associatif local.

D’où cette volonté des élus de se doter d’un outil qui puisse les rendre à nouveau « utiles » localement (par des subventions) et donc visibles (car présents en bonne place aux inaugurations et assemblées générales d’associations subventionnées).

Cela présente toutefois des effets pervers. Le premier est conceptuel. Il n’y a aucun lien intellectuellement crédible entre la fonction de membre délibérant d’une assemblée parlementaire et celle de distributeur de fonds. Cela n’entre absolument pas dans le rôle d’un député ou d’un sénateur, qui est de voter les lois et de contrôler l’action du gouvernement. On peut tourner la chose dans tous les sens, rien n’y fait.

Le deuxième est déontologique. La réserve parlementaire est un outil clientéliste, qui permet de financer qui on veut, sous réserve de quelques règles de forme et de remplir un dossier. On peut par exemple donner des subventions de fonctionnement à des associations, ou aider une commune sur un investissement. La répartition de la dernière cuvée de la réserve parlementaire, en 2016, montre bien son caractère très éclectique. Il y a même eu quelques dérapages, un député donnant par exemple 60 000 euros à une association domiciliée à … sa permanence et dont il était le président ! Cela s’est vu et il a été condamné, mais pour un qui se fait prendre, combien sont passés entre les mailles du filet ?

D’autres solutions existent, comme par exemple changer le mode de scrutin, pour que les parlementaires soient moins dépendants d’un « ancrage local » qu’ils n’ont plus les moyens de cultiver. La solution est évident de passer à la proportionnelle, dans un cadre régional. Certes, cela peut avoir d’autres inconvénients, mais au moins, on soulage les parlementaires de la tâche harassante et chronophage de parcourir de long en large leur circonscription. Surtout pour ce que ça leur apporte d’être ainsi « à l’écoute du terrain », vu que les décisions, à Paris, se prennent largement sans eux et sans franchement tenir compte des informations et retours qui viennent du « terrain ».

La classe politique nationale est largement hors sol depuis la fin du cumul des mandats et le renforcement des règles concernant les conflits d’intérêts (qui interdisent, de fait, les activités professionnelles annexes). Vouloir mettre un sparadrap sur une jambe de bois ne sert à rien, il faut aller au bout de la réforme, et réinventer une nouvelle manière d’exercer un mandat de député et de sénateur.

Le premier axe est d’en finir avec le mythe du député individuel, élu sur son nom, et détenteur d’une légitimité propre. Ce qui compte, dans une élection, c’est l’investiture et l’étiquette. Le poids personnel d’un candidat lui permet, éventuellement, de gagner quelques points (qui peuvent permettre de passer la barre des 50%), mais c’est assez marginal. Il suffit de voir les biquettes qui ont pu être élus en 2017, rien qu’en mettant la tête de Macron sur leurs affiches, ou encore des sortants non réinvestis, qui pensaient être réélus sans étiquette, et qui mordent la poussière. La vie politique et parlementaire est collective, et c’est au niveau des groupes et des partis que doivent se situer l’écoute du terrain et le traitement adéquat de l’information qui remonte. Les parlementaires peuvent jouer ce rôle, mais n’en ont pas le monopole.

Le deuxième axe est de revoir les mythes et récits autour du mandat parlementaire. Il existe une différence abyssale entre ce qui est perçu par le grand public, et la réalité. Certains élus de 2017 en ont fait l’expérience, tombant de très haut, au point de déserter en nombre. Être député ou sénateur ne donne aucun pouvoir propre, si on veut avoir une prise concrète sur la réalité, il faut entrer dans un exécutif, national (ministre) ou local (maire, président ou vice-président de collectivité). Savoir exactement à quoi on s’engage permet d’éviter les déceptions, car cette tentative de réinstaurer la réserve parlementaire tient aussi d’une tentative de reconstruire un passé mythique.

Le troisième axe est de revoir drastiquement la procédure parlementaire, qui représente actuellement un degré d’inefficacité important au regard du temps passé et de l’énergie déployée. Surtout quand c’est pour avoir, souvent, un produit fini qui est loin d’être à la hauteur. Une entreprise qui aurait de tels process de fabrication serait en faillite depuis longtemps. Tout ce temps et cette énergie seraient certainement mieux employés à traiter les dossiers au fond, à rencontrer les interlocuteurs pertinents. C’est d’autant plus nécessaire qu’une baisse du niveau des députés est observable depuis 2017, et oblige à travailler encore plus, pour acquérir les compétences que les élus d’autrefois avaient déjà en débutant leur mandat.

Catégories
Non classé

L’échec annoncé des États généraux de l’information

Un nouveau processus consultatif s’est lancé, début octobre, les Etats généraux de l’information (EGI). Une illustration supplémentaire, et concrète, du mirage de la démocratie participative en France. Tout est en place pour avoir beaucoup de discussions, plus ou moins publiques (et potentiellement intellectuellement intéressantes), entre « usual suspects » du secteur, qui ne déboucherons sur pas grand chose.

Le sujet abordé est important, celui de la qualité de l’information, du fonctionnement des médias, et de leur avenir. Les thématiques sont nombreuses, et on va sans doute avoir des publications et réflexions intéressantes. Mais de là à ce que ça influence les décisions réelles… Le dispositif mis en place souffre d’un certain nombre de handicaps, qui me laissent pessimiste sur le débouché.

Le premier est le très faible portage politique. Annoncés par Emmanuel Macron pendant sa campagne présidentielle, ils ont mis plus d’un an à être lancés, et sans grand enthousiasme. Aucun évènement en présence du président, ni même d’un membre du gouvernement. La ministre de la Culture, qui a la presse et les médias dans son périmètre, ne semble pas s’y être particulièrement impliquée. Quand on voit la reprise qui a été faite des conclusions de la Convention citoyenne pour le Climat, qui faisait pourtant l’objet d’un énorme portage politique par Emmanuel Macron, on imagine bien ce que ça risque de donner pour les EGI ! Le président du comité d’organisation a d’ailleurs prévenu d’emblée, qu’il n’est pas certain qu’il y ait, en sortie, un projet de loi reprenant les propositions.

Pour l’instant, c’est le CESE qui s’investit le plus, ce qui n’est pas surprenant, ce genre de consultation étant le nouvel alibi pour justifier l’existence de cette assemblée, qui n’est sauvée que par le fait qu’elle est inscrite dans la Constitution. Au moins, cela a l’avantage d’offrir un lieu et des fonctions supports de bon niveau, pour mener à bien la consultation. Le comité d’organisation est présidé par haut fonctionnaire, certes très capable et estimable, mais en pré-retraite, et le responsable d’une ONG spécialisée, qui a beaucoup poussé au lancement de ce débat, et représente un point de vue particulier. Là encore, pas terrible, en matière de portage ni de légitimité.

Et de fait, ça commence assez mal, avec des organisations de journalistes qui s’estiment mis à l’écart, et des critiques (de la sphère Médiapart) sur le risque d’instrumentalisation politique des ces EGI au service du pouvoir en place.

Un autre point noir de ces EGI est l’angle mort sur plusieurs sujets pourtant essentiels. Le premier, largement évacué, est celui des modèles économiques, des ressources (le secteur vis sous perfusion d’argent public) et de la manière dont les propriétaires des journaux de la presse écrite sous-investissent, alors qu’ils sont milliardaires. Les médias, et en particulier la presse écrite, ont un énorme problème de financement, mais quand on va sur le site des EGI, on cherche désespérément le groupe de travail qui s’en occupe. Pareil pour le sujet de la déontologie journalistique et le problème de la confiance, profondément dégradée, des français envers cette profession.

Tout cela est laissé à la « contribution citoyenne » du CESE, sous la forme de la boite à idées et du forum (merci de déposer vos contributions, on verra ce qu’on en fait plus tard). Le vrai travail sérieux se fera au sein des groupes de travail structurés, avec des animateurs, des réunions. Quand on regarde qui dirige les groupes de travail, on y trouve des patrons de presse et des technocrates et apparatchiks du secteur. Les choix de périmètres thématiques évacuent complètement des enjeux majeurs, que la profession ne veut surtout pas mettre en lumière. Tout semble fait pour rester sur des sujets « philosophiques » et « sociétaux », avec des périmètres larges qui laissent une latitude à l’animateur de laisser de gros tas de poussière sous le tapis.

Attendons de voir ce qui va effectivement sortir de tout cela. Mais de grâce, n’appelons pas cela une consultation « citoyenne ». C’est juste une mascarade où le pouvoir en place, sans aucun engagement de reprise, demande au secteur concerné de faire sa liste de courses.

Catégories
Non classé

Le mirage de la démocratie participative

Dans sa recension d’un livre de Thomas Perroud (Service public et commun. À la recherche du service public coopératif) Hubert Guillaud signale un point aveugle de notre réflexion politique, à savoir l’absence de démocratie, voire de contrôle externe, dans le fonctionnement de notre système administratif.

A partir d’exemple précis, comme ParcoursSup, on se rend compte que les principaux intéressés, à savoir les élèves, leurs parents et les enseignants, n’ont pas été consultés, ou alors juste sur des aspects cosmétiques. C’est vrai qu’au quotidien, il n’y a structurellement que peu de place pour l’usager dans la décision sur la manière dont est organisé le service. Les comités d’usagers, quand ils existent, sont davantage là pour le traitement des plaintes, que pour participer aux décisions structurelles. Il n’y a qu’à voir comment se déroule la dématérialisation des procédures administratives, dont l’unique objectif est de faire des économies en soulageant les agents d’un certain nombre de tâches, en les reportant sur l’usager. Certains y gagnent, beaucoup (les plus fragiles) y perdent.

Pour ceux qui ont fait du droit public (comme moi), ce que l’on retient des préceptes du service public à la française, c’est « l’usager n’a qu’un droit, c’est de prendre ce qu’on lui donne et de fermer sa gueule ». Tout est bâti autour du confort de l’administration, et de sa capacité à déployer ses décisions, sans être gênée en quoi que ce soit. Un modèle qui n’est plus intellectuellement et politiquement tenable. Si la réalisation concrète du service doit rester du ressort de personnels identifiés, et ne pas tourner au bazar collaboratif, il est essentiel de réinjecter du citoyen en amont (la conception et l’organisation) et en aval (le contrôle de la bonne exécution). Il y a donc un vrai hiatus qu’il faut traiter.

L’une des premières étapes, selon Thomas Perroud, serait de revoir la composition des différents organes de gouvernance de services publics (comme les conseils d’administrations) actuellement trustés par des élus, des représentants du personnel (un peu, mais pas trop) et quelques « personnalités qualifiées » dont le recrutement tient parfois du copinage ou de recasage, sans réel apport de diversité et de représentativité supplémentaire. L’une des pistes proposées est d’ouvrir cette gouvernance à la « société civile organisée », en clair, aux ONG et associations. L’idée est bonne, à condition que ces arrivées se fassent dans l’intérêt de l’usager-citoyen, et pas pour donner un peu plus de pouvoir à des structures ne représentant qu’elles-mêmes (ou pire, dont l’objet est de faire de la politique). Il faut une ouverture, pas une simple redistribution des cartes entre les mêmes acteurs, déjà présents dans les circuits. En clair, le but n’est pas de donner plus de pouvoir aux associations écologistes.

Je suis également plus que dubitatif avec la voie proposée des Communs, qui me semble irréaliste. L’expérience montre que faire fonctionner un communs nécessite des ressources en temps et en énergie importante. Les temps de discussions et d’échanges, pour arriver à des consensus, sont chronophages, et induisent des biais, en faveur des plus tenaces ou des plus teigneux. Cela peut être appliqué à des projets de petite taille, pas à des services publics. Il faut une véritable culture de la délibération, et des gens qui dégagent suffisamment de temps, pour cela fonctionne. On en est très loin.

Le cœur du problème, est l’incapacité de la société civile française à s’organiser, et se structurer de manière autonome. Notre culture politico-administrative est de tout attendre de l’Etat, et de se méfier de ce qui ne vient pas de l’Etat. Il n’est pas dans notre culture, malheureusement, de nous prendre en main, et d’ouvrir le champ de la politique, en faisant de l’Etat un acteur, parmi d’autres de la décision politique. Il est nécessaire de penser autrement la champ de la décision publique, qui doit cesser de se confondre avec le cadre étatique, et accepter une distribution plus large du pouvoir.

Nous ne sommes pas encore au moment des décisions opérationnelles, mais à celui du déblocage intellectuel, du changement de regard. Ce n’est que si de nouvelles perspectives s’ouvrent, que les citoyens pourront transformer une potentialité en réalité. Tant qu’on ne voit même pas la potentialité, on ne se mobilise pas et rien ne se passe.

Catégories
Non classé

La longue route de la Nupes

La gauche française est en train de se prendre de plein fouet les secousses liées à l’attaque palestinienne contre Israël. Le conflit israélo-palestinien étant une « passion française », cela n’est pas vraiment étonnant. A gauche, c’est l’une des lignes de fractures entre gauche réformiste et gauche radicale.

L’épisode, qui soulève beaucoup de mousse médiatique (et je ne parle pas des réseaux sociaux…), est intéressant à observer, car derrière les indignations (dont un certain nombre sont sincères), il y a aussi des manœuvres tactiques internes à la Nupes.

LFI est le plus ennuyé dans l’affaire. Une frange non négligeable de ses militants est pro-Palestine, et une décennie de gouvernement Nethanyaou a fait monter la sauce de la détestation d’Israël (et il y a objectivement de quoi). Les militants sont chauffés à blanc, mais en tant que grand parti qui aspire au gouvernement, les dirigeants ne peuvent pas les suivre, du moins aussi ouvertement. D’où des circonvolutions gênées aux entournures, pour ménager la chèvre et le chou.

Les socialistes, beaucoup plus au clair sur leurs positions (plus franchement pro-Israël) ont embrayé directement avec tambours et trompettes. A la fois pour défendre leur position de fond, mais aussi pour affaiblir LFI, et donc tenter de revoir les équilibres internes de la Nupes. D’où des indignations, parfois un peu surjouées.

Que l’on se rassure, la Nupes n’éclatera pas encore cette fois ci. Les appels de certains socialistes (dont la circonscription comprend parfois un électorat juif substantiel) à quitter cette alliance ne seront pas suivis d’effet. Ils font partie du jeu, classique, des négociations politiques, à laquelle la gauche est rompue. Elle a en effet une capacité étonnante à se déchirer entre deux échéances électorales, et à se retrouver, sur une plateforme commune, avant les scrutins. C’est souvent très visible au niveau local, et dans la qualité des reports de voix, entre les deux tours d’une élection.

La gauche a trop bien mesuré à quel point, en 2022, la Nupes leur a évité le naufrage, et combien ils vont avoir besoin d’une candidature unique dès le premier tour en 2027. Cela va continuer à secouer sur les sujets de fond, avec des clarifications, des explications et débats potentiellement houleux, mais aussi des compromis et des rapprochements possibles.

Prochaine étape, les sujets de fond sur l’Europe, quand LFI aura terminé d’exploiter médiatiquement la chimère d’une liste unique Nupes en 2024.

Catégories
Non classé

Les sénatoriales enterrent un peu plus LR

Gérard Larcher va être réélu président du Sénat, le groupe LR est toujours le groupe dominant, et de loin, et pourtant, le résultat des élections sénatoriales devraient donner des sueurs froides à Eric Ciotti et aux dirigeants du parti.

Quand on lit finement les résultats, on se rend compte que LR est à la fois attaqué sur sa droite et sur sa gauche, avec un électorat « qualitatif » d’élus locaux.

Le RN a fait des scores assez importants pour ce type de scrutin, et décroché trois sièges, dont un, assez surprenant, en Seine-et-Marne. Il est évident que quelque chose s’est psychologiquement débloqué, notamment chez les élus ruraux, sur le vote RN. Mais ce mouvement est limité, ces trois élus l’ont été à la proportionnelle, et dans les départements à vote majoritaire, le succès n’a pas été au rendez-vous. Les Pyrénées Orientales en sont l’exemple, où malgré une « sociologie » favorable, quatre députés sur quatre, et la ville de Perpignan, le résultat est mauvais. Le seul candidat RN (pour deux sièges) est loin derrière LR et le PS. Le RN peut faire perdre, mais a encore du mal à gagner.

Le vrai danger, pour LR, vient de la droite modérée, avec les gains réalisés par Horizons (5 à 7 sièges, ce qui est beaucoup aux sénatoriales) et les centristes. L’exemple le plus frappant est l’Orne, département qui élit deux sénateurs au scrutin majoritaire. La sénatrice centriste sortante, Nathalie Goulet, est réélue tranquillement dès le premier tour, preuve que l’Orne reste un département clairement à droite (même si Alençon est à gauche). En revanche, l’autre sénateur sortant, le LR Vincent Ségouin, est en grande difficulté à l’issue du premier tour (361 voix, contre 442 pour son adversaire), et lourdement battu (518 contre 351) au second tour par un candidat estampillé Horizons.

On a donc un élu relativement jeune (51 ans), qui termine un premier mandat après un cursus classique d’élu local (maire, conseiller départemental, président de communauté de communes) avec un bilan d’activité tout à fait honorable. Même si le candidat Horizons a été sous-préfet dans le département (donc pas un inconnu pour les élus locaux), une telle défaite d’un sortant ne peut s’expliquer que par des raisons « politiques », qui va au-delà des simples questions de personnes.

Dans un département modéré de l’ouest, sans « grand élu » macroniste pour servir de locomotive, une telle victoire peut s’expliquer par l’effet repoussoir de l’étiquette LR chez les élus divers droite ou peu politisés, et par la crédibilité acquise par l’étiquette Horizons. Le premier élément n’est pas une surprise, tellement les dirigeants LR sont caricaturaux, dans leurs obsessions et leur course à l’extrême-droite. En revanche, le fait le vote Horizons soit une alternative acceptable est la nouveauté de ce scrutin, au coté du vote UDI-centriste.

C’est cette double conjonction, qui est le danger pour LR : ils perdent leurs électeurs modérés, qui ont une alternative crédible, sans gagner les électeurs radicaux, qui se trouvent plutôt bien au RN et, plus marginalement, à Reconquête. Ces sénatoriales confirment que même les élus commencent à être touchés, pas seulement les « électeurs de base ».

Catégories
Non classé

Les députés toujours aussi nuls sur les lois numériques

Le projet de loi « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) qui débute à l’Assemblée nationale ressemble furieusement à la loi hadopi, en 2009. Mêmes postures politiques, même ignorance crasse des réalités du numérique (à quelques rares exceptions), ce qui donne des amendements où le pathétique le dispute au ridicule, avec des vraies attaques contre les libertés fondamentales.

Force est de constater que les députés ne sont pas à la hauteur sur ces sujets, tous bords confondus, pour plusieurs raisons.

La régulation du numérique est un continuum, entre les autorités publiques (gouvernement et Parlement, administration, autorités administratives indépendantes, magistrats), la société civile, les internautes, et les entreprises du numérique. Chacun tient un rôle, dispose de leviers précis, et si un des maillons de la chaine refuse de jouer le jeu, ça ne marche pas, ou mal. Les politiques n’ont jamais été dans cette posture coopérative, bien au contraire, on a l’impression qu’à eux seuls, avec leurs petits bras musclés, ils vont « civiliser » internet et les réseaux sociaux.

En fait, la loi est un outil parmi d’autres, mais pas le plus important, et qui ne peut pas être utilisé seul, de manière performative. Il faut, derrière, mettre des moyens humains et financiers, qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Ce serait plus utile si, au lieu de s’exciter comme des puces folles sur des amendements symboliques et inopérants, les députés faisaient leur travail de contrôle de l’action du gouvernement, en vérifiant que les moyens ont été bien mis là où il le faut.

Le Parlement français a une tendance à se croire omnipotent, alors même qu’il est un acteur secondaire, voire même maintenant marginal. Depuis l’entrée en vigueur du DSA, il y a quelques semaines, la régulation des contenus en ligne relève du niveau européen, tant sur le fond que sur les procédures. Ce qui est attendu du législateur français, c’est d’adapter le droit français à la nouvelle architecture de la régulation européenne du numérique. C’est d’ailleurs ce qui fait le projet de loi SREN, dans sa deuxième moitié, après l’avoir allègrement piétinée dans la première moitié !

Le numérique est en apparence un sujet simple, sur les principes, où n’importe qui peut se croire compétent, parce qu’il est un utilisateur (parfois compulsif) des services proposés. Mais quand on soulève le capot et qu’on entre dans les détails, cela devient extrêmement technique. Cela demande de bosser et de se former, effort que bien peu de parlementaires font. Ce n’est pas en soi un problème d’avoir peu de spécialistes, à partir du moment où ils sont écoutés. Malheureusement, les quelques spécialistes vraiment compétents, Lionel Tardy à l’époque de Hadopi, ou encore Philippe Latombe et Eric Bothorel aujourd’hui, sont marginalisés par leur propre groupe (aucun n’est rapporteur).

Ce projet de loi SREN va mal finir, comme les autres avant lui, en se fracassant à la fois sur le conseil constitutionnel, mais aussi sur le droit européen. Le Parlement français arrivera juste à y perdre encore un peu de crédibilité, à la fois chez ceux qui ont cru aux promesses de « régulation » mais aussi chez ceux qui savent comment cela fonctionne réellement.

Catégories
Non classé

Le RN a une conception archaïque de l’exercice du pouvoir

Un article de Libération, sur le maire RN de Beaucaire, Julien Sanchez, offre un éclairage sur la culture de gouvernement de ce parti, d’un archaïsme frappant, survivance d’une conception dépassée de l’exercice du pouvoir.

Dans cette culture politique archaïque, le poste de pouvoir est la quasi-propriété de celui qui l’occupe, comme le fief était la propriété du seigneur médiéval. De ce fait, il arrive parfois qu’il se transmette de manière héréditaire, au même titre que les biens immobiliers. Le RN est en fait une PME familiale. L’actuel maire zemmouriste d’Orange, Yann Bompard, est le fils de Jacques, ancien du FN qui a pris la mairie en 1995.

Il en découle une absence de démocratie interne, puisque la légitimité politique (en interne) ne vient pas de l’élection, mais de l’hérédité, ou de la conquête. Le RN en est l’exemple, avec Marine Le Pen qui a succédé à son père (un peu récalcitrant à quitter la scène) et dont les successeurs potentiels cités ont été sa nièce, Marion Maréchal, et maintenant son neveu par alliance, Jordan Bardella. L’empreinte est tellement forte que personne n’envisage sérieusement que le prochain dirigeant du RN ne fasse pas partie du clan familial.

Cela se traduit par un exercice solitaire du pouvoir, où tout repose sur le chef. S’il est techniquement bon, et/ou sait déléguer à des gens compétents, la boutique peut fonctionner tant bien que mal. Mais c’est rarement génial, et c’est souvent une gabegie. J’ai rarement vu un rapport élogieux d’une chambre régionale des comptes sur une municipalité RN

Bien souvent, c’est davantage la servilité et la fidélité que la compétence, qui sont les qualités requises pour intégrer l’entourage du chef et s’y maintenir, si vous n’êtes pas de la famille. Toute tentative de s’autonomiser, voire parfois, de simplement se montrer meilleur que le chef, se termine par l’éviction. Là encore, le FN, devenu RN, est un cas d’école.

Très naturellement, ce mode de fonctionnement se traduit par du copinage et du clientélisme généralisé, où le chef achète les fidélités par des postes et prébendes (des emplois fictifs par exemple). Même si beaucoup de partis pratiquent cela, le RN le fait à une échelle industrielle, inégalée ailleurs sur l’échiquier politique. Ce qui soude le collectif est autant l’idéologie que la soupière bien remplie, dont le chef est seul à tenir la louche. Là encore, le RN, en tant que parti, mais aussi les collectivités qu’il gère, sont des cas d’école.

Une telle manière de concevoir l’exercice du pouvoir est aujourd’hui complètement dépassée dans les pays occidentaux, d’où la difficulté de certains observateurs à analyser ce qui se passe au RN. Mais elle existe dans beaucoup d’endroits dans le monde et montre très régulièrement ses limites en termes d’efficacité. Sans parler de l’Afrique, plus près de nous, c’est par exemple le cas de la Russie. Poutine a également cette conception du pouvoir, qui a montré ses limites avec la guerre en Ukraine, où malgré une disproportion énorme de moyens, la Russie ne sera pas en mesure de gagner. Cela peut également expliquer les affinités, très perceptibles, entre Poutine et le RN.

Le combat contre le RN, c’est aussi un combat contre cette conception archaïque du pouvoir, qui s’accorde assez mal avec les attentes de la démocratie libérale et la recherche de la meilleure efficacité dans la gestion de de la chose publique.

Catégories
Non classé

Le refus du débat politique par les climatologistes

Le climatologue Jean Jouzel se plaint, dans une interview aux Echos, de l’accueil « glacial » qu’il aurait reçu aux universités d’été du Medef. Il dit en avoir « marre » de « l’inaction des élus ». Il illustre parfaitement l’un des travers des « climatologistes », qui militent pour que la lutte contre le réchauffement climatique soit la priorité absolue, celui du recours systématique à l’argument d’autorité.

Ils expliquent que la science a maintenant parfaitement documenté qu’il existe un phénomène de changement climatique accéléré, causé par l’activité humaine. Les conséquences concrètes sont déjà là, avec une augmentation visible des épisodes climatiques extrêmes. Ils en déduisent qu’au vu des conséquences pour les sociétés humaines, la priorité absolue des politiques publiques doit porter sur le réduction des émissions de carbone, sans discussion possible. Toute objection est disqualifiée d’office.

Le lien entre le constat scientifique, et les décisions politiques à prendre, est présenté comme une évidence mécanique, qui ne doit même pas faire l’objet d’un débat. C’est là que le bât blesse, car les choix politiques doivent toujours faire l’objet de débats, quand bien même leur issue ne fait pas trop de doute, car ils sont importants pour l’acceptation des décisions (et éventuellement des sacrifices afférant). Éluder les débats est une grave erreur, surtout ici, où l’ampleur des changements préconisés par les scientifiques, est énorme, avec un impact très profond sur les modes de vie et les imaginaires individuels et collectifs.

La première question, qui semble un impensé total, est de savoir s’il est effectivement souhaitable de faire un effort, qui pèse sur nous, pour le bénéfice d’autres peuples (car le problème est planétaire). Ce questionnement, très politique, renvoie aux conceptions que l’on a de la solidarité. Il peut se résumer, de manière très brutale : Est-ce que nous sommes prêts à renoncer à notre niveau de vie, à notre puissance économique, pour que des peuples étrangers ne soient pas trop impactés par les catastrophes climatiques ? Quel est notre degré d’égoïsme ? Est-ce que les efforts fournis sont uniquement dus au fait que nous pourrions subir, indirectement, les conséquences des catastrophes touchant d’autres peuples ? Mettre cette question sur la table peut amener à des surprises et des désagréments pour ceux qui misent sur l’humanisme et la solidarité !

A supposer que la solidarité (humaniste et intéressée) soit majoritaire chez nous, le deuxième sujet est celui de la réciprocité. Je veux bien faire des efforts, à condition que le monde entier en fasse autant. Pas question de supporter des sacrifices au delà de ce que je pollue, et de payer pour les autres, qui ne font aucun effort. Or, des pays parmi les plus émetteurs de carbone, ne semblent pas faire beaucoup d’efforts, comme par exemple, la Chine, les USA ou l’Inde. Dans ces pays, le point d’équilibre politique n’est pas le même entre développement économique, confort de la population face aux catastrophes, et solidarité avec le reste de la planète.

Si on poursuit le chemin, une fois qu’on a accepté de faire des efforts et à quel niveau, arrive un troisième débat : qui doit concrètement supporter les efforts ? Quelle clé de répartition ? Il est tout aussi explosif que les autres, car tout le monde se sent légitime à y participer et à regarder l’assiette de son voisin en estimant qu’il est plus préservé, et que c’est donc injuste.

Les oppositions et inerties dont se plaignent les climétologues peuvent venir des différentes échelles, et être des réponses détournées à des questions qui n’ont pas été posées. Ou qui ont été posées de manière à ce que seule la réponse attendue soit possible, ce qui revient au même.

Ce n’est pas du tout un hasard si le climatoscepticisme fleurit à mesure que va sur la droite de l’échiquier politique. Contester la science et ses constats est une manière d’exprimer une position politique de refus de la solidarité avec les peuples étrangers. La position de Trump, qui allie isolationnisme, haine de l’étranger et climatoscepticisme est profondément cohérente. Il dit juste qu’il n’en a rien à faire ce que peuvent subir les autres peuples, et qu’il n’hésitera pas à utiliser la force pour protéger son pays des conséquences potentielles de ce que subissent ces peuples (comme par exemple les réfugiés climatiques). L’extrême-droite européenne ne pense pas autre chose, mais ce serait malséant de le dire comme ça, donc cela passe par des biais.

La résistance des entreprises vient plutôt du deuxième segment. Oui aux efforts, mais qui doivent s’arrêter dès qu’on se tire une balle dans le pied face aux concurrents internationaux. Pour les grands groupes français (Total par exemple), la compétition est mondiale et féroce. Se désavantager en faisant des efforts et sacrifices auxquels ne sont pas soumis leurs concurrents directs, c’est juste du suicide. On perd de la souveraineté, de la richesse et du pouvoir, sans faire avancer en rien la cause climatique.

Les résistances « populaires » peuvent emprunter au premier segment, mais sont également alimentées par la question de la répartition de l’effort. Les « Gilets jaunes », c’est une révolte de classes populaires qui estiment qu’on fait trop porter les efforts sur eux, et pas assez sur d’autres, qui pourtant leur semblent avoir plus de moyens. La France, pays de l’égalitarisme forcené et de la haine du riche, est un terreau particulièrement fertile pour ces débats, parfois très stériles (par exemple l’interdiction des jets privés).

L’erreur fondamentale des « climatologistes » est de considérer que ces débats n’ont pas lieu d’être, ou qu’ils sont tranchés d’office, dans le sens qui leur convient, au regard de l’importance qu’ils accordent à ce problème. Dans une démocratie, où il faut convaincre et trouver des consensus, une telle attitude n’est pas acceptable et ne peut que provoquer des frictions et des oppositions.