Le Sénat vient d’adopter une proposition de loi visant à interdire l’écriture dite « inclusive » dans les documents officiels. Il s’agit d’un texte purement politique, où la droite sénatoriale s’est fait plaisir. En droit, il est purement inapplicable, faute de définir très précisément ce qui est concrètement interdit, et surtout faute de sanction en cas de manquement.
L’intérêt de ce texte est purement politique, car cet épisode, qui a fait couler beaucoup d’encre (et ce n’est pas fini) illustre parfaitement les enjeux et les impasses de ce débat. Ce combat autour de l’écriture inclusive est un leurre, qui nuit à la cause de l’égalité Femmes-Hommes.
La promotion de l’écriture inclusive relève clairement du militantisme politique, avec tous ses travers. C’est un combat autour d’un symbole, permettant à ceux qui le promeuvent, d’avoir de la visibilité, de la bonne conscience en ayant le sentiment (trompeur) d’avoir fait quelque chose.
L’écriture inclusive ne devrait être qu’un outil, destiné à faire avancer une cause, celle de l’égalité femmes-hommes. Malheureusement, comme cela arrive parfois, le moyen finit par devenir une fin en soi. Le proverbe « quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt » trouve encore ici une belle illustration.
Les enjeux de l’égalité femmes-hommes sont énormes. Ce n’est rien de moins que la redistribution du pouvoir dans la société (dans toutes ses dimensions) et c’est sans doute pour cela que des réticences, voire des résistances s’expriment. Disperser ses forces dans des combats périphériques ne peut que desservir la cause, surtout quand l’objet du combat ne fait pas consensus chez ceux qui, par ailleurs, seraient enclins à soutenir cette cause.
Plusieurs points dérangent profondément dans ce combat pour l’écriture inclusive, et offrent des prises aux opposants, qui ont parfaitement compris qu’hystériser sur ce symbole, permet de mieux lutter en faveur du véritable enjeu : conserver le pouvoir.
Il existe chez les défenseurs de l’écriture inclusive toute une frange d’activistes de la déconstruction du genre, qui peuvent aller anthropologiquement très loin et susciter bien des réticences. Cette minorité radicale (très visible et vocale) prône la fin de la notion même de genre, ou alors qu’elle soit déconnectée des différences physiques et sexuelles. Un combat d’intellectuels urbains diplômés, loin d’être compris et encore plus loin d’être accepté. C’est un peu le dilemme de toutes les causes, les plus radicaux sont à la fois des moteurs dans la construction idéologique et des boulets pour l’acceptation majoritaire.
Le deuxième sujet est l’instrumentalisation d’un bien commun, la langue, au profit d’une cause politique. On est sur un autre niveau, où on peut estimer que les militants d’une cause, aussi légitime et « juste » soit-elle, doivent rester dans certaines limites. Je fais partie de ceux qui estiment qu’il existe des « biens communs » qui doivent être préservés d’une appropriation militante, pour justement, rester « communs ». C’est par exemple l’interdiction d’affichage sur les bâtiments publics, afin de préserver leur neutralité. J’ai toujours été choqué par les grandes banderoles, que l’on voit sur certaines mairies, pour défense d’une cause particulière (même si sur le fond, je suis pour cette cause).
Le langage fait aussi partie des biens communs, et vouloir forcer des usages heurte et divise. La langue est une chose vivante, qui évolue, mais cela doit se faire dans le consensus, qui prend du temps. Elle ne s’impose pas, mais ne doit pas non plus faire l’objet d’interdictions.
En se lançant dans un combat qui divise et clive, au lieu de rassembler, les partisans de l’écriture inclusive nuisent à la cause de l’égalité hommes-femmes. Il serait temps qu’ils s’en rendent compte, et qu’ils comprennent qu’il faut savoir choisir ses combats : ce qui sert à souder un noyau militant, nuit pour obtenir un soutien majoritaire dans la population. Au final, cela fait le jeu de ceux qui veulent que rien ne bouge.