La bulle politique française vit en ce moment un de ces psychodrames comme elle les adore. Le projet de loi sur l’immigration, qui a passé sans encombre le cap du Sénat, doit commencer son parcours en séance publique à l’Assemblée. Tout est fait pour dramatiser l’enjeu (la motion de rejet préalable sera-t-elle votée ?) alors qu’au final, tout passera comme une lettre à la poste (malgré un petit accident de parcours).
Le vrai sujet n’est pas cette dramaturgie pour journalistes politiques, mais ce que dit le texte de la manière d’envisager l’immigration. Là, c’est beaucoup plus dramatique, car cette loi relève avant tout de la gesticulation à destination des trouillards identitaires de droite, qui ont peur d’être « submergés » par l’étranger (surtout s’il est noir et musulman). Aucun débat sur les enjeux réels n’a été mené, et c’est bien le problème, car l’immigration est un sujet trop sérieux pour être laissé aux clichés et fantasmes.
Depuis le XIXe siècle, la France est une terre d’immigration, avec par exemple les polonais et les italiens, puis le Maghreb et maintenant l’Afrique subsaharienne. La nationalité française s’acquiert par le droit du sol, et pas le droit du sang. Jusqu’ici, l’intégration a plutôt bien fonctionné, puisque l’identité française, si fantasmée, y a survécu. Il n’y a pas de raison, si on s’en donne les moyens, que cette intégration ne continue pas à fonctionner. Malheureusement, ces outils vont devoir continuer à fonctionner tout seuls, sans le secours d’une loi, voire malgré elle. Il faut juste espérer que ce nouveau projet de loi ne fasse pas trop de dégâts.
La véritable réponse à la question migratoire est dans l’intégration, car il est illusoire de vouloir ériger des murs pour freiner les flux migratoires. Les étrangers qui le veulent vraiment, arrivent chez nous, et nous ne les ferons pas repartir. Du fait du changement climatique, qui va rendre certaines zones inhabitables, des perturbations géo-politiques (des guerres notamment) vont accélérer les flux de réfugiés. Les laisser se noyer en Méditerranée, en fermant pudiquement les yeux, est humainement indigne, et ne règle rien, car il y en aura toujours pour réussir la traversée.
Cette intégration est nécessaire, car notre situation démographique n’est pas bonne. Si on veut que notre système de retraite par répartition survive, il faut de nouveaux entrants, pour payer des pensions de retraites qui durent de plus en plus longtemps. Vu que la politique française prend largement en compte les intérêts de ces retraités, elle devrait mettre en place ces dispositifs facilitant le travail de tous, sans trop regarder qui a des papiers, tant qu’ils cotisent. De plus, la plupart des tâches de service à la personne ou de travaux physiques, sont réalisés par des personnes issues de l’immigration récente. Regardez donc qui est ouvrier sur un chantier de BTP, ou aide-soignante dans un Ehpad, vous n’y verrez pas beaucoup de « blancs ». Pourtant, il faut bien que ce boulot soit fait, donc à défaut d’accepter ces postes, ayant la décence et le bon sens de ne pas compliquer la vie de ceux qui s’y collent.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’il faut ouvrir en grand les portes, et ne rien contrôler. Il faut que l’Etat conserve ses prérogatives, et soit en capacité de refuser ou expulser les éléments indésirables. C’est important, pour une bonne intégration, de conserver des limites, entre ce qui relève de « l’étranger » et de la « communauté nationale », pour qu’il y a une matérialisation, juridique et symbolique, permettant d’avoir des repères pour intégrer.
Ce projet de loi Immigration est donc largement contre-productif. Il entretient et alimente des clivages et des fantasmes délétères pour notre société, comme celui du « Grand Remplacement », là où nous aurions besoin de messages positifs afin de favoriser l’intégration. Il crée des obstacles supplémentaires à l’intégration, qui ne feront que retarder, mais n’empêcheront pas grand chose. Il en résultera un coût supplémentaire pour ceux qui veulent venir, et probablement une amertume qui ne facilitera pas l’intégration.