Notre monde a commencé à s’écrouler en 2020. Il était déjà fragile avant, mais on s’en rendait pas compte, car tant qu’un choc externe ne vient pas tout déstabiliser, on ne se projette pas, on n’évalue pas les risques. Même maintenant que la vague est visible au loin, on semble ne pas s’en préoccuper plus que ça. Et cela m’inquiète.
La France pourrait se retrouver, dans quelques semaines ou mois, dans une impasse énergétique. Les spécialistes commencent à pointer des signaux faibles, mais inquiétants, d’un degré de fragilité inédit de notre système énergétique.
La moitié du parc nucléaire est à l’arrêt, pour cause de corrosion de composants, mettant en jeu la sureté de l’exploitation. Autant dire que cela ne va pas se régler en quelques semaines, et qu’on pourrait même avoir encore quelques autres arrêts d’installations. L’objectif de 50% du nucléaire dans le mix énergétique est en train de se réaliser, malgré nous. Sauf que les alternatives ne sont pas là.
La France est toujours aussi en retard sur les énergies renouvelables, et l’attitude farouchement anti-éoliennes de la droite ne va rien arranger. Surtout depuis qu’ils sont devenus la force d’appoint indispensable pour un gouvernement minoritaire. La guerre en Ukraine a également fait descendre les approvisionnements en gaz, qui pourraient tomber encore plus bas, plus rapidement qu’on ne le pense, si Poutine décide de couper le robinet. Dans ce cas, c’est l’ensemble de l’Europe qui va se retrouver en très grande difficulté, l’Allemagne étant toujours aussi dépendante du gaz russe.
Il suffit donc que les menaces, celles existantes, et celles qui sont possibles, voire probables, se réalisent, pour que l’on vive un hiver de cauchemar. Le gouvernement commence, dans le projet de loi « pouvoir d’achat », à jeter les bases d’une législation de gestion de crise énergétique et les ministres suggèrent, en plein été (donc hors période de chauffage), de commencer à réduire la consommation pour ne pas tirer sur les réserves.
Les conséquences vont être lourdes. L’économie va souffrir, car quand on n’a plus assez d’énergie, la seule solution, c’est de rationner, voire de couper. Des usines et des productions vont se retrouver à l’arrêt, des lignes logistiques vont être encore un peu plus désorganisées. On risque d’avoir un peu plus que la moutarde et l’huile de tournesol à manquer dans les rayons des supermarchés.
Si jamais les coupures arrivent jusqu’aux particuliers, qui doivent réduire, voire couper le chauffage ou l’électricité à certains moments de la journée, cela va être symboliquement et donc socialement terrible. Ces pénuries d’énergie sont le lot commun de beaucoup de pays, mais sont totalement inconnus, et même inenvisageables en Europe occidentale.
Immédiatement, par réflexe pavlovien, les Français vont se tourner vers l’État et le gouvernement, le sommant de résoudre le problème.
Et là, c’est le drame…
Financièrement, l’État français est allé très loin, sans doute un peu trop loin, dans le « quoi qu’il en coute » au regard de sa solidité financière. Avec la remontée des taux d’intérêt qui est en cours, l’endettement ne sera pas une solution permettant d’aller bien loin. On l’a bien vu avec le soutien artificiel au prix des carburants, c’est très couteux, sans pour autant résoudre le problème. C’est encore moins efficace quand le problème pas juste le prix, mais aussi le niveau insuffisant de l’offre et que d’autres pays (au hasard l’Allemagne) ont les moyens de surenchérir sur nous. Il n’y en aura peut-être pas pour tout le monde, et nous pourrions ne pas être parmi les premiers servis. Cela va nous faire un choc.
Socialement, cela va être rude, car la société française, en plus d’être très fracturée, est profondément fatiguée par deux années de crise sanitaire. La perspective de replonger à nouveau, alors qu’on avait l’impression de sortir, enfin, la tête de l’eau, peut créer un choc psychologique dont les effets sont totalement imprévisibles.
Politiquement, ce n’est vraiment pas le moment d’avoir un choc externe. Avec sa majorité relative au Parlement, Emmanuel Macron ne pourra pas, comme pendant la crise sanitaire, tout décider seul, en conseil de défense. Il va lui falloir revoir de fond en comble sa manière de gouverner, et construire une confiance avec une opposition, très remontée contre sa personne. En sera-t-il capable ? L’opposition jouera-t-elle le jeu ? La tentation chez certains sera de profiter de la crise énergétique et sociale, pour le chasser du pouvoir, ajoutant une crise politique au reste des problèmes.
Je suis inquiet pour les mois qui viennent. Le pire peut ne pas se produire, mais nous n’avons jamais eu autant de facteurs de risques, et de trous dans le filet de sécurité, réunis en même temps.