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Le tsunami qui vient

Notre monde a commencé à s’écrouler en 2020. Il était déjà fragile avant, mais on s’en rendait pas compte, car tant qu’un choc externe ne vient pas tout déstabiliser, on ne se projette pas, on n’évalue pas les risques. Même maintenant que la vague est visible au loin, on semble ne pas s’en préoccuper plus que ça. Et cela m’inquiète.

La France pourrait se retrouver, dans quelques semaines ou mois, dans une impasse énergétique. Les spécialistes commencent à pointer des signaux faibles, mais inquiétants, d’un degré de fragilité inédit de notre système énergétique.

La moitié du parc nucléaire est à l’arrêt, pour cause de corrosion de composants, mettant en jeu la sureté de l’exploitation. Autant dire que cela ne va pas se régler en quelques semaines, et qu’on pourrait même avoir encore quelques autres arrêts d’installations. L’objectif de 50% du nucléaire dans le mix énergétique est en train de se réaliser, malgré nous. Sauf que les alternatives ne sont pas là.

La France est toujours aussi en retard sur les énergies renouvelables, et l’attitude farouchement anti-éoliennes de la droite ne va rien arranger. Surtout depuis qu’ils sont devenus la force d’appoint indispensable pour un gouvernement minoritaire. La guerre en Ukraine a également fait descendre les approvisionnements en gaz, qui pourraient tomber encore plus bas, plus rapidement qu’on ne le pense, si Poutine décide de couper le robinet. Dans ce cas, c’est l’ensemble de l’Europe qui va se retrouver en très grande difficulté, l’Allemagne étant toujours aussi dépendante du gaz russe.

Il suffit donc que les menaces, celles existantes, et celles qui sont possibles, voire probables, se réalisent, pour que l’on vive un hiver de cauchemar. Le gouvernement commence, dans le projet de loi « pouvoir d’achat », à jeter les bases d’une législation de gestion de crise énergétique et les ministres suggèrent, en plein été (donc hors période de chauffage), de commencer à réduire la consommation pour ne pas tirer sur les réserves.

Les conséquences vont être lourdes. L’économie va souffrir, car quand on n’a plus assez d’énergie, la seule solution, c’est de rationner, voire de couper. Des usines et des productions vont se retrouver à l’arrêt, des lignes logistiques vont être encore un peu plus désorganisées. On risque d’avoir un peu plus que la moutarde et l’huile de tournesol à manquer dans les rayons des supermarchés.

Si jamais les coupures arrivent jusqu’aux particuliers, qui doivent réduire, voire couper le chauffage ou l’électricité à certains moments de la journée, cela va être symboliquement et donc socialement terrible. Ces pénuries d’énergie sont le lot commun de beaucoup de pays, mais sont totalement inconnus, et même inenvisageables en Europe occidentale.

Immédiatement, par réflexe pavlovien, les Français vont se tourner vers l’État et le gouvernement, le sommant de résoudre le problème.

Et là, c’est le drame…

Financièrement, l’État français est allé très loin, sans doute un peu trop loin, dans le « quoi qu’il en coute » au regard de sa solidité financière. Avec la remontée des taux d’intérêt qui est en cours, l’endettement ne sera pas une solution permettant d’aller bien loin. On l’a bien vu avec le soutien artificiel au prix des carburants, c’est très couteux, sans pour autant résoudre le problème. C’est encore moins efficace quand le problème pas juste le prix, mais aussi le niveau insuffisant de l’offre et que d’autres pays (au hasard l’Allemagne) ont les moyens de surenchérir sur nous. Il n’y en aura peut-être pas pour tout le monde, et nous pourrions ne pas être parmi les premiers servis. Cela va nous faire un choc.

Socialement, cela va être rude, car la société française, en plus d’être très fracturée, est profondément fatiguée par deux années de crise sanitaire. La perspective de replonger à nouveau, alors qu’on avait l’impression de sortir, enfin, la tête de l’eau, peut créer un choc psychologique dont les effets sont totalement imprévisibles.

Politiquement, ce n’est vraiment pas le moment d’avoir un choc externe. Avec sa majorité relative au Parlement, Emmanuel Macron ne pourra pas, comme pendant la crise sanitaire, tout décider seul, en conseil de défense. Il va lui falloir revoir de fond en comble sa manière de gouverner, et construire une confiance avec une opposition, très remontée contre sa personne. En sera-t-il capable ? L’opposition jouera-t-elle le jeu ? La tentation chez certains sera de profiter de la crise énergétique et sociale, pour le chasser du pouvoir, ajoutant une crise politique au reste des problèmes.

Je suis inquiet pour les mois qui viennent. Le pire peut ne pas se produire, mais nous n’avons jamais eu autant de facteurs de risques, et de trous dans le filet de sécurité, réunis en même temps.

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Un leak ne fait pas toujours un scoop

Le journal Le Monde vient de publier, avec force promotion sur les réseaux sociaux, plusieurs articles, à partir d’une fuite de données, récupérée par le quotidien britannique Le Guardian. Ils concernent l’activité de l’entreprise Uber de 2013 à 2017, notamment son activité de lobbying.

Ces « scoops » sont clairement survendus. Il n’y a pas grand chose de nouveau, si ce n’est des précisions et des preuves sur ce que l’on savait déjà. Uber est une entreprise qui a fait le choix du passage en force, se comportant en « cow-boy » vis-à-vis des législations existantes et exploitant leurs failles. C’est un choix qui a pu payer, mais qui n’est pas sans risques, car au final, ils sont rattrapés sur des points essentiels de leur modèle, comme le droit social.

Je n’ai pas relevé, dans les articles que j’ai lu, de mention de fautes pénales de la part d’Uber ou de leurs lobbyistes et « fournisseurs ». L’entreprise a fait le choix stratégique de miser sur Emmanuel Macron, qu’ils estimaient être le maillon « libéral » du gouvernement, donc le plus susceptibles de leur être favorable. De ce coté là, les choses ont très bien marché, Emmanuel Macron, comme beaucoup de libéraux (et de parisiens) ont été très contents de voir bousculée la rente des taxis, qui ont organisé une pénurie structurelle de l’offre à leur profit.

Les pratiques mises en œuvre par Uber relèvent du lobbying le plus classique. Rédiger des amendements, et les envoyer aux ministres et parlementaires, faire réaliser des études et les diffuser dans les médias pour qu’elles infusent dans le débat public (via des intervenants réguliers des plateaux TV), c’est le quotidien des lobbyistes, qu’ils soient auprès d’entreprises ou d’ONG. L’essentiel est que les règles déontologiques aient été respectées, comme par exemple la transparence sur les commanditaires des études, et l’absence de pratiques de corruption pour approcher les décideurs et faire adopter leurs propositions. Uber aurait proféré des menaces contre les parlementaires (comme le pratiquent certains acteurs du secteur culturel) ou soudoyé des assistants parlementaires pour faire déposer des amendements, il y aurait effectivement eu matière à indignation.

Cette série de papiers illustre surtout la méconnaissance de la réalité du lobbying par les journalistes, qui en grande partie, vivent sur des clichés, qui sont aussi ceux du grand public. Cela donne des écarts énormes entre ce qui est raconté, conforme à ce que le grand public attend (car confortant les opinions préétablies) et ce que vivent au quotidien les acteurs du débat public, qu’ils soient lobbyistes, communicants ou « personnel politique » au sens large. Pour qui connait un peu comment les choses se passent réellement, le dossier Uber n’a rien de choquant, pas plus que d’autres pratiques venant d’autres secteurs ou entreprises.

Cela illustre un drame du journalisme, celui du manque de moyens, qui amène à se faire instrumentaliser. Si Le Monde sort cette série de papiers, ce n’est pas parce qu’ils ont décidé d’enquêter, après avoir estimé qu’il y avait matière à creuser sur les pratiques de lobbying d’Uber. C’est tout simplement parce qu’un énorme paquet de données a été livré clé en mains par une fuite. On est dans le mouvement inverse de ce qui devrait être, où on part des données qu’on a, et qu’on cherche ce qu’on pourrait bien en faire de « spectaculaire » pour susciter le buzz. Parfois, la réponse la plus évidente serait : rien ! On l’avait déjà vu avec les Macron Leaks, où finalement, il n’y avait rien d’autres que la description du fonctionnement interne d’une campagne présidentielle, plutôt clean d’ailleurs, puisqu’aucune poursuite judiciaire n’a été lancée sur la base de ces éléments.

Ces « Uber Leaks » sont certainement très intéressants pour mener une étude sur le fonctionnement de cette entreprise, l’état d’esprit de ses dirigeants, la manière dont ils ont bâti leur stratégie. Mais en revanche, il n’y a pas grand chose à se mettre sous la dent pour critiquer Emmanuel Macron, ou dénoncer un « scandale du lobbying ». Le Monde aurait gagné à ne pas tomber dans la gonflette, car au final, au delà du buzz dans le grand public (qui ne génèrera pas plus d’abonnements), ils ont dégradé leur image de marque auprès du secteur concerné, qui n’a rien appris, et s’est retrouvé cloué au pilori par un traitement sensationnaliste de pratiques courantes et ordinaires.

La conclusion risque d’être, malheureusement, pour beaucoup de lobbyistes, que « Le Monde, ce n’est plus ce que c’était »…

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L’opposition se perd dans les polémiques à 2 balles

En ce début de législature, je me suis abonné à une liste twitter (oui, j’y jette encore un oeil) regroupant tous les députés de la nouvelle législature. C’est à la fois instructif et affligeant. On y voit comment chaque groupe se positionne, les sujets sur lesquels ils interviennent, ceux qu’ils évitent, le ton qu’ils prennent. On y voit aussi un goût prononcé pour les polémiques de bas étage, et la mauvaise foi, à un niveau, chez les « Nupes » qui m’atterre.

Un exemple, de ce jour, de polémique stérile et de mauvaise foi, qui radicalise la base militante à partir d’informations tronquées et d’analyses partisanes. Deux secrétaires d’État nouvellement nommées sont en co-tutelle entre deux ministres. Sarah El Hairy, chargée de la Jeunesse et du service national universel (cotutelle Éducation nationale et Armées), et Carole Grandjean, à l’enseignement et à la formation professionnelle (cotutelle Éducation nationale et Travail).

Ces cotutelles sont parfaitement en cohérence avec les périmètres ministériels. En effet, le service national relève des Armées, et la formation professionnelle du ministère du Travail. Cela va permettre à ces deux secrétaires d’État d’exercer la plénitude de leurs attributions, en ayant une légitimité à accéder aux administrations gérant les secteurs qu’elles couvrent, et qu’elles n’auraient pas sans ce rattachement aux deux ministères.

Et voilà que sur Twitter, on voit des parlementaires de gauche, hurler que le secrétariat d’État à la Jeunesse se retrouve dépendant du ministère des Armées, et que l’enseignement professionnel tombe dans le giron du ministère du Travail. Avec, bien entendu derrière, le chœur des indignations, qui prend pour argent comptant des affirmations de personnalités considérées comme « fiables » car élus de la Nation.

Les députés d’opposition (de gauche sur ce coup, mais je ne suis pas sur que ça soit mieux de l’autre bord) jouent avec le feu. En se positionnant ainsi aux frontières de la fake news (car certains savent très bien qu’ils lancent une polémique sur la base d’une présentation tronquée), ils contribuent à radicaliser le débat politique. Ils contribuent aussi à affaiblir la confiance que les citoyens peuvent placer en eux. Et donc, ils affaiblissent la démocratie représentative.

Au delà, cela pose aussi problème, sur le niveau auquel ces élus d’opposition placent le débat politique. Que l’opposition critique le gouvernement, c’est normal et sain, c’est son rôle. Mais à condition de le faire aussi sur le fond, sur les politiques publiques menées, sur le bilan de l’action du gouvernement. Malheureusement, c’est bien rarement le cas, et pourtant, il y aurait des choses à faire, à condition de bosser un peu (et c’est là que le bât blesse et que le tri se fait).

Le gouvernement vient de déposer sur le bureau de l’Assemblée le projet dit de règlement des comptes. Il s’agit de la présentation de l’exécution du budget de 2021. Il y a tous les chiffres sur la manière dont l’argent public a été effectivement dépensé en 2021. Autant vous dire que ces documents sont une mine d’or pour l’opposition, qui ne manquera pas d’y trouver bien des questions embarrassantes à poser au gouvernement.

On prend les paris qu’il y aura moins de tweets des députés d’opposition sur cette loi et son contenu, qu’il n’y en a eu pour critiquer les nominations de ministres ?

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Le message des jeunes générations

Les étudiants de l’école Polytechnique viennent d’envoyer un message qui mérite vraiment d’être entendu, voire même d’être écouté. Lors de la remise des diplômes, ils ont appelé à un changement de cap sociétal face au dérèglement climatique, prônant la sobriété, c’est-à-dire une forme de décroissance. Ils ajoutent que la technologie, la science et les « petits gestes qui sauvent la planète » ne suffiront pas.

Il vient du cœur de ce qui sera l’élite politico-administrative de demain. N’entre pas à Polytechnique qui veut, c’est ultra sélectif, et surtout, quand on en sort, ce n’est pas pour n’importe où, mais pour les lieux de décision. Polytechnique, c’est normal un « temple » du rationalisme, de la science et de la technique. Les polytechniciens, ce sont des jeunes sous statut militaire, qui sortent d’un tunnel de deux (voire plus) années de prépa, qui passent leur temps à faire du sport et des maths. La philo et les sciences politiques ne sont pas au cœur du programme de Polytechnique. Pour qu’un tel message sorte de Polytechnique, ça veut dire qu’il se passe réellement quelque chose dans cette génération.

Dernier point, qui valorise encore plus le message, ces polytechniciens n’entendent pas (à l’inverse de leurs petits camarades d’AgroParisTech) démissionner et partir élever des chèvres dans le Larzac. Ils vont faire la carrière qu’on attend d’eux, sont conscients de la responsabilité qu’ils ont vis-à-vis de société et entendent l’assumer.

Ce message, c’est celui de leur génération, celle qui va prendre les manettes dans quelques années, et qui appliquera des lignes politiques qui sont en train de se forger. Si on veut savoir ce que sera la France de 2035, il faut les écouter, suivre leurs débats, leurs choix et leurs refus.

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Le renouveau démocratique ?

Les résultats des élections législatives sont tombés, et comme cela était prévisible, le chef de l’Etat n’y dispose que d’une majorité relative. Il lui manque une quarantaine de sièges pour arriver à la majorité absolue. Cela veut dire qu’il ne suffira pas de quelques débauchages individuels, il va falloir négocier avec un partenaire.

Tout indique que l’essentiel des discussions se feront entre la majorité (relative) présidentielle, et le groupe LR. Des discussions avec le RN sont absolument exclues. La gauche étant dominée par le groupe LFI, avec groupe EELV assez « radical », les socialistes, qui sont les plus susceptibles d’être réceptifs à certaines propositions, sont un peu coincés. Ils savent que s’ils vont trop loin, et rompent la solidarité politique sur laquelle ils ont été élus (l’ombre de la NUPES planera longtemps), ils le paieront très cher aux prochaines élections.

Le gouvernement va donc devoir trouver un accord avec la droite modérée, qui tient la clé de la sécurisation des votes à l’Assemblée, et surtout, tient aussi le Sénat. Autant dire que si LR se braque, et se range dans l’opposition ouverte, le gouvernement sera très embarrassé et devra assez vite dissoudre l’Assemblée. Non seulement ses textes seront rejetés, mais les quelques uns qui seront votés, ne seront pas nécessairement rédigés comme le gouvernement le souhaiterait. Le parlementarisme rationalisé, façon 1958, ça sert à domestiquer une majorité un peu rebelle, pas à faire adopter des textes contre la volonté d’une majorité.

Pour l’instant, nous sommes au début de la négociation, et les choses ne vont pas se débloquer d’un claquement de doigts. Les signaux envoyés sont, pour l’instant, globalement positifs, certains ténors de la majorité lançant des appels à la discussion et à l’échange avec les « élus soucieux du bien commun ». Du coté LR, c’est plus tendu, mais une majorité se retrouve sur une ligne « Aucun accord formel, mais aucun refus de principe non plus, il faut voir au cas par cas ». A ce stade, il est difficile d’en demander plus que l’expression d’une bonne volonté prudente.

Il va falloir un peu de temps pour que les LR, qui n’avaient pas vraiment anticipé cette situation, établissent leur « liste de courses » et arrêtent les positions qu’ils acceptent, et leurs lignes rouges. Cela va être un exercice salutaire pour LR, mais aussi pour LREM, qui n’avait jamais vraiment fait ce travail, et qui doit maintenant se doter d’une grille d’analyse. On en restera à des accords ponctuels, et le Graal de l’accord de coalition, ça sera pour plus tard, peut-être. Dans un système de scrutin majoritaire, on passe les accords avant, pas après le scrutin (comme c’est le cas dans les pays votant à la proportionnelle).

Je ne doute pas que ces deux structures, composées de gens raisonnables et responsables, arriveront à faire (tant bien que mal) le travail de clarification doctrinale et programmatique, et à trouver un terrain d’entente, même si cela n’ira pas sans psychodrames. Ils seront aidés, en cela, par la pression provoquée par les partis populistes, qui risquent fort de mettre de « l’ambiance » dans l’hémicycle, par une attitude militante bornée et agressive. Je crains que dans un premier temps, LFI et RN ne se lancent dans la confrontation et la surenchère démagogique, poussant encore plus LREM et LR dans les bras l’un de l’autre, l’électorat de ces deux partis (surtout LR d’ailleurs), craignant plus que tout le désordre.

Il serait imprudent, à ce stade, d’extrapoler sur un temps plus long, mais on peut penser que si les accords fonctionnent plutôt bien, une alliance de long terme peut se nouer. On reviendrait alors à un schéma connu, d’un parti dominant à droite, doté d’une vague aile gauche, et d’un autre parti, regroupant une droite plus hétéroclite, dont le ciment est de ne pas être dans le parti de droite dominant, tout en refusant de basculer à l’extrême-droite. On appellerait ça le RPR et l’UDF, et la boucle serait bouclée !

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Une majorité relative serait-elle une bonne chose ?

Le résultat des élections législatives s’annonce incertain. S’il est évident que le camp du président sera en tête, sa majorité sera étriquée. On sera très loin de la majorité confortable obtenue en 2017 par Emmanuel Macron, avec des novices en nombre suffisant pour lui permettre de faire ce qu’il veut, sans dépendre de personne.

Ce qui est clair, c’est qu’à partir de fin juin 2022, Emmanuel Macron aura besoin, a minima, de François Bayrou et d’Edouard Philippe, et au pire, du soutien de LR, voire du PS, selon les textes et les moments. C’est là que l’on va constater que changer la constitution n’est pas nécessaire, et que ce qui compte, ce n’est pas le texte mais la pratique. En effet, Emmanuel Macron va devoir réellement consulter, c’est à dire écouter et tenir compte des autres, en passant des compromis, sous peine de ne pas pouvoir faire passer ses réformes.

Cela risque d’avoir des effets inattendus, bénéfiques pour certains, catastrophiques pour d’autres, selon le degré de responsabilité et de maturité démocratique des élus, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition.

Cela risque de bousculer la culture politique française, beaucoup trop marquée par les postures de radicalité, au détriment des compromis et du pragmatisme. C’est très confortable pour tous. Pour l’opposition, cela permet de se faire mousser sur la pureté idéologique, sans avoir à travailler le fond. Pour la majorité, cela permet de décider seule sur les sujets techniques, sans avoir de réel contre-pouvoir. L’opposition ne faisant que « de la politique », les médias se contentent de ce spectacle (et en rajoutent) et personne n’explicite les tenants et aboutissants des décisions, et encore moins les enjeux à long terme.

Si le gouvernement veut embarquer avec lui des opposants sur des textes, il va devoir argumenter et convaincre, car un vote positif ou une abstention décisive, c’est un partage de responsabilité politique. Faire de la politique à l’Assemblée, deviendra peut-être un peu plus étudier le contenu réel des textes de loi, voire l’étude d’impact, et pas seulement l’exposé des motifs.

Soyons lucides, cela n’arrivera pas tout de suite. On aura d’abord des jeux de dupes, des « abstentions constructives » et des trocs « pétrole contre nourriture ». Les groupes permettant de faire l’appoint auront une « liste de course » qui se transformera, en fin de législature, en liste de trophées justifiant auprès de leur électorat, la justesse de leur choix de collaborer au cas par cas. En tout cas, c’est comme cela qu’ils vont l’envisager, et puis arriveront des textes où personne n’aura envie de porter la responsabilité d’un rejet, et où il faudra se mettre d’accord. Arriveront aussi des textes que le gouvernement veut absolument voir passer, et où il sera prêt à des concessions ou des contreparties. C’est par ces interstices que, peut-être, une culture de la délibération et du compromis « assumé » peut arriver à se glisser.

Une conséquence possible est la paralysie plus ou moins forte de la machine à légiférer, car si le Sénat entre dans la danse, et joue sa propre partition, cela pourrait vite devenir un vrai bazar. Si personne ne veut jouer le jeu des compromis, les lois ne passeront pas. Cela va obliger le gouvernement à faire des choix, à sécuriser en amont, ce qui prend du temps, et possiblement, de devoir déposer moins de projets de lois, et de ne plus pouvoir déposer à la volée, en séance, des amendements de trois pages. On pourra peut-être s’apercevoir que beaucoup de lois ne sont finalement pas si utiles, et que pour bien des dispositions, le gouvernement va redécouvrir qu’il peut passer par des décrets ou des ordonnances. Dans les deux cas, la qualité du droit n’en sera que meilleure (même si la démocratie n’y trouve pas son compte).

A l’inverse, cela peut aussi amener des textes législatifs complètement bâtards, avec des compromis politiques juridiquement baroques. L’expérience montre que dans ce domaine, la créativité des parlementaires est très grande. Là encore, tout va dépendre du sens de la responsabilité des parlementaires, et de leur culture du travail législatif.

Cette XVIe législature pourrait finalement se révéler beaucoup plus amusante et intéressante que la très insipide XVe législature, où l’Assemblée nationale a touché le fond.

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Faire campagne sur les points de permis

Face à une campagne atone en vue des législatives, où le nouveau gouvernement Borne ne suscite pas d’enthousiasme, Gérald Darmanin vient de faire lâcher une petite bombe. Le dépassement de vitesse, en dessous de 5 km/h, n’entrainerait plus de perte de points de permis.

C’est une petite bombe électorale, car c’est une proposition très fortement audible auprès d’un électorat qui est bien davantage acquis à Marine Le Pen qu’à Emmanuel Macron. Il ne faut jamais oublier que la crise des Gilets jaunes est née de la voiture, pas seulement du prix de l’essence. La baisse de la limitation à 80 km/h, sur les routes nationales, avait tassé la poudre de la crise sociale dans le baril, la taxe carbone n’a été que l’étincelle qui a tout fait exploser. Certains diront (à raison) que c’est démagogique et irresponsable, et qu’on porte atteinte à la sécurité routière, où parfois, le simple signal envoyé suffit, pour que les comportements se relâchent.

C’est là qu’on voit ce qu’est réellement « faire de la politique », c’est savoir trancher, et annoncer des mesures qui ont de réels inconvénients, mais dont les avantages, à l’instant T, sont plus importants. Oui, cette annonce est mauvaise pour la politique de sécurité routière (et on pourrait le payer par une remontée du nombre de morts et de blessés sur les routes). Mais à trois semaines des élections législatives, c’est aussi la seule mesure à peu près audible, qui puisse amener des électeurs du RN à se poser des questions sur leur vote (notamment au second tour, en cas d’absence de candidat RN). De plus, c’est amené par la bande, un « off » venu du ministère de l’Intérieur (à n’en pas douter un proche du ministre), donc à la fois crédible, tout en pouvant être démenti au besoin, par les étages supérieurs, si jamais le tollé est tel que le bénéfice coût/avantage devient négatif.

C’est aussi une petite bombe politique, car on peut tout à fait imaginer que cette annonce a été lancée sans prévenir Matignon auparavant, avec une Première ministre qui se retrouve devant le fait accompli. Moins de deux semaines après sa nomination, Darmanin, l’un des ministres les plus politiques du gouvernement, commence déjà à tester les limites, celle du pouvoir d’Élisabeth Borne et l’étendue des initiatives qu’il peut prendre.

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Elisabeth Borne, incarnation de la Macronie

Élisabeth Borne vient d’être nommée à Matignon. Un choix sans surprise, son nom étant avancé depuis le début, et surtout, elle colle tellement à l’essence même de ce qu’est devenue la Macronie. Elle en a, en effet, toutes les qualités (technocratiques) et les fragilités (politiques).

Coté qualités, la compétence sera au rendez-vous, il n’y a aucun doute. Le parcours est impeccable, sans erreur majeure et c’est une grosse bosseuse, qui connait ses dossiers et le fonctionnement de l’appareil d’Etat. Raffinement dans le choix, elle connait déjà à fond plusieurs des sujets qu’elle aura à gérer depuis Matignon : la planification écologique, la réforme des retraites, la restructuration du secteur énergétique (pour qu’il ne fasse pas faillite et construise huit EPR). Il n’y a guère que sur la réforme des institutions qu’elle n’a pas de références, mais ce sujet se négociera directement entre Macron et Larcher.

La faiblesse, sans surprise, vient du déficit politique. Élisabeth Borne est une technocrate, comme son prédécesseur, et n’a jamais été plongée dans le monde politique. Elle ne s’est jamais présenté à une élection, et sa candidature dans le Calvados, aux prochaines législatives, s’annonce comme une promenade de santé. De toute manière, c’est bien tard pour apprendre les codes de la politique. C’est en cela que sa nomination marque une évolution.

Edouard Philippe, bien technocrate lui aussi, a plongé très jeune dans le bain politique, et a révélé à Matignon un véritable charisme et un talent évident. Tellement évident qu’il a inquiété son N+1, qui s’est empressé de le mettre sur la touche dès que cela était possible, et de le corseter ensuite. Le suivant, lui aussi technocrate, avait également une petite expérience de la politique, à moindre niveau, puisqu’il n’a été qu’élu local. Mais au moins, il sait ce qu’est une « vraie campagne électorale », avec des réunions publiques dans des salles municipales et des séances de serrages de mains sur les marchés, avec en soirée, l’assemblée générale de l’association locale des anciens combattants, qui se termine par un pot au mousseux tiède.

Elisabeth Borne n’a pas du tout cette expérience. Et cela risque d’être un manque, car pour être un leader politique, il faut savoir comprendre ces codes, parler ce langage, qui ne s’apprend souvent que par le vécu. Le risque, pour un Premier ministre qui n’a jamais fait de politique, c’est de se retrouver en porte-à-faux avec sa majorité, avec ses élus locaux, et ne pas comprendre ce qui lui est dit, et ne pas savoir exprimer correctement les messages, et donc ne pas réussir à « embarquer » les français et les faire adhérer à la politique menée.

Or, il y a un gap entre ministre (où on peut très bien réussir en buchant bien ses dossiers) et Premier ministre, où finalement, on ne gère aucun dossier directement, mais on passe son temps à donner des directives et trancher des arbitrages, en ayant en prime l’obligation d’incarner une ligne politique, et de « donner du sens ». C’est toute la différence, entre « travailler » et « faire travailler ». On peut être un excellent directeur financer et un mauvais PDG, un bon journaliste et un piètre rédacteur en chef.

Le défi qui attend Élisabeth Borne, est de réussir cette mue, et de montrer qu’elle peut « incarner » une ligne politique et lui donne l’autorité nécessaire pour faire son job, sans faire de l’ombre à son chef. C’est loin d’être évident, car Édouard Philippe a parfaitement réussi à « incarner », mais en faisant de l’ombre à son chef, et Jean Castex, s’il a réussi à ne pas déplaire au chef, n’a pas incarné grand chose (même si le personnage était plutôt sympathique).

Le pari d’Emmanuel Macron est de croire qu’il peut continuer y arriver en étant le seul à « incarner » et à s’exposer en première ligne, face aux Français. Il s’en est bien sorti depuis 2017 (avec parfois beaucoup de chance). Est-ce que cela durera ? Pas sur…

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La gauche sort peut-être enfin la tête de l’eau

La gauche française serait-elle en train de vivre, ces jours-ci, l’un des ces moments où, en dépit de tout, elle arrive à renaitre de ses cendres ? Cette période entre les présidentielles et les législatives sera peut-être vue plus tard comme le moment fondateur d’une reconquête du pouvoir.

Malgré le bruit et la fureur, les petites phrases et les coups de gueules qui partent dans tous les sens, la gauche semble bien partie pour se présenter unie (autant que c’est possible à gauche) pour les législatives. C’est en soi un petit miracle, que je n’aurais pas pronostiqué il y a encore un an. Plusieurs murailles sont tombées, en un temps assez record. Les socialistes et les insoumis se sont assis à la même table, sans s’insulter et en ressortant contents des deux cotés. L’ensemble de la gauche accepte le leadership de Mélenchon sur la coalition, ça aussi, ce n’était pas gagné, tant les haines sont cuites et recuites, et que le bonhomme est clivant (pour ne pas dire plus).

Cette série d’avancées est le fruit du réalisme : quand on fait 1,75% à la présidentielle, on n’a pas les moyens d’exiger grand chose, et si on sauve ses sortants, c’est déjà beau. C’est aussi le résultat du seul verdict que les politiques acceptent, celui des électeurs : avec 22%, soit bien au delà de son socle, Mélenchon a fait la preuve qu’il rassemble la base sur son nom. Le signal est très clair, les électeurs de gauche veulent l’union. Très naturellement, comme les abeilles d’une ruche suivent la reine, où qu’elle aille, les cadres politiques des partis vont là où sont les électeurs. Sinon, c’est la mort politique assurée.

Tout cela ne se passe pas sans turbulence, car les périodes de redistribution des cartes peuvent amener des changements dans les hiérarchies, entre partis, et surtout, entre responsables politiques au sein d’un même parti. Si le PS sort des législatives avec plus de députés qu’en 2017, les opposants d’Olivier Faure n’auront plus grand chose à dire, et perdront assez rapidement leur crédit politique. Car au sein d’un parti, ce qui compte, c’est la conquête et la conservation des mandats et des positions de pouvoir. Le reste est de la littérature.

Reste maintenant à consolider tout cela, et c’est un énorme boulot, car l’édifice reste fragile. Il faut déjà que les résultats soient au rendez-vous le 19 juin au soir, sinon, tout s’effondre. Il faut aussi que les insoumis soient responsables, et acceptent le jeu de l’union, sans chercher à bouffer les autres. Le dosage est subtil à trouver et chacun doit jouer le jeu loyalement avec des partenaires, en respectant les sensibilités. Il faut enfin, dans la durée, que les militants et cadres des différents partis réapprennent à se parler, à se connaitre, et pourquoi pas, à s’apprécier.

Viendra ensuite le temps de la reconstruction idéologique, du programme, et du tissage de réseau avec les acteurs de la société civile de gauche, qui attendent désespérément qu’une structure politique se remette à fonctionner. On n’est pas au bout du chemin (ni des chicayas), mais la machine semble remise sur les rails, et pourrait être en mesure, en mettant suffisamment d’eau de rose dans le vin rouge du programme LFI, et en faisant émerger de nouveaux visages, d’être une force d’alternance crédible pour l’après-Macron. Et ce n’est pas dit qu’il faudra attendre jusqu’en 2027 pour que l’occasion se présente…

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Le Pen et le Chaos

Depuis le soir du premier tour, et la qualification de Marine Le Pen, un certain nombre d’arguments sont avancés sur le « risque » de l’arrivée du RN au pouvoir. Certains dénoncent le fait qu’elle soit raciste et d’extrême-droite. Même si cela est vrai, le principal souci ne serait pas là, mais dans le chaos où elle plongerait la France.

Si effectivement, une victoire est possible, vu que Marine Le Pen est au deuxième tour, cette hypothèse n’est pas la plus probable. Quand bien même elle gagnerait, elle rencontrerait immédiatement des obstacles, qui l’amèneront, si elle arrive à conserver le pouvoir, à mettre beaucoup d’eau dans son vin, et à ne finalement appliquer qu’une part infime de son programme.

Le mandat d’Emmanuel Macron prend fin le 13 mai, avec un gouvernement Castex qui restera en place jusqu’à cette date. Donc entre le 24 avril et le 14 mai, Marine Le Pen n’aura aucun pouvoir pour mettre en œuvre son programme, juste celui de parler pour faire face aux énormes difficultés qui vont surgir dans les 24 heures et éventuellement s’enfoncer un peu plus.

On risque d’avoir des émeutes, provoquées par l’extrême gauche, accompagnées d’un certain nombre de dérapages venus d’une extrême-droite qui se croit enfin arrivée au pouvoir, donc libre de sa lâcher (bavures policières à prévoir). L’ambiance ne sera pas à la fête mais à la guerre civile. Tous les ingrédients d’une réaction en chaine sont en place !

Les marchés financiers vont réagir très brutalement, avec un effondrement de la notation de la dette française, mais également des cours à la bourse de Paris et de la cotation des entreprises françaises sur les bourses étrangères (sans parler de la fuite des capitaux). Du fait de notre dépendance forte aux marchés, pour financer notre déficit, cela va vite devenir intenable pour le fonctionnement du pays. Les attaques vont également porter sur l’euro, ce qui ne va pas plaire du tout à nos partenaires européens, qui vont multiplier les déclarations indiquant que la France de Marine Le Pen sera (au mieux) traitée comme la Hongrie si jamais elle dépasse d’un millimètre la ligne jaune. L’influence française à Bruxelles va disparaitre et plonger le fonctionnement de l’UE dans le chaos.

Si jamais le calme revient, et que les élections législatives peuvent se tenir aux dates prévues, il n’est pas dit que le RN les gagnent, une partie des électeurs de Marine Le Pen ayant eu une démonstration, grandeur nature et devant chez eux, des problèmes qui pourraient se poser. Et cela portera sur du très quotidien. Il suffit qu’il y ait des ruptures d’approvisionnement (alimentation, carburant…), des retards de paiement de pensions et de salaires et que leur vie quotidienne soit affectée, pour qu’ils soient moins sûrs de leur vote.

Si, malgré tout cela, Marine Le Pen arrive à avoir une majorité à l’Assemblée, ses marges de manœuvre seront très limitées. Elle sera sous la surveillance étroite des marchés financiers, de ses partenaires européens, avec une résistance plus ou moins sourde d’une partie de l’appareil d’Etat. Sans parler du verrou de la Justice, qui pourrait l’empêcher de prendre des mesures illégales et inconstitutionnelles. En cas de bras de fer, Marine Le Pen ne s’en sortira que par un coup d’Etat, qui détruirait la légitimité démocratique de sa victoire dans les urnes. Sans compter un climat social exécrable, l’extrême-gauche continuant à provoquer le désordre. On aurait un gouvernement composé de seconds couteaux et d’affairistes, encadrés par quelques ralliés de la haute fonction publique conservatrice, qui mènent une politique à la petite semaine, loin des grandes ambitions affichées.

Le vrai risque de l’arrivée au pouvoir de Marine Le Pen n’est pas la mise en œuvre d’un programme xénophobe, mais que notre pays se disloque encore un peu plus, et ne devienne une Nation du Tiers-Monde, réaffirmant avec force une fierté et un rang qu’elle a encore moins les moyens de tenir.