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La culture politique franchit un cap décisif

Sébastien Lecornu a réussi à passer un obstacle de taille, ce 9 décembre, avec l’adoption du PLFSS, en nouvelle lecture, par les députés. 247 voix contre 234, la marge n’est pas énorme, mais après l’adoption définitive du projet de loi de finances de fin de gestion, c’est le deuxième texte financier qui passe le cap. Il reste encore un vote, en lecture définitive, mais comme le texte du PLFSS ne devrait quasiment plus bouger, il n’y a aucune raison que le dernier vote n’aille pas dans le même sens.

Reste maintenant à faire adopter le projet de loi de Finances. Cela semble à portée, car jusqu’ici, les sénateurs n’ont pas franchi de ligne rouge, ni saccagé le texte dans un sens qui le rende inacceptable pour le PS. La prochaine étape est donc la commission mixte paritaire, qui devrait avoir lieu entre le 15 et le 19 décembre prochain. Elle sera probablement conclusive, avec de bonnes chances d’être ratifiée le 23 dcembre. Personne, et surtout pas les sénateurs, n’a envie que les débats parlementaires se prolongent en janvier et février, avec tous les problèmes générés par une loi spéciale et une adoption tardive du budget. En effet, dès la rentrée, la campagne des municipales va démarrer pleinement, et pour les sénateurs (surtout ceux qui sont renouvelables en septembre 2026), c’est une priorité absolue.

Le principal point d’achoppement sera de faire passer la pilule à l’Assemblée. Sébastien Lecornu a des billes pour ça. Si le PLFSS est passé, pourquoi donc le PLF ne passerait pas ? Ce serait aux socialistes de justifier leur refus de voter le PLF, et d’assumer la responsabilité de la crise politique qui s’en suivrait. Si le gouvernement ne leur donne aucune prise, et aucune « ligne rouge » emblématique à brandir comme raison de leur refus, ils sont coincés. De plus, aux yeux de l’opinion, les socialistes ont eu leur victoire et leur prise de guerre. Venir ensuite cracher dans la soupe, et renverser le gouvernement, une fois leur victoire obtenue, est à haut risque politique pour leur crédibilité, notamment en tant que parti de gouvernement.

En votant pour le PLFSS, les socialistes se sont engagés en profondeur, avec un effet cliquet qui leur interdit tout recul. Ils doivent aller jusqu’au bout, car le deal conclu en échange de la suspension de la réforme des retraites, est un paquet groupé sur l’ensemble des textes financiers. Essayer de faire une distinction entre les deux est inaudible dans l’opinion publique.

Ils se sont également engagés peut-être un peu plus loin qu’ils le pensaient, car s’ils votent le budget, ou s’abstiennent, ils frôlent l’entrée dans la majorité gouvernementale. En effet, les deux marqueurs politiques de l’appartenance à la majorité, c’est voter le budget, et ne pas voter de motion de censure. Cette séquence est marquante, car elle montre qu’une « Grande coalition » à la française n’est pas impossible. On vient de le faire de façon temporaire et ponctuelle, presque subrepticement.

Sébastien Lecornu a réussi car, contrairement à Emmanuel Macron, il sait faire de la politique. Il l’a joué humble et modeste, sans chercher à tout imposer, sans humilier. C’est comme cela que l’on construit une relation de confiance, qui permet l’aboutissement de deals politiques. Ces deals peuvent être ponctuels. Ils peuvent aussi être plus durables et transformer la culture politique et parlementaire française. Ce sera compliqué, à l’avenir, de dire que c’est impossible, puisqu’on l’a déjà fait. Un cap est franchi.

Si tout se passe bien, que l’on part en vacances deux tous les textes financiers votés, Sébastien Lecornu est sans doute en place jusqu’à la présidentielle de 2027. Jusque fin mars, tout le monde sera concentré sur les municipales, et ensuite, on sera à un an de la présidentielle. Et là, ça devient compliqué de dissoudre, car il ne sera pas possible de re-dissoudre avant un an. Hors, ce que veulent les différents candidats à la présidentielle, c’est conquérir l’Elysée, avec des législatives dans la foulée, pour essayer d’obtenir une majorité à l’Assemblée, en profitant de l’élan de la présidentielle. Ce sera ballot d’être élu président en mai, et de ne pas pouvoir dissoudre avant juin ou juillet. Dès à présent, le spectre d’une dissolution de l’Assemblée s’éloigne.

Pendant l’année et demie qui reste, Sébastien Lecornu n’aura pas une marge de manœuvre énorme, et ne pourra sans doute pas lancer de grandes réformes. Mais il sera celui qui est en place, et c’est très important, pour se faire connaitre, et acquérir une stature politique. Quand il a été nommé à Matignon, Sébastien Lecornu n’avait absolument rien d’un présidentiable.

Ce ne sera peut-être plus le cas dans quelques mois, notamment si le climat géopolitique se tend. Tous les signaux montrent que la Russie envisage très sérieusement de mettre sous pression une Europe qui ne bénéficie plus du bouclier militaire américaine. Si jamais l’Ukraine accepte un cessez-le feu, les troupes russes sont disponibles pour aller sur un autre terrain. Ce n’est pas écrit, mais c’est de moins en moins improbable. Dans ces conditions, le réflexe, bien naturel, est de se ranger derrière les dirigeants en place. Quand en plus, ils sont respectés, et apparaissent comme compétents, ils peuvent même être réélus…

3 réponses sur « La culture politique franchit un cap décisif »

Je pense qu’il a compris (même s’il ne l’avouera jamais) qu’il a fait une grosse connerie. Dissoudre à nouveau, juste pour faire chier, achèvera de le discréditer, et il sera pousser à la démission.

Il a fallu combien de temps à notre classe politique pour enfin recommencer à faire à peu près correctement son travail?

Voter un budget devient un exploit !
Le seul pays qui a ma connaissance foire ça, c’est les USA de Trump, et moins longtemps que nous ! C’est dire le niveau abyssal…

Le discrédit de la classe politique dans son ensemble est grand, plus qu’avant cette séquence lamentable ouverte lors de la dissolution…

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