Mis en place en 2013, les mécanismes de transparence de la vie publique, gérés par la haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP), sont un échec. La promesse initiale d’être un outil de réconciliation entre les citoyens et leurs dirigeants n’est pas tenue, et en plus, de très nombreux effets de bord négatifs ont été créés par cette bureaucratie inefficace. Si l’objectif politique d’une amélioration de l’honnêteté en politique doit rester, il faut sérieusement revoir le dispositif.
Le premier vice de conception tient à une confusion entre l’existence d’une situation objective (je suis actionnaire de telle société) et l’existence d’une dérive (je favorise cette société dans le cadre de mon mandat). La notion de conflit d’intérêt pose des difficultés, car elle pousse à faire voir comme existants, des problèmes qui ne sont que virtuels, et pourraient ne jamais devenir réels. On cloue au pilori des personnes étant dans une situation objective, sans la moindre preuve qu’il y ait effectivement une dérive préjudiciable. Parfois, cela va loin, comme la ministre Pannier-Runacher, critiquée à cause de la composition du portefeuille boursier de son père, sans qu’il y ait le moindre élément montrant que cela ait eu une influence sur son action au gouvernement.
La dispositif repose également sur du pénal, qui par nature, est une sanction forte mais aléatoire. C’est un peu comme les accidents d’avion, on a statistiquement très peu de chances d’en être victime, en revanche, si l’accident survient, l’ensemble des passagers sont tués. Cela créé une pression sur les personnes concernées, qui provoque un malaise. Le dispositif est encore plus vicieux, car on peut être condamné sur des faits réellement problématiques de corruption, mais aussi pour ne pas avoir bien rempli ses obligations déclaratives, en l’absence de tout fait de corruption. Une personne foncièrement honnête, mais un peu négligente, peut se retrouver sanctionnée, comme cela a été le cas de Jean-Paul Delevoye. Il a du quitter le gouvernement, pour avoir pris un trop à la légère cette obligation déclarative, alors qu’il n’avait rien à se reprocher sur les questions de probité.
Ce dispositif est un bureaucratie kafkaienne, qui demande à 98% des personnes, qui sont honnêtes et de bonne volonté, de remplir des questionnaires très détaillés, sur leur vie, de passer du temps à tout rechercher, en leur mettant une épée de Damoclès pénale. On peine à imaginer, en dehors, la violence que peut représenter, pour les personnes concernées, ce déballage de leur vie privée, parfois de leur histoire personnelle. Il faudrait que sortent les témoignages de personnes ayant mal vécu leurs contacts avec la HATVP. J’ai en tête l’exemple de ces députés battus en juillet 2024. Ils ont reçu l’injonction (avec menace implicite de poursuites pénales) de rendre toutes leurs déclarations de sortie de mandat avant le 9 août (2 mois après la dissolution), alors que pour certains, ils sont en pleine campagne électorale, ou en phase de sidération après une défaite qu’ils n’ont pas vu venir.
Tout le dispositif repose sur une détection des potentiels conflits d’intérêts, sans se donner les moyens de vérifier s’il y a effectivement un problème. L’institution de contrôle n’a pas de moyens suffisants pour faire son travail, et ne les aura jamais. Elle peut tout juste traiter les dossiers entrants et faire un peu de pédagogie.
L’un des problèmes de fond, jamais évoqué, est que la HATVP est un organisme extérieur aux secteurs qu’ils doit contrôler. Il n’a donc pas accès aux informations réellement sensibles, aux signaux faibles que l’on perçoit quand on est impliqué, aux éléments qu’on se communique entre pairs, mais pas à un gendarme. Le contrôle externe oblige à demander aux contrôlés une masse d’informations, dont la plupart ne sont pas utiles, d’où un effort bureaucratique, sans que leur traitement par l’instance soit pertinent, faute d’avoir les bons réflexes ou les signalements de ce qui est réellement problématique.
Le vrai contrôle devrait être interne, au sein même de chaque secteur, avec des contrôleurs qui sont à l’intérieur, et qui ont les « bonnes » informations et savent détecter ce qui ne va pas. Reliés à la HATVP, il seraient une sorte de « signaleurs de confiance », qui orientent les contrôles vers les personnes qui dérapent. Ce maillon est complètement absent, alors qu’il est essentiel au bon fonctionnement du dispositif.
Dans le même ordre d’idée, on pensait que la transparence, en soi, suffirait à restaurer la confiance des citoyens. Le résultat est catastrophique, car les citoyens ne s’emparent que des informations les plus croustillantes, comme les éléments de patrimoine, pour alimenter un « élu-bashing ». Les déclarations d’intérêt et de patrimoine sont devenues un réservoir de munitions pour opposants politiques. Pour que la masse d’information soit correctement traitée, il faut des intermédiaires, qui développent des outils, qui fassent de la pédagogie. Livrer des éléments bruts, à des personnes qui ne connaissent pas les tenants et aboutissants, ne peut conduire qu’à des malentendus, voire pire. On le voit par exemple avec les sites mesurant l’activité des députés, qui balancent des statistiques de présence, purement quantitatives, sans expliquer à quoi cela correspond, à des citoyens qui ne connaissent pas la procédure parlementaire. Or, là encore, ce maillon indispensable n’est qu’embryonnaire, et l’outil passe donc à coté de sa cible, qui est de renforcer la confiance des citoyens dans leurs élus.
Une refonte est indispensable en impliquant beaucoup plus les groupes concernés (élus, lobbyistes, hauts fonctionnaires), dans une logique d’autorégulation, sous la surveillance d’une autorité indépendante, qui peut éventuellement prononcer les sanctions, ou transmettre à la justice, après enquête. Il faut également alléger les déclarations aux éléments substantiels, en donnant à la HATVP le pouvoir d’aller chercher elle-même les informations pertinentes, auprès des banques et des services fiscaux, de Tracfin. Ces derniers pourraient aussi avoir une obligation de signaler des incidents concernant des publics précis, signalés comme sensibles.
10 réponses sur « La HATVP est un échec »
Alors, oui, mais… sur le rôle des banques comme « auxiliaires de police », il faut avoir eu l’occasion de constater la mécanique infernale de la désignation comme PEP (politically exposed person) et ses conséquences collatérales sur le conjoints, les parents, etc. pour être certain que, comme la HATVP, c’est une fausse bonne idée (ou alors ça demande une intelligence dans la mise en œuvre dont nous sommes collectivement peu coutumier…).
Décidément, bon sur le principe, quand je remplis ma déclaration de revenus, si j’omets quelque chose, c’est de ma faute, il en va ainsi dans tous les domaines administratifs, et avant d’être exposés à de dures sanctions, l’homme politique fait l’objet d’une invitation ferme mais correcte à régulariser sa situation, ce que le fisc n’accorde pas toujours à ses administrés. Donc la « phobie administrative » comme excuse ça va bien. Nous sommes tous soumis à des déclarations multiples, je vous invite à regarder le formulaire d’obtention du RSA pour comprendre à quel point ces choses trop compliquées pour les hommes politiques (sic ?) frappent tout le monde.
Quant à la découverte des patrimoines et intérêts des uns ou des autres, oui, parfois je suis tombé de ma chaise, je crois que le citoyen a le droit de savoir qui le représente et d’où il vient.
Il me semble que ce sont les enfants de Dame Pannier Runacher qui détiennent indirectement des parts ou actions PERENCO logées dans une société domiciliée dans un paradis fiscal, comme ils ne sont pas en âge de gérer ce patrimoine, ce sont les parents qui s’en chargent. D’où le déport demandé par l’autorité de contrôle. Pas de quoi être particulièrement offusqué donc.
Mélanger cela avec des dispositifs non officiels d’activité des parlementaires est dirons nous capilotracté pour le moins. Et je ne crois pas que les critiques sur le « salaire » des parlementaires mis en regard avec leurs performances de législateurs soient le fait de gens qui consultent ces statistiques. La plupart voit le cirque dans l’hémicycle lors des séances diffusées par LCP ou les JT et se font leur religion ainsi.
On peut ne pas être d’accord avec la HAPTVP, mais votre remise en cause me semble un peu courte et surtout opportuniste.
Tout à fait d’accord.
Dans la dernière édition du canard enchaîné ils mentionnent 12 corrections sur l’imposition suite à la déclaration HATVP sur la trentaine de ministres investigués… on est loin des 98 % d’honnêteté mentionnés dans le post!
Les rectifications portent souvent sur l’évaluation de la valeur des biens immobiliers, les déclarants reprenant souvent (de bonne ou mauvaise foi) des montants plus à jour par rapport à la valeur actuelle. Si on en reste à une simple « rectification », c’est qu’il y avait de la bonne foi, sinon, il y a des poursuites fiscales, voire pire. Une ministre, Caroline Cayeux, a dû quitter le gouvernement à cause de ça, car la sous-évaluation était énorme, et ne pouvait pas être de bonne foi. Elle s’est retrouvée derrière avec un gros redressement en prime. Ce n’est pas pour autant qu’elle est corrompue.
La déclaration de revenus à un but bien précis, établir le montant de votre impôt. Pareil pour les autres formulaires, dont le but est de déterminer si vous remplissez les conditions pour bénéficier d’une aide. Pas de savoir si vous êtes vertueux ou pas, et elles ne sont pas publiques. Le principe de remplir des déclarations par les parlementaires n’est pas une mauvaise en chose en soi, à condition que l’utilité de ce qui est demandé soit pertinent, et qu’on n’impose pas une charge de travail inutile.
Concernant Pannier-Runacher, qu’il y ait des obligations de déport ne posent pas de problème. Ce sont les attaques purement politiques, qui posent plus problème, car elle n’est pas responsable de ces investissements, qui sont ceux de son père, ni du choix du mode de transmission. Pourtant, elle se retrouve mis en cause, et contestée politiquement sur cette base, et pas sur la base de son action et de ses choix personnels. Personnellement, je me moque largement de savoir si celui qui me représente est riche ou pas, je regarde surtout ce qu’il propose et ce qu’il fait. Le but du contrôle sur le patrimoine est de vérifier s’il n’y a pas d’enrichissement illicite. Pas besoin qu’elle soit publique, ni détaillée au centime près.
Le sur contrôle administratif frappe bien plus de structure que les seuls parlementaires.
Quand vous avez la dgccrf, les impôts, l urssarf, les douanes, etc… qui viennent contrôler une entreprises et que vous prenez dans les dents « mais, monsieur, c est la loi » sur des textes abscons, multiples et parfois pas très clair, vous le prenez très mal.
Regardez donc la quantité de textes de loi existants, pour certains inutiles, d autres contreintuitifs. La France est un pays qui a organisé une instabilité juridique en empilant les textes.
Que des politiques s en plaignent me pousse à dire qu ils feraient mieux de faire un vrai audit la dessus…..et pas uniquement sur eux. Mais bon.
Pour le traitement en interne des problématiques, pour moi c est net. J ai trop vu d arrangement entre copains et coquins. Jugé un jour, nommé juge le lendemain pour Jugé son ancien juge.
J ajouterais que les partis politiques ne semblent pas faire le ménage en interne.
La devrait être la première étape.
L’office HLM de la ville où je réside vient de prendre une grosse amende parce que 2/3 des attributions de logements se faisaient à des personnes dépassant les plafonds de revenus (quand on sait que 80% des gens en région parisienne sont éligibles à un logement social, ça interroge).
Dans la structure d’attribution des logements, ne siège aucun élu d’opposition.
Mais allons-y, comptons sur l’auto-régulation des politiques, comment pourrions-nous imaginer qu’ils seraient malhonnêtes si personne ne les regarde ?
L’auto-régulation ne fonctionne pas. Ce dont je parle, c’est la mise en place de contrôles internes, qui viennent en appui du contrôle externe de la HATVP. Le cas soulevé est typique : la HATVP n’a aucun moyen d’avoir cette information, sur la composition monocolore de la commission d’attribution. En revanche, en interne, l’info est connue, mais elle ne circule pas jusqu’à l’organe qui pourrait lancer une enquête.
Je partage l’absence générale de confiance dans la volonté supposée d’aito-regulation des politiques.
Et pour la HATVP, a-t’elle joue un rôle significatif dans la répression des situations Dr corruption manifeste type Balkany, Fillon, Cahuzac, mais pour celles qui ne sont PAS sorties dans les médias ?