Marine Le Pen vient d’être lourdement condamnée pour détournement de fonds publics. Quatre ans de prison dont deux fermes (sous bracelet électronique à domicile), 100 000 euros d’amende et surtout, 5 ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Rien de surprenant, tant le déroulement des audiences, et la défense en mode « déni » de Marine Le Pen ne pouvait amener que là.
Pour la vie politique française, c’est une déflagration. La candidate qui fait la course en tête dans les sondages (10 points d’avance au premier tout, sur le second) se retrouve sortie du jeu pour la prochaine présidentielle. L’inéligibilité avec exécution provisoire fait que sa candidature à la présidentielle sera rejetée par le Conseil constitutionnel. Le RN étant une PME familiale, qui a tout misé sur la cheffe, il n’y a pas de solution de remplacement. Même Jordan Bardella, pourtant président du parti, et faisant figure d’héritier dynastique, ne fait pas le poids. On se retrouve donc avec une potentielle redistribution des cartes pour la prochaine présidentielle, le candidat du RN (autre que Marine Le Pen) n’étant pas assuré d’être au second tour.
Le vrai risque est celui de la fuite avant de Marine Le Pen, qui s’érige en martyre « du système », sorte de Jeanne d’Arc qui devait sauver la France et finit sur le bucher. Elle sort du jeu démocratique, et se met à pilonner les institutions, pour créer une grave crise politique, qui mette à mal les institutions. Celles-ci étant fragiles, cette stratégie n’est pas complètement idiote, d’autant plus qu’elle peut s’appuyer (et être ainsi l’idiote utile) de dirigeants autoritaires, à commencer par Vladimir Poutine. Celui-ci a été d’ailleurs le premier à réagir, pour la soutenir. Pour la Russie et ses campagnes de déstabilisation des démocraties occidentales, une radicalisation de Marine Le Pen, c’est du pain béni.
Marine Le Pen n’a sans doute pas les moyens, à elle seule, de faire chuter la République. Elle n’a rien d’un génie politique, et si elle se retrouve isolée, va vite montrer ses limites comme idéologue et comme organisatrice. Je doute que l’appareil du RN, qui a gouté aux postes (123 députés nationaux, 3 sénateurs, une quarantaine de députés européens) veuille tout lâcher pour se retrouver dans la clandestinité avec elle, pour son seul profit. Il faut voir comment ils ont marginalisé Jean-Marie Le Pen, qui a perdu toute autorité une fois le flambeau passé à sa fille. Le risque politique est bien trop élevé, car les RN se voient encore comme du coté de l’ordre, pas du désordre. La solidarité avec une cheffe qui n’est pas celle qui conduira les prochains combats (et donc la distribution des postes) a ses limites. La guerre de succession qui va s’ouvrir au RN peut très bien la mettre sur la touche, ou la réduire au statut de cheffe populiste radicalisée, qui pourrait toutefois faire quelques dégâts supplémentaires.
Quoi qu’il arrive, cette décision de justice est un tournant de la vie politique française. Cela ne la sort pas pour autant de sa déliquescence, et peut même l’accentuer.
18 réponses sur « La condamnation de Marine Le Pen est un tournant »
Le précédent Jean-Marie Le Pen est intéressant.
J’ai longtemps pensé que ça finirait pareil avec la nièce virant la tante, mais ses aventures avec Zemmour l’ont peut-être trop éloigné du parti.
Marine Le Pen peut aussi s’imaginer jouer avec Bardella comme Poutine avec Metvedev.
Le fondement idéologique raciste du parti, lui, n’est aucunement ébranlé.
Personnellement j’applaudis cette décision : si elle est corrompue il est normal qu’elle soit condamnée.
Et si elle n’a pas prétendu ne rien savoir, c’est sans doute qu’elle ne pouvait pas au vu du dossier?
Le déroulé du procès ne laissait aucun doute sur la condamnation : la défense était calamiteuse. La seule question était la peine.
Bayrou s’en est tiré car il n’était pas lui même au parlement européen, c’était plus facile de prétendre ne pas savoir.
Cette défense était impossible pour Marine Le Pen.
Maintenant, Marine Le Pen peut effectivement jouer la déstabilisation du système et mettre une pression maximale sur le Conseil Constitutionnel pour qu’il valide sa candidature en 2027.
Sauf que 2 ans, c’est long, et si ça ne fonctionne pas et qu’elle ne peut réellement pas se présenter, le parti aura manqué une chance historique de prendre le pouvoir.
Ce serait sans doute une meilleure stratégique de préparer une candidature Bardella dès maintenant plutôt que de devoir l’improviser.
Parce que la présidentielle, c’est une question de personne (ce qui est un problème, mais c’est un autre sujet). On voit mal les électeurs voter pour un prête-nom à la tête du pays.
« On voit mal les électeurs voter pour un prête-nom à la tête du pays. » Pourquoi cela ? Ce n’est pas une question rhétorique, mais on peut quand même se la poser quand on voit certaines élections municipales : https://www.nouvelobs.com/rue89/rue89-politique/20140210.RUE1972/cherie-tu-me-gardes-la-mairie-j-ai-rendez-vous-chez-le-juge.html.
Personne ne doute de la culpabilité de MLP.
Ce qui pose problème, c’est l’exécution immédiate, qui rend pratiquement sans objet le droit de faire appel. Je pense qu’il aurait fallu ne pas prononcer l’exécution immédiate et laisser les électeurs choisir en connaissance de cause.
On peut aussi s’étonner que, pour des faits similaires, les élus MoDem aient écopé de peines avec sursis (voire d’une relaxe pour Bayrou).
Un procès se joue sur les faits, leur matérialité et leur ampleur, mais aussi sur la défense, sur le fait que les prévenus reconnaissent ou pas les faits, ont pris conscience, ou pas, du problème. Dans le cas du RN, la défense a été calamiteuse, avec une reconnaissance clair des faits, mais un déni complet de leur caractère pénalement répréhensible. Avec en prime une sorte de morgue, où en tant qu’élus, ils se prétendaient au dessus de la loi. C’est le meilleur moyen de prendre le maximum !
Bayrou a été plus malin, en faisant en sorte de ne pas être dans la boucle. Il savait probablement, mais aucune preuve n’existe, et donc il a été relaxé au bénéfice du doute.
Les espoirs de prédation de l’électorat mariniste promettent un débat public réjouissant.
Un problème, ici comme dans d’innombrables situations tous les jours, est le délai judiciaire.
Si MLP pouvait obtenir une nouvelle décision en appel dans les 12 mois, on ne parlerait que de sa condamnation, pas de la question de l’exécution provisoire.
D’ailleurs, l’exécutif peut-il obtenir un audiencement a une date rapprochée dans ce cas exceptionnel, au regard de l’impact sur la démocratie nationale ?
L’exécution provisoire empêche toute candidature en cas de législative ou de présidentielle anticipée. Cela a son importance.
Les élus peuvent parfaitement voter une augmentation du budget de la justice, pour qu’elle puisse enfin fonctionner dans des délais décents.
Bizarrement, ça n’a jamais été une priorité, surtout pour les affaires qui concernent les élus.
L’enterrement généralisé des affaires dans certaines juridictions comme les Hauts-de-Seine a longtemps été la norme et ça arrangeait tout le monde.
Le résultat de 2027 sera à ce titre très éclairant. Est-ce que l’électorat français aura encore un peu de lucidité et de probité pour sanctionner le RN ? Ou à l’inverse est-ce qu’on se rendra compte que même ça n’a plus d’importance tant les positions et les rancoeurs sont verrouillées dans chaque camp ?
L’électorat du RN, comme celui de Trump, se fige de la probité.
Il est motivé par le racisme et le ressentiment.
La question est plutôt de savoir qui quelqu’un d’autre que Marine Le Pen peut incarner ce courant. Il faut quand même un minimum de charisme, et Bardella n’est pas là pour ça, mais parce qu’il lui est loyal.
Personnellement je suis atterré par cette réaction officieuse du CC:
https://www.marianne.net/agora/analyses/jean-eric-schoettl-le-pen-ineligible-les-juges-se-rebellent-contre-le-conseil-constitutionnel-et-contre-les-electeurs
Pour comprendre : c’est bien le CC (et donc l’auteur de l’article) qui se pose en gouvernement des juges, mais accuse les autres de ce qu’il fait lui.
« Une décision juridiquement discutable, politiquement lourde, qui soulève de sérieuses questions sur le respect du droit d’éligibilité, la souveraineté populaire… et la tentation d’un gouvernement des juges. »
C’est a la decision de CC, en réalité politique que cette citation devrait s’appliquer!
A partie du moment où un tribunal juge sur des considération politiques et non sur les faits, c’est LÀ où on peut parler de « gouvernement des juges » c’est-à-dire de modification de la loi votée par le Parlement par une instance judiciaire, pour des motifs politiques.
Et ce que je viens de décrire, c’est l’exercice A TEMPS PLEIN du conseil Constitutionnel.
Si personne de haut placé ne gueule, c’est qu’en cas de problème, la loi est tordue dans le sens qui arrange la caste dirigeante, et après discussion en off avec elle…
J’ai besoin d’évoquer l’indépendance de, au hasard, Jean Louis Debre et Marc Guillaume par rapport au haut personnel politique et la haute administration ou c’est bon?
Cette caste dirigeante se mettant elle-même au dessus des lois qu’elle a elle-même voté dès qu’elles ont un effet concret sur un de ses membres me mets hors de moi et me rends de plus en plus poujadiste!
L’auteur de l’article n’a pas plus rien à voir avec le CC, et s’exprime en son nom, certainement pas au nom de l’institution.
C’est vrai, mais je doute que le fait qu’il soit ancien membre du CC ne signifie rien.
J’espère vraiment que l’avenir me donnera tort, et que la décision du CC ne sera pas d’interdire toute peine d’éligibilité avant la retraite des hommes politiques…
Parce que vu les délais pour finir le processus judiciaire (cf les 18 ans après les fait pour le financement lybien de Sarkozy…) interdire toute exécution provisoire « tant que la condamnation n’est pas définitive » revient en pratique à ne pouvoir rendre inéligible qu’après la fin de la carrière politique.
J’espère VRAIMENT avoir tort.
Panouf
Vous feriez un bon inquisiteur. Marine Le Pen est condamnée et J.E. SChoettl qui ose la défendre en citant l’extrait de la décision du conseil constitutionnel donné dans le précédent billet de notre hôte se trouve donc condamné par vous.
Voulez vous condamner aussi Varouflakis qui dit que « l’utilisation des assistants parlementaires pour les affaires [nationales] du parti est probablement une pratique courante de tous les partis. »
https://www.marianne.net/politique/le-pen/une-grande-victoire-pour-le-fascisme-pour-yanis-varoufakis-la-condamnation-de-marine-le-pen-est-une-grave-erreur
Certes Marine Le Pen est condamnée en suivant la loi, mais ce sont des juges qui interprètent la loi et décident de la gravité des faits.
@michel : Ce que je souhaite, c’est que la loi s’applique pour tous, sans régime d’exception pour les hauts placés, contrairement à ce que semble vouloir instaurer le conseil constitutionnel.
Et si l’inéligibilité était réellement si inconstitutionnelle que ça pour les hauts politiques, c’est au moment du Vote de la loi qu’il aurait fallu soulever le problème, et non pas pour sauver la soldate Le Pen…
C’est vrai, ce n’est pas fait, mais le formulé de la décision du CC me rend pessimiste… Et pour donner l’impression que la devise réelle de la République c’est « les copains d’abord, la loi ensuite, et l’intérèt général si on le temps » on ferait difficilement plus dévastateur qu’une inconstitutionnalité sortie du chapeau pour sauver un Présidentiable, et seulement à l’usage du personnel politique d’envergure nationale !
Pour les propos de Varouflakis, je crains qu’il n’ait à 100% raison : c’est même tellement habituel que ni Fillon ni Le Pen ne semblent voir en quoi c’était un problème ! (j’avais voté Fillon, pour information)
Et c’est justement une raison de plus pour appliquer une tolérance zéro sur ce type de délit !
Par contre, ce qui serait rigolo, ce serait de voir comment Marine Le Pen pourrait concrètement faire une campagne présidentielle (impliquant des meetings dans toute la France…) avec l’interdiction de quitter son domicile, et des caméras se faisant un malin plaisir de zoomer à chaque fois sur le bracelet électronique…
L’autorité qui décide du régime d’éligibilité, c’est le Parlement. Les magistrats n’ont fait qu’appliquer la loi. Les magistrats ont juste porté une appréciation, sur le risque de récidive de Marine Le Pen (qui est réel, puisqu’elle est dans le déni d’avoir commis la moindre infraction) comme le prescrit la loi, pour décider de l’exécution provisoire ou pas. Qu’une personne qui a détourné des fonds publics soit mis à l’écart, pour longtemps, de la vie politique, ne me pose pas de problème.