L’arrivée au pouvoir de Donald Trump est un tournant pour l’Europe. Les attitudes et les discours (comme celui de J.D. Vance à Munich) sont sans équivoque. Un tournant majeur a eu lieu à Washington, qui va nous impacter très fortement et nous obliger à réagir.
Les dirigeants des États-Unis ont un profond mépris pour les démocraties libérales, et mettront tout en œuvre pour les faire basculer vers des régimes illibéraux, comme celui qu’ils mettent en place. Leur soutien à l’Afd en Allemagne, à Meloni en Italie ou à Orban, est explicite, et diplomatiquement peu correct. On est aux frontières de l’ingérence, et c’est parfaitement assumé. Derrière les questions géopolitiques, il y a une forme de croisade idéologique contre une forme politique née en Europe de l’Ouest, la démocratie libérale.
Le tournant est aussi celui de la brutalité. Trump et sa bande n’en n’ont rien à faire de la politesse, de la civilité et du respect des formes. Ce sont des brutes épaisses, qui ne comprennent que le rapport de force, et n’hésitent pas devant les intimidations. Tordre le bras d’un allié en l’humiliant au passage ne leur fait pas peur. Ce faisant, ils sont en train de détruire l’ordre mondial, qui repose sur le compromis et une recherche de l’apaisement des tensions. Sur la scène internationale, Trump est un collégien qui se comporte en caïd dans une cour de récréation de primaire.
Les européens savent déjà à quelle sauce Trump veut les manger. Pour leur défense, les européens ne pourront compter que sur eux, hors de question pour les États-Unis de continuer à garantir seuls la sécurité militaire du continent européen. Les européens sont donc priés d’augmenter très sensiblement leurs budgets militaires, tout en s’approvisionnant auprès du complexe militaro-industriel américain. Trump espère bien gagner sur les deux tableaux. Et en prime, il espère que les européens viennent lui baiser la babouche, en s’alignant sur ses positions idéologiques (« liberté d’expression, « wokisme »…)
Face à la Russie, il n’y aura pas de cadeau non plus. Les négociations ont commencé, facilités par une forme de proximité entre Trump et Poutine sur leurs conceptions de l’exercice du pouvoir et de la géopolitique. Trump ne fera pas de cadeau à Poutine, mais si les concessions se feront sur le dos des européens, cela ne l’empêchera absolument pas de dormir. A moins que les Européens viennent le supplier de ne pas le faire, et se couchent devant ses exigences. Un accord va probablement avoir lieu, où les USA peuvent lâcher l’Ukraine, voire même donner des marges à Poutine pour menacer l’Europe, en échange d’accords économiques où la Russie devra s’approvisionner aux États-Unis, et prendra ses distances avec la Chine (principal ennemi pour Trump).
Au niveau mondial, les États-Unis ont déjà commencé leur œuvre de déstabilisation, en quittant un certain nombre d’organisations multilatérales, en lançant des guerres commerciales et en coupant net l’aide internationale. Cela risque de fragiliser grandement un certain nombre de pays pauvres, et donc accroitre l’instabilité et donc le désordre mondial, avec un accroissement des migrations et une désorganisation du commerce mondial (pénuries de matières premières, difficultés logistiques).
Face à tout cela, l’Europe doit s’organiser pour tenter de faire front. Cela va demander d’importantes réorientations, dont nous n’avons pas les moyens. Financièrement, nous croulons sous les déficits et les dettes, et le seul moteur, l’économie allemande, est en panne. Politiquement, nous n’allons pas mieux. Le gouvernement est impuissant en France, va bientôt l’être en Allemagne, l’Italie est déjà chez Trump, et la légitimité de la Commission européenne (particulièrement de sa présidente) est faible.
La seule véritable capacité d’agir pour éviter cela est aux États-Unis. Mais il y a beaucoup d’inconnues. Quelle va être la capacité des opposants politiques de Trump à l’empêcher d’agir ? Quel poids du monde des affaires sur la politique de Trump ? Quelle solidité des contrepoids au sein des institutions, quand le Congrès et la Cour Suprême sont aux mains des Républicains et que Musk est en train de démanteler l’administration ?
L’année 2025 sera sans doute celle d’un tournant majeur, et nous y sommes bien mal préparés. Le risque est grand que nous ne soyons plus qu’un vassal, une colonie américaine, qui nous traite comme nous avons traité nos colonies africaines.
13 réponses sur « Le tournant géostratégique de 2025 »
À terme, le plus probable, c’est que l’Europe acte la rupture de l’alliance avec les États Unis et engage une véritable alliance stratégique avec la Chine.
Ah oui, quand même, il existe réellement des gens qui pensent que faire une alliance avec la Chine peut être une bonne idée.
@ Balthazard :
Il faut savoir ce qu’on veut. Soit on veut être un pays vassal des USA, et dans ce cas, on se retrouve comme Autheuil à attendre passivement que les choses changent chez eux. En espérant que ceux qui s’opposeront à Trump seront plus gentils avec nous (pourquoi ce serait le cas ? Mystère)
Soit on considère que nous avons des valeurs qui mérite d’être défendues, et cela suppose d’aller chercher des alliances chez ceux qui ont intérêt à affaiblir les USA.
Si vous avez quelques notions d’histoire, le choix est vite fait…
Encore faut-il avoir les moyens de nos ambitions. Cela fait déjà bien longtemps que l’Europe est une puissance de seconde zone, qui a complètement délégué sa protection aux USA (ça permet de faire des économies). Cela fait depuis 1945 et le plan Marshall, qu’on est un vassal des USA, mais leur intérêt et la politesse faisaient qu’ils évitaient de le faire sentir aussi brutalement.
L’Europe n’est pas une puissance militaire. Elle ne l’a jamais été. Pour rappel c’est une alliance de différents pays aux intérêts très divergents. Et pour certains une « vassalisation » avec les USA est bien plus profitable qu’une défense commune avec l’ancien ennemi / occupant, etc… Surtout que les grandes puissances européennes qui parfois rêvent de prendre la tête de cette défense commune (France, Allemagne, UK) ont démontrés à l’aune de la crise ukrainienne qu’entre les ambitions affichées, les moyens et la volonté il y a un gouffre. La France s’est fait le chantre d’une défense européenne mais cela a parfois été vu par certains comme une manœuvre pour utiliser des moyens communs pour défendre des intérêts qui n’étaient pas les leurs. Bref difficile de faire une puissance d’un conglomérat de pays aux passé si conflictuels. La vassalisation avec les USA est avec le recul pour la plupart de nos voisins un investissement bon marché et peu risqué.
Sans aller jusque là défendre un Taiwan indépendant est plus un problème américain qu’un problème européen…
Relire « Nous étions seuls, une histoire diplomatique de la France, 1919-1939 » de Gérard Araud ou « 1929-1935 : la crise » de Jean-Yves Le Naour. Trouver que l’histoire bégaie plus qu’elle ne rime. Espérer un sursaut. Le savoir peu probable. S’y employer malgré tout.
Les époques sont différentes. Et Araud à tendance à mettre un peu trop facilement tout sur le dos des anglais (ils ont leur part de responsabilités) mais c’est quand même un peu réducteur…
@Ares toute l’historiographie des années 20-30 (pas seulement Araud) suggère une mécanique infernale dont on peine à identifier les moyens et les moments qui auraient pu permettre une issue différente… l’inconstance américaine (tentation isolationniste), la boussole britannique (refus (même de la possibilité) d’un risque d’une hégémonie continentale), les travers français (préférence pour les principes généreux et les idées brillantes), la posture allemande (refus d’assumer l’issue de la 1ere guerre mondiale) : tous les ingrédients ont joué…
Le sujet, ce n’est pas le blame game mais l’enchaînement malheureusement très prévisible compte tenu du jeu, de la main des joueurs et de leurs habitudes.
Et la leçon pour aujourd’hui est double : se méfiez de ses postures et admettre que le pire est possible.
Allons allons, il suffit d’une balle, mieux tirée cette fois.
Trump ne peut faire ça que parce qu’il a une équipe derrière. Son vice-président est de la même eau, en moins clown.
Je trouve le billet un peu réducteur. Les jeux sont loin d’être fait. Les USA ne sont pas les seuls joueurs sur la table. Les exemples afghans, Irakiens et Syriens ont montrés qu’ils ont en face d’autres joueurs qui ont su être patient..
Et puis in fine les américains ne regardent pas trop la politique extérieur US: ils ne retiennent que 2 choses: taux de chomage et inflation. il n’est pas certains que la politique de Trump aille dans le bon sens.
Que la politique de cette administration n’aille pas dans le bon sens y compris et d’abord des intérêts américains (internes et externes) est une évidence. Que cela soit une source de confort, c’est douteux : le projet est parti pour être déroulé quelques soient les conséquences – à moins d’un crash des marchés action à court terme, je ne vois pas bien ce qui peut les arrêter.
Et il suffit de 100 jours pour changer de manière irréversible un régime !