L’actualité ne cesse de fournir des inquiétudes sur l’émiettement de nos institutions, voire de notre société démocratique. Parmi les piliers qui s’effondrent, figurent notamment les médias et les journalistes.
La presse d’opinion est une tradition (malheureusement) bien ancrée en France, avec des partis pris et des biais. Mais jusqu’ici, cela restait dans des proportions et surtout, des limites acceptables. Les remises en causes des institutions, et l’utilisation outrancière des moyens médiatiques pour défendre des intérêts économiques ou idéologiques restaient assez limités.
Ces derniers jours, des bornes sont en train d’être franchies.
Nous avons par exemple des journalistes, déjà connus pour leur déontologie à géométrie variable, qui prennent à partie des magistrats. Le tribunal administratif de Toulouse vient d’annuler le projet de construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. On peut penser ce que l’on veut du projet, ce n’est pas le sujet ici. Pour moi, le rôle des journalistes est d’expliquer les tenants et aboutissants de la décision, les réactions des différents protagonistes. A la place de cela, des journalistes s’en prennent ouvertement aux magistrats toulousains, pour contester leur légitimité à prendre une décision. Un ministre (du même bord politique) s’est livré récemment à ce jeu, contre les magistrats d’un autre tribunal administratif, avec comme résultat une vague de haine en ligne et des menaces de mort.
Ce qui est grave est que ces attaques visent à décrédibiliser une décision de justice, et à attaquer une institution officielle, parce qu’elle n’a pas rendu la décision qu’ils auraient souhaité. On passe au stade supérieur, qui n’est plus seulement de prendre parti dans un débat, mais on est carrément dans un travail de sape de la chose publique. Que cela vienne d’activistes politiques, c’est déjà choquant, mais venant de journalistes, c’est encore plus effarant. Le fait que ces journalistes-militants soient clairement de droite est une source d’inquiétude supplémentaire. Normalement, la contestation de l’autorité des institutions régaliennes, ce n’est pas dans L’ADN de ce camp politique. Et ce qui est drôle (si je puis dire) c’est que ces « journalistes » qui hurlent après le tribunal administratif de Toulouse, n’hésitent pas à dénoncer d’autres groupes politiques (du bord opposé, évidemment) parce qu’ils appellent à la désobéissance civile, alors qu’ils en sont les alliés objectifs.
Ce cas n’est malheureusement pas isolé, car de manière quasi concomitante, le groupe de presse de Vincent Bolloré s’est lancé dans une campagne de presse très violente contre l’Arcom, suite à la perte de la fréquence TNT de la chaîne C8. Outre des propos outranciers, visant à décrédibiliser la décision, assimilée à une atteinte à la liberté d’expression (qui peut croire à une telle escroquerie intellectuelle ?), des « journalistes » du JDD publient d’authentiques fausses nouvelles, et vont même jusqu’à pénétrer dans les locaux de l’Arcom, pour tenter de piéger et déstabiliser son président. On est dans les méthodes de barbouzes, d’un groupe industriel, qui utiliser ses médias pour chercher à faire plier une autorité publique, à cause d’une décision contraire à ses intérêts économiques.
On assiste en ce moment en France à une très dangereuse attaque contre la « res publica » avec des intérêts économiques et idéologiques qui se sentent tout permis pour arriver à leurs fins. Ils sont en cela soutenus par un segment politique, qui va de l’extrême-droite à une partie de la droite conservatrice, pour qui l’Etat de droit est finalement en option, juste quand ça les arrange. L’élection de Donald Trump semble en avoir désinhibé un certain nombre, qui se disent que le moment est venu de lancer l’offensive, et de prendre le pouvoir. Par n’importe quel moyen. En cela, ils rejoignent une extrême gauche qui est déjà sur ce chemin depuis un certain temps.
On se rapproche encore un peu plus d’une forme de guerre civile, car cela s’accompagne d’une polarisation croissante, où chacun va être sommé, à un moment ou un autre, de « choisir son camp ». Je ne serais pas surpris d’apprendre, un jour, qu’un fournisseur ou un sous-traitant d’un groupe industriel puisse être sanctionné, pour avoir pris position contre le « narratif » de défense des intérêts dudit groupe dans le débat public. La question n’est peut-être même plus de savoir si cela va arriver, mais quand.
L’idéologie est en train de prendre le pas sur les autres rationalités et même sur l’éthique, et c’est très inquiétant. Le « pilier démocratique » que représente la presse, est en train de s’effondrer, et de se mettre complètement au service d’intérêts idéologiques qui ne sont pas favorables à la démocratie libérale.