La semaine dernière, un sondage a montré qu’une alternative à gauche émerge, avec la personne de François Ruffin. Il est même donné meilleur candidat à la présidentielle que Jean-Luc Mélenchon. Certes, ce n’est qu’un sondage, mais l’hypothèse doit être prise très au sérieux.
Le principal problème de la gauche, je l’ai évoqué, est la succession de Jean-Luc Mélenchon. Il a été le seul à gauche, en 2017 et 2022, à avoir une chance réelle à la présidentielle (les deux fois, il n’est pas passé très loin du second tour). Sauf qu’à 72 ans (76 ans en 2027), il a dépassé la limite d’âge, et doit passer la main. Mais aucun candidat crédible n’apparait à l’horizon, avec à la fois une stature et la capacité à fédérer à gauche.
Ce sondage, c’est un peu la révélation. Je n’aurais pas pensé à lui avant, et voilà que d’un coup, je me dis que l’hypothèse est crédible, voire, que c’est déjà quasiment plié. Plusieurs éléments m’amènent à ce constat.
Nul ne peut reprocher à Ruffin, de ne pas être de gauche. Figure emblématique du mouvement « nuit debout », député depuis 2017, siégeant au groupe LFI, il dirige depuis longtemps un organe de presse militant, et son film « Merci Patron », ridiculisant « l’ultra-riche » Bernard Arnault en fait une icône de la gauche radicale. Pour autant, il ne s’est pas aliéné la gauche modérée, et dernièrement, il s’est beaucoup « recentré » dans ses prises de position. On dirait presque, en lisant ses derniers textes, un social-démocrate. En tout cas, à gauche, personne n’est contre Ruffin, et il fait pleinement partie de la famille.
Pour autant, François Ruffin a toujours été un indépendant. S’il siège au groupe de la France insoumise à l’Assemblée, il ne fait pas partie du parti, et s’en est régulièrement démarqué. Depuis le début de la XVIe législature, on le voit très peu participer aux chahuts et à la « bordélisation » des débats. Il joue ainsi très habilement, prenant le bénéfice d’être proche de LFI, sans être mêlé à leurs débordements, et donc au discrédit qui est en train de les toucher. Il n’est pas concerné par la guerre de succession interne à LFI, et au final, il va tous les mettre d’accord en prenant le leadership sur la NUPES.
Le personnage, en lui-même, est intéressant. Par son style, sa manière de s’exprimer, il détonne dans la classe politique, et peut revendiquer, contrairement à bien d’autres, une proximité avec les classes populaires, qui est sans doute réelle. En tout cas, il n’a rien à voir avec les apparatchiks embourgeoisés de la France insoumise, ou aux énarques socialistes. Il existe indéniablement une cohérence entre ce qu’il propose et ce qu’il est, et en politique, c’est capital.
Quand on écoute un peu ses discours, sur le fond comme sur la forme, on sent également une culture politique profondément de gauche et une réflexion qu’on ne trouve plus tellement en politique (à droite comme à gauche). Ruffin est un des rares qui a « quelque chose à dire » qui parle à la société telle qu’elle est en 2023. Il s’exprime notamment par le biais de documentaires et de films, vecteurs capables de toucher bien mieux la population que des tribunes dans Libé. Il a donc cette capacité à capter un électoral populaire, qui a depuis longtemps quitté la gauche, pour le RN ou l’abstention. Il est un des rares, sinon le seul, à gauche, à pouvoir faire bouger les lignes de ce coté là.
Enfin, le moment de ce surgissement est « optimal ». La succession de Jean-Luc Mélenchon s’enfonce dans l’impasse, avec des querelles internes entre les nouveaux tenanciers et la vieille garde, plus ou moins mise à l’écart. Le scandale Quatennens achève de discréditer le parti, par l’écart entre les valeurs affichées (féminisme et lutte contre les violences conjugales) et la réalité (mise à l’écart temporaire et réintégration d’un leader coupable de violences conjugales). La mauvaise image dans la population, données par les débordements réguliers des insoumis, achève de les marginaliser. Cela ne va pas mieux ailleurs à gauche, avec des Verts qui peinent à exister, vampirisés médiatiquement par Sandrine Rousseau, et un PS toujours en état de mort cérébrale idéologique et déchiré en deux camps presque égaux.
Au même moment, la macronie continue à patiner dans la semoule, incapable de trouver un élan politique. Le mandat d’Emmanuel Macron s’enlise toujours plus dans la gestion technocratique, et commence à désespérer jusque chez ses alliés, voire ses propres députés. A l’extrême-droite, l’hypothèse d’une possible victoire de Marine Le Pen continue à prendre corps. Au grand désespoir de la gauche et de ceux qui refusent la perspective de voir l’extrême-droite au pouvoir. En laissant les choses encore murir un peu, on pourrait avoir des centristes qui votent Ruffin pour éviter ça, chose inimaginable il y a encore quelques années.
Tout ces éléments, mis bout à bout, tracent une perspective, une forme d’alignement des astres. Mais, il reste encore du chemin et du travail, et cela dépend pour beaucoup de François Ruffin lui-même. Notre culture politique française est très marquée par l’homme providentiel (on peut le déplorer, mais c’est comme ça), et il est arrivé parfois à gauche que des personnalités refusent de s’engager dans une voie royale. Il y a eu Jacques Delors, et plus loin dans le temps, Pierre Mendès-France, qui auraient des chances très sérieuses à une présidentielle, s’ils n’avaient pas reculé devant l’obstacle.