Pris dans une crise politique autour des violences policières, le Premier ministre a pensé avoir trouvé la parade, en proposant de créer une commission indépendante, pour réécrire le très décrié article 24 de la proposition de loi sur la sécurité globale.
La démarche est très révélatrice, car loin d’être isolée. En effet, depuis le début de la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron multiplie les contournements d’institutions. C’est une Convention citoyenne qui est chargée de trouver des solutions au problème de la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Toujours sur les questions climatiques, on a créé un « haut conseil pour le Climat« , organe indépendant qui se voit associer à la définition de la politique du gouvernement. Pendant la pandémie, tout s’est joué entre un conseil scientifique, créé spécialement pour cela, et le conseil de Défense, un organe « officiel » mais pas du tout conçu pour le rôle décisionnaire qui lui a été donné sur ces sujets. Les institutions normalement en charge ont été allègrement contournée, et aujourd’hui, l’Assemblée nationale et le Conseil des ministre sont devenus des lieux vides, avec à peu près autant de pouvoirs qu’Elisabeth II.
Cette dérive n’est que le résultat mécanique du discrédit des institutions, qui se montrent de plus en plus incapable de remplir leur rôle, qui est d’élaborer et de légitimer les décisions de politique publique. Devant cette paralysie, le pouvoir en place cherche des solutions, pour continuer à avancer, et prendre des décisions qui, en même temps, tiennent techniquement la route, mais surtout, qui soient considérées comme légitimes et acceptables par la population (leur justesse technique étant un élément, mais pas le seul, de leur acceptabilité).
Vu comme cela, il y a une justification à demander à des professeurs de médecine ce qu’il faut faire face à une pandémie, ou au président de la commission consultative des droits de l’homme, sur la liberté de la presse et la lutte contre les violences policières. Ils sont les personnes idoines pour débloquer un dossier enlisé, ou l’euthanasier proprement. Cela révèle aussi en creux que les institutions normalement chargé de gérer le dossier, ont failli. Techniquement et politiquement. On le voit bien sur la gestion de la pandémie, l’administration d’Etat n’a pas été à la hauteur, tant dans la préparation que dans la gestion du début de crise, sans parler des absurdités technocratiques des confinements et déconfinements. Pareil pour l’article 24 de la PPL sécurité globale, où le ministère de l’Intérieur a cherché le passage en force et est en train de se prendre un mur en pleine face.
C’est à la fois une dérive, mais aussi un signe de vitalité. Face aux blocages politiques et techniques, Emmanuel Macron teste autre chose, cherche des solutions pour continuer à exercer, tant bien que mal, sa mission.
Nous vivons une crise politique et institutionnelle depuis maintenant plusieurs années. Une partie des solutions est peut-être en train d’émerger, sous nos yeux, de manière un peu improvisée. Cela peut valoir le coup de les analyser, en positif comme en négatif, et d’avoir des débats ouverts sur le bilan. Le strict respect des institutions et des prérogatives de chacun ne doit pas être un tabou, surtout quand la personne compétente n’a pas été mesure de faire correctement son travail.
Si les institutions qui défendent bec et ongles leurs prérogatives, ne veulent pas être contournées et vidées de leur substance, il ne tient qu’à elles de se ressaisir et de faire leur boulot, tant technique que politique.
4 réponses sur « A la recherche de la légitimité politique perdue »
Pas d’accord avec vous.
Le Président est responsable des personnes qu’il choisit en tant que ministres et dans les cabinets. Il n’a aucun droit à ne pas respecter les institutions, il en est le garant.
J’observais plutôt qu’E. Macron se passait des institutions parce qu’il pense pouvoir décider mieux que tout le monde et… se plante.
Les exemples sont nombreux et malheureusement ce n’est pas fini.
Dernier en date : l’annulation par le Conseil d’Etat ce mercredi d’une partie du décret réformant l’Assurance chômage. E Macron s’était passé du parlement (décret) et des gestionnaires habituels (organisations syndicales et patronales ayant formé recours devant le conseil d’Etat), pour donner tout pouvoir à un très proche (M. Ferracci).
Prochain en date : attendons de voir ce que le Conseil d’Etat dira de la suppression de la liberté d’instruction voulue par E. Macron lui-même (et pas Blanquer) prévue dans la loi séparatisme.
Et vous ne pensez pas, Authueil, que le Conseil d’Etat fait partie des institutions que notre Président, garant de celles-ci, devraient contourner ?
Confirmation factuelle du propos, merci Le Parisien.
https://www.leparisien.fr/politique/loi-separatisme-et-scolarisation-a-3-ans-le-conseil-d-etat-donne-des-sueurs-froides-a-macron-03-12-2020-8412207.php
Pour ce qui était de l’instruction en famille, c’était couru d’avance.
La question de la possibilité de supprimer la liberté d’instruction avait été posée directement au Sénat à M. Blanquer il y a seulement quelques mois et M. Blanquer avait été clair sur l’équilibre du droit actuel.
https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20200615/ce_radicalisation.html
(rechercher la question de M. Jean-Marie Bockel. – Faut-il aller jusqu’au bout, interdire ou conditionner davantage l’enseignement à domicile ?)
Pourquoi Macron a-t-il contourné ?
Pire, il est probable qu’il ne persiste en tentant jusqu’au bout un passage au parlement et devant le conseil constitutionnel, confirmant jusqu’à l’absurde sa tendance autocratique. Cela n’a rien de sain, bien au contraire.
Dans le cas de l’assemblée, c’est Macron et son gouvernement qui la réduisent au rôle une chambre d’enregistrement. Il ne peuvent pas se plaindre ensuite qu’elle ne corrige pas leurs erreurs.