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Figures de spiritualité

Ce billet part d’un tweet, lancé vendredi 11 septembre (une éternité sur les réseaux) où l’utilisateur Le Nain demande à ses followers de donner les figures qui ont compté dans leur spiritualité. J’ai eu envie de lui répondre (puisque très aimablement, il ne se limite pas aux catholiques, même s’ils sont son cœur de cible).

Plus que des penseurs, ce sont deux livres qui m’ont marqué dans mon itinéraire, « La subversion du christianisme » de Jacques Ellul et « Le désenchantement du monde », de Marcel Gauchet.

Deux ouvrages qui amènent à penser le fait religieux de manière radicalement différente, et à voir le christianisme avant tout comme une éthique de vie, une exigence que l’homme se fixe à lui-même. Une religion qui en arrive presque à se passer de la figure de Dieu.

Marcel Gauchet explique que le christianisme est en rupture avec les autres croyances, et est la « religion de la sortie de la religion ». C’est une croyance qui amène à sortir des pratiques habituelles, basées sur une pensée magique, à bases d’esprits surnaturels, de miracles, sur lesquels se sont bâtis des clergés intercesseurs, dont l’un des rôles primordiaux est l’encadrement social.

Jacques Ellul, montre lui que ce message libérateur de la religiosité a été complètement récupéré et retourné. L’église catholique a en effet construit, sur ce message anti-religions, un édifice tout ce qu’il a de plus religieux, réintroduisant le fatras du surnaturel, et un appareil de pouvoir chargé d’encadrer tous les aspects de la vie des gens. Un comble, qui ferait se retourner Jésus dans son tombeau, s’il y était resté !

Sauf que malgré toutes les tentatives, le cœur du message des évangiles résiste, avec ponctuellement, des poussées de retour aux sources. Elles sont réprimées sévèrement, par l’élimination physique des hérétiques, surtout quand ils remettent en cause le pouvoir de l’institution religieuse. Parfois, elles sont récupérées et intégrées à la marge du système, pour servir de refuge et d’exutoire à ceux qui persistent à vouloir mettre en œuvre le message originel (par exemple les franciscains, qui ont frôlé le classement comme hérétiques).

Tout dérape au XVIe siècle, où l’église catholique n’arrive pas à venir à bout d’une hérésie, le protestantisme (ce n’est pas faute d’avoir essayé). S’ouvre alors un espace de liberté, qui reste restreint, car la pensée magique et la volonté d’encadrement reprennent vite le dessus, même dans les églises protestantes. Sauf qu’il n’existe, dans le protestantisme, aucune institution centrale à même de réduire au silence les dissidents. La culture de cette branche du christianisme est même de valoriser cette dissidence, de la rendre légitime.

Ces deux lectures croisées m’ont amené à lire les évangiles autrement, débarrassés des oripeaux magiques ajoutés par des générations de théologiens. Ce qu’il reste alors, du message du Christ, c’est avant tout une éthique de vie exigeante et révolutionnaire car basée sur la relation d’égalité entre les hommes, sur le refus de la rivalité et des hiérarchies. Un point qui a été particulièrement bien vu par René Girard, qui en a fait le cœur de son œuvre.

A la base de tout cela, on trouve un mythe, que l’on trouve au début du livre de la Genèse. Adam et Eve qui quittent le paradis terrestre, pour gagner leur pain à la sueur de leur front, c’est la sortie du paléolithique pour passer au néolithique, avec une transformation radicale, la naissance de l’agriculture, de l’élevage, et plus globalement, de la société. Les rapports humains changent du tout au tout, avec la fin de l’égalité et la création de hiérarchie, et surtout, la création des religions. Désormais, l’homme enterre ses morts, leur rend hommage, conserve leur mémoire et s’inscrit dans une histoire. Il a besoin de comprendre le monde qui l’entoure, de lui donner un sens.

Le message du christianisme peut se lire comme un refus de ce basculement. Cette entrée dans le néolithique est le péché originel, la chute initiale. La notion de péché n’a donc rien de moral, c’est juste l’expression d’un basculement, qui éloigne l’homme de ce qui est considéré par les tenants de cette ligne, comme le mode de vie souhaitable. Mais ce refus est minoritaire et voué à l’échec, car il est l’expression d’une nostalgie. Le basculement s’est opéré et aucun retour en arrière n’est possible. Mais cette voix continue à s’exprimer, à rappeler qu’il existe une autre manière de voir le monde et de concevoir les rapport humains. Il rappelle à l’humain, qui aspire à la toute-puissance, d’où il vient.

Les formes pour porter ce message ont été très variées, et paradoxalement, il est passé et a été transmis par les religions, niché dans les recoins des livres sacrés, par le biais d’un petit peuple nomade du Proche-Orient. Un très mince filet, qui a réussi à arriver jusqu’à nous, et conserve une actualité.

Les évangiles, lus autrement qu’avec les lunettes religieuses, parlent encore au monde contemporain. Sur des questions aussi fondamentales que le statut de l’être humain, son rapport au monde, à la nature, et à la société, ils trouvent encore de l’écho. C’est quelque part presque un miracle…

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L’autre débat de la 5G

Depuis quelques temps, les écologistes ont décidé de cibler la technologie de téléphonie mobile dite « 5G ». Le courant « anti-sciences » présent chez les Verts, et incarné notamment par l’eurodéputée Michèle Rivasi, s’est ainsi trouvé un nouveau combat, après celui contre les vaccins.

A l’occasion des municipales, leur poids politique leur a permis d’imposer à leurs alliés socialistes, dans certaines villes, de reprendre leur proposition d’un moratoire sur l’installation de la 5G.

Emmanuel Macron, avec le sens de la formule cinglante qu’on lui connaît depuis le début de son mandat, vient d’entrer dans le débat. Il rejette en bloc cette demande, qualifiant ceux qui la soutiennent d’amish. Cette communauté religieuse, présente en Amérique du Nord, a pour caractéristique de refuser toutes les technologies apparues depuis la fin du XVIIIe siècle. Cela en fait un groupe très pittoresque, qui roule encore en charrette tirée par des chevaux et s’éclairent à la lampe à huile.

Ce faisant, le chef de l’État pose brutalement les termes du débat et entre dans le jeu des anti-5G, pour mener un débat stérile, bloc contre bloc, comme on sait malheureusement si bien le faire en France.

J’ai une autre approche de cette question du rapport aux évolutions technologiques. Ce débat est légitime, mais entre par la mauvaise porte, celle de la technologie, alors que le véritable enjeu, ce sont les usages.

Une technologie n’est qu’un outil, qui peut servir au bien comme au mal. Le sujet central est donc l’humain et son éthique dans l’utilisation des outils qui sont mis entre ses mains.

Certes, c’est compliqué de s’interdire, pour des raisons éthiques, des usages possibles d’une technologie. C’est exigeant, cela demande de longs débats, des délibérations, la création d’un consensus. On le voit par exemple avec les lois de bioéthiques, où certains débats sont ouverts et délicats, et où des terrains (l’eugénisme par exemple) restent fermés. Il ne sera bien entendu pas possible d’empêcher quelques individus isolés de mettre en œuvre ce que permet la technologie, mais cela restera des cas isolés, qui ne seront en aucun cas généralisés et considérés comme « normaux » car refusés par une majorité.

Il n’y a aucune raison que le types de débats menés autour des questions bioéthiques ne le soient pas autour des sujets numériques. Ce ne sont pas les sujets délicats qui manquent : utilisation des algorithmes, des données personnelles, reconnaissance faciale…Toutes les facettes des technologies doivent être explorées, y compris leur potentielle dangerosité pour la santé (question légitime posée par les anti-5G), pour déterminer quels usages sont légitimes.

Déplacer le débat vers les seules technologies, avec comme seule solution de refuser d’augmenter leur puissance, c’est à mes yeux une manière d’esquiver le débat sur l’éthique des usages. Les anti-sciences ont des arguments à faire valoir, et ils peuvent trouver une audience. Mais elle est pour l’instant très minoritaire, et ils n’ont donc aucun intérêt à un débat de fond, qui sorte des caricatures, oblige chacun à exprimer sa pensée, à la confronter à celle des autres, et à accepter de perdre…

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Le 4 septembre et la fragilité du pouvoir

Le 4 septembre 2020, nous avons célébré les 150 ans de la proclamation de la République, le 4 septembre 1870. Un évènement qui m’interpelle, parce qu’il est aussi le jour de la chute d’un régime politique qui, deux mois auparavant, semblait solidement assuré sur ses bases.

Le 8 mai 1870, par un plébiscite triomphal, Napoléon III a fait ratifier les dernières évolutions du régime. D’autoritaire à ses débuts, le second Empire est devenu « libéral » avec une constitution qui s’approche beaucoup d’un régime parlementaire classique. Les républicains, qui avaient fait une percée aux élections législatives de 1869, sont atterrés et un peu désespérés. Napoléon III est relégitimé et semble reparti pour 20 ans au pouvoir.

Le 19 juillet, la France, sure d’elle-même et de sa puissance militaire (il ne manque aucun bouton de guêtre, affirme un général), déclare la guerre à la Prusse. Après une série de défaites, Napoléon III est obligé de capituler à Sedan, et fait prisonnier. Deux jours plus tard, la République est proclamée, après que la foule ait envahi l’hémicycle du Palais-Bourbon. Le Second Empire s’est écroulé en quelques heures.

Cela nous rappelle que le pouvoir politique reste fragile, quand bien même il apparait solidement assuré sur ses bases, doté de toute la légitimité, politique et juridique. Il suffit qu’un événement imprévu surgisse, et tout peut être bousculé et renversé.

Bien entendu, les temps ont changé et les circonstances ne sont pas les mêmes en 2020. Mais la fragilité du pouvoir politique est un fait qui n’a pas disparu comme par enchantement. Et l’histoire est pleine d’accidents imprévus, qui frappent un pays qui se croyait bien préparé, et en fait, ne l’était pas.