Les élections législatives ont donné une assemblée nationale très partagée, qui est un retour à la IVe République. A cette époque, entre un gros bloc PCF stalinien, et des gaullistes opposés au régime, il fallait trouver des majorités de gouvernement avec ce qui restait. Il en a résulté une instabilité gouvernementale chronique, et une impuissance à traiter les problèmes de fond, sauf par de brefs a-coups.
La Ve république est née sur le cadavre de cette situation politique, et tout dans la constitution de 1958, est écrit pour qu’elle ne revienne jamais. Or, voici qu’elle revient, après 50 ans. On va alors se rendre compte que les institutions ne sont absolument pas un rempart, face à un pays idéologiquement divisé. La situation pourrait même être pire que dans les années 50, car la culture politique des élus et des citoyens est moulée dans le cadre de la Ve république, sans réelle culture du compromis interpartis et de la négociation parlementaire.
Avec la composition de la XVIIe législature, il faut trouver une majorité de 289 voix sur un panel de 365 députés (en excluant donc les LFI et les RN). C’est mathématiquement possible, mais politiquement compliqué, car en plus d’avoir 212 députés « hors système » (qui n’ont pas la volonté de jouer sincèrement le jeu des institutions) les 365 sont éclatés entre trois tendances : la gauche réformiste (plus ou moins radicale) allant des communistes aux socialistes, le centre macroniste, et la droite libérale républicaine (enfin débarrassée de sa frange radicale). Ces trois familles politiques ont des traditions politiques et philosophiques différentes et n’ont jamais été habituées à travailler ensemble. Les tractations et compromis se font au sein de chaque famille, ce qui est plus facile et confortable. Maintenant, il va leur falloir sortir de leur zone de confort.
Ces élus de « l’arc républicain » vont devoir montrer qu’ils sont à la hauteur des attentes de leurs électeurs. Les reports de voix ayant été globalement bonnes au second tour, on peut estimer que ces élections de 2024 ont donné un mandat pour gouverner à la nouvelle assemblée. Ils ont donc le devoir, à moins de trahir leurs électeurs, de chercher sincèrement, la voie d’un gouvernement stable. Cela veut dire accepter de prendre ses responsabilités (ce que Laurent Wauquiez a explicitement refusé de faire dans sa toute première déclaration), et exercer le pouvoir. Certes, ce n’est pas facile, il y a beaucoup de coups à prendre, mais personne n’est obligé de se présenter aux élections. Donc si on y va, c’est pour faire le boulot, et pas pour se placer à l’abri, laissant les autres se griller, pour mieux ramasser les morceaux au coup d’après.
La deuxième étape est d’apprendre à faire des compromis, ce qui n’est pas franchement dans la culture politique française, qui préfère la posture radicale au compromis pragmatique. Cela va donc avoir un coût politique, les extrêmes ne manquant pas de fustiger les « compromissions » du « système », en continuant à promettre des grands soirs mal ficelés et pas du tout financés. Il va donc falloir que les responsables politiques raisonnables apprennent à se connaitre, à se faire confiance, à travailler ensemble, dans un environnement politique et médiatique inamical et suspicieux. Cela n’a rien d’évident, quand on se côtoie juste en voisins, mais qu’au fond, on connait mal la culture politique de l’autre. Cela demande du temps, des échanges de fond, et ne se fera pas l’espace d’un été au bord d’une piscine.
Enfin, et ce n’est sans doute pas le plus facile, il va falloir bosser le programme et les idées pour de bon. Un contrat de gouvernement, ce n’est pas un programme électoral de 13 pages, écrit sur un coin de table en trois jours de négociations marathon. L’actuel contrat de gouvernement de la coalition allemande fait 174 pages et a mis trois mois à être écrit. Tout y est détaillé de manière technique et réaliste, sans incantations et propositions irréalistes, chiffrées au doigt mouillé. Malheureusement, cela fait bien 20 ans, sinon plus, que les partis politiques français ont arrêté de travailler sur le fond. Ils n’ont donc pas grand chose qui tienne la route à mettre sur la table. Or, c’est compliqué de négocier s’il n’y a pas des bases de départ solides.
Le chemin vers un gouvernement stable est possible. Les autres pays y arrivent, pourquoi pas nous ? Mais cela implique d’avoir une classe politique composées d’élus responsables, conscients de l’importance de la mission qui leur est confiée, et qui bossent dans l’intérêt général.
Vu l’état de notre classe politique, même si on n’est jamais à l’abri d’une bonne surprise, ça va quand même être compliqué, et l’échec de cette XVIIe législature est une option tout à fait possible.