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La prévention des conflits d’intérêts pourrait nuire à la démocratie

Jean Castex, ancien Premier ministre, a été nommé à la tête de la RATP. Ayant été en poste au gouvernement moins de trois ans avant sa nomination, celle-ci est soumise à l’avis de la haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP). Elle a émis un avis favorable, sous réserve que Jean Castex ne prenne pas contact, de sa propre initiative, avec les ministres qui étaient en poste dans son gouvernement, à savoir la Première ministre (par ailleurs ancienne patronne de la RATP), le ministre des Transports et le ministre du Budget. En clair, ses trois « ministres de tutelle ».

Tout cela est complètement ridicule. Le patron d’une grande entreprise de ce type a besoin d’avoir des relations fluides avec le gouvernement et les administrations centrales. Si ce n’est pas Jean Castex qui passera les appels, c’est son directeur de cabinet qui le fera à sa place, et on arrivera au même résultat, au prix de contorsions et de faux-semblants qui ne tromperont personne.

Croire que les relations nouées par Jean Castex avec certains ministres, du fait qu’il ait été leur supérieur hiérarchique quelques mois auparavant, vont créer un avantage indu pour la RATP est tout aussi ridicule. La véritable relation de pouvoir qui compte, celle avec Macron, n’est pas incluse dans le périmètre des interdictions ! Si le choix, pour ce poste sensible est difficile, s’est porté sur un ancien premier ministre, c’est probablement parce que le fait d’avoir été à Matignon est un atout, qui sera bénéfique pour la RATP, entreprise publique en situation de monopole.

Cela montre à quel point la manière dont on traite les conflits d’intérêts potentiels des personnes qui ont exercé des charges publiques est mal pensée, et donc globalement inefficace. Certes, le dispositif actuel permet d’éviter quelques recasages problématiques, comme cet ancien ministre des transports qui aurait voulu passer directement au comité exécutif du plus gros armateur français.

Le vrai sujet n’est pas le contrôle « ex ante » où on intervient, avant même qu’il se passe quelque chose, mais dans le contrôle « ex post » où on passe voir après, si effectivement, il y a eu un usage abusif d’une ancienne position ministérielle au profit d’intérêts particuliers. Malheureusement, ce contrôle est quasiment inexistant, et ne peut reposer que sur la vérification que les interdictions formelles édictées par la HATVP n’ont pas été violées. Bref, il suffit d’être assez malin, pour ne pas prendre directement les contacts soi-même, pour faire des petites magouilles en toute tranquillité. En revanche, on met en insécurité nombre de personnes, qui vont respecter une éthique scrupuleuse, et n’abuseront pas de l’influence donnée par leurs anciennes fonctions, et risquent de se voir reprocher un coup de fil anodin, avec une personne qu’il ne fallait pas contacter directement.

Le souci avec les conflits d’intérêts, c’est qu’ils ne sont pas, en soi, un problème. Il s’agit juste d’une situation où, potentiellement, on peut faire prévaloir un intérêt privé par rapport à l’intérêt général. Normalement, quand on n’est plus ministre, on n’est plus en charge de l’intérêt général. En revanche, on peut utiliser les contacts, les connaissances, et l’aura liée à l’ancienne fonction, pour en faire bénéficier des employeurs privés. Le fait qu’on ne puisse pas, directement, prendre contact avec certaines personnes, ne change pas grand chose, et ne gêne pas vraiment celui qui veut mal faire.

Imposer des règles aussi tatillonnes est juste un obstacle à la poursuite de carrière d’un certain nombre de personnes ayant occupé de hautes fonctions. Qu’il y ait une surveillance pour éviter les scandales est tout à fait normal, mais cela ne doit pas non plus fermer trop de portes pour les anciens élus et décideurs. Là où il faut être ferme, c’est en cas d’abus avéré, et malheureusement, aucun dispositif n’est prévu, pour enquêter et sanctionner.

Se lancer dans une carrière politique représente un coût, en exposition publique (les déclarations d’intérêt et de patrimoine), en sacrifices de la vie sociale et familiale. Si en plus, les revenus sont plafonnés (et à un niveau nettement inférieur à ce que cette même personne pourrait gagner dans le privé) et qu’on est entravé pour la suite de sa carrière, qui va vouloir se lancer ? Le problème est réel, et déjà sensible, notamment à l’Assemblée nationale et dans les cabinets ministériels et c’est potentiellement dangereux pour notre démocratie.

19 réponses sur « La prévention des conflits d’intérêts pourrait nuire à la démocratie »

Bonjour,

entièrement d’accord. En plus, franchement, un conflit d’intérêt parce que ceux qui ont sa tutelle étaient avant sous ses ordres??? Je préfère rester poli…A ce compte là, bientôt les anciens ministres ne pourront plus avoir d’activité rémunérée en dehors de certaines ONG comme Oxfam (parce que là bien sûr il n’y a pas de conflit d’intérêt…)

De plus, cette focalisation sur les conflits d’intérêts financiers passe complètement sous silence les autres conflits d’intérêts, par exemple idéologiques, et ceux liés aux activités antérieures.
Par exemple, un ancien président d’une entreprise devenu député européen peut en toute impunité faire la promotion du bio en tant que député européen
https://twitter.com/gruffat_claude/status/1496039877170937857

et toujours être gérant d’un magasin bio:
https://www.societe.com/dirigeants/l-epi-vert-305148538.html

En fait, les conflits d’intérêts, apparemment, ça ne concerne que le « Grand Capital », pas le Camp du Bien et de la Nature

Malheureusement, il suffit des errements de quelques uns pour que tout le monde pâtisse des contraintes imposées en conséquence. Les ministres et parlementaires ne sont pas avares de cette approche, et il y a mille exemples concernant tous les secteurs, corps de métiers et activités sociales. Merci d’enfoncer une porte ouverte en rappelant qu’on peut contourner les règles quand on est malin ; ce qui relativise largement le « problème » au demeurant. Vous êtes bien urbain d’éprouver de l’empathie pour la situation d’un ancien Premier ministre devenant président d’une grande entreprise publique. Quant à évoquer l’atteinte à la démocratie, je pense qu’il faut savoir raison garder.

Le risque pour la démocratie, c’est que les meilleurs profils se détournent de la carrière politique, et qu’on ne se retrouve qu’avec des seconds, voire des troisièmes couteaux. Derrière, on aura des circuits de pouvoir parallèle, car on ne peut pas imaginer les « meilleurs » se laisser diriger, sans rien dire, par des incompétents ou des imbéciles.

Imbéciles et incompétents ont leur place en politique comme les autres.
Hélas parfois plus que les autres.

Nous en sommes pas si loin…

Pour autant, il reste quantité d’activités qui pourraient être faites sans conflit d’intérêt. La gestion des conflits d’intérêt n’est que le revers de la consanguinité de nos élites.

En élargissant les corps de recrutements, les coteries, en mettant vraiment en concurrence nos élites en ouvrant vraiment l’inspection des finances, le CE, les cabs, on aurait peut être moins besoins de ces textes qui permettent juste d’amuser le peuple en ne réglant rien…

On est d’accord que le problème est structurel et profondément ancré « culturellement ». Le refus d’un contrôle de fond, ex post, pour du ex ante cosmétique et sans effet est d’ailleurs une preuve de cette volonté de ne pas trop déranger des pratiques très ancrées.

Je ne partage pas votre vision de la démocratie qui reposerait sur des crânes d’œufs tout-puissants. Pour moi, elle résulte plutôt sur la qualité des processus collégiaux et délibératifs permettant de faire émerger l’intelligence collective, même si je sais que ce n’est pas franchement le modèle français.

Je trouve très bien que les « meilleurs » fassent autre chose que de la politique, ils seront plus utiles. D’ailleurs les grandes réformes et les idées novatrices n’émergent jamais du monde de la politique politicienne, mais toujours de l’extérieur de celle-ci. Vous semblez considérer que c’est une anomalie ; pour ma part je considère que c’est très bien.

Enfin, c’est charitable de considérer que Jean Castex, certes sympathique, n’appartiendrait pas au groupe des « seconds, voire des troisièmes couteaux ». A moins de considérer qu’il suffit d’occuper de hautes responsabilités pour faire partie des « meilleurs », auquel cas c’est tautologique, nous sommes toujours automatiquement dirigés par les « meilleurs » et tout va bien dans le meilleur des mondes possibles.

Et franchement je ne pense pas qu’une peccadille bureaucratique de ce type, certes maladroite, dissuade qui que ce soit de devenir Premier ministre.

On a la même conception de la démocratie, qui repose sur des processus délibératif de qualité. Et pour cela, il faut des délibérants de bonne qualité, à la fois en diversité, mais aussi, en qualité tout court. Depuis 10 ans, il y a une baisse de niveau du personnel politique, en expérience, en culture politique, voire en culture générale. Cela vient, pour moi, que certaines couches « supérieures » ne veulent plus s’engager en politique, car le bilan coût/avantage est devenu négatif. Ils préfèrent cultiver tranquillement leur jardin, en gagnant très bien leur vie, en profitant de leur famille, plutôt que de descendre dans l’arène, à s’exposer, prendre des coups, faire des sacrifices financiers et familiaux. Quand on voit l’impact des décisions politiques sur le réel, le caractère parfois totalement symbolique de débats qui prennent un temps fou, je comprend tout à fait qu’on se tienne à l’écart. Si j’aurais pu être intéressé il y a 20 ans, aujourd’hui, je fuis tout perspective de mandat politique (surtout en ayant vu de très près ce que c’est).

Par ailleurs, si j’ai appris à apprécier Jean Castex, oui, c’est un second couteau, et sa désignation comme Premier ministre illustre bien la baisse du niveau. Il a été un super-directeur de cabinet du Président, et ce n’est pas du tout un « animal politique ». La preuve, il reprend, après Matignon, sa carrière de haut-fonctionnaire, en prenant la présidence de la RATP.

Quant à la dissuasion, elle ne concerne pas le poste de premier ministre, évidemment. Mais Ministre, je pense que certains commencent à réfléchir, vu ce que subit par exemple Agnès Pannier-Runacher, qui a le tort d’être cadre supérieur passée par le privé, fille et (ex)-épouse de haut cadre (donc riche et ayant des intérêts dans des entreprises). C’est l’ensemble de ces avanies qui peut être dissuasif. Le cas Jean Castex est juste une illustration, concrète, du ridicule de certaines préconisations, montrant que si ça amuse la galerie, ça n’a aucune efficacité réelle sur le problème que c’est censé traiter, tout en ayant des effets secondaires inquiétants.

Le problème d’Agnès Pannier-Runacher est que ses enfants (mineurs, donc sous sa tutelle) détiennent des parts dans une entreprise qui détient plus de 1 million d’euros dans des paradis fiscaux, et partage des intérêts financiers avec un pétrolier alors qu’elle est politiquement en charge de la transition énergétique. Si vous ne voyez pas le problème c’est que vous ne voulez pas le voir.

Donc clairement, on va demander aux gens de choisir entre leur carrière professionnelle et éventuellement leur héritage (parce que coté Pannier-Runacher, les intérêts pétroliers viennent de son père) et leur carrière politique. Je crains, malheureusement, que ce ne sera pas la carrière politique qui sera choisie.

Je suis d’accord, le sacerdoce de la vie politique, ça va un moment. Et plus on met de contraintes à l’exercice d’un mandant politique (député, ministre,…), plus on va réduire le nombre de candidats possibles, ainsi que les profils de ceux-ci.

Je serai mauvaise langue, je dirai que c’est peut-être volontaire dans l’esprit de certains d’exiger toujours plus de « transparence », de « déontologie », d' »absence de conflit d’intérêt » pour expurger la vie politique et ne garder que ceux qui ont le bon profil (et les mêmes idées qu’eux)

En fait c’est le président qui cause un pataquès de plus dans ce pays en nommant son ancien premier ministre alors que d’autres profils pouvaient sans doute également convenir. D’ailleurs pouvait-il seulement ignorer dans quelle situation ubuesque il mettrait son ancien collaboratteur et la HATVP chargée d’évaluer les risques de conflits d’intérêts ?
Je me demande, du reste, s’il y a eu d’autres candidats à la présidence de la RATP après que J. Castex se soit déclaré intéressé par le poste ?

Personnellement je pointera plutôt dupont moretti qui en tant que ministre de la Justice va être en position de nommer le Procureur général de la Cour de cassation chargé de l’attaquer devant la cour de justice de la république pour ses excès en tant que ministre de la justice…

https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/12/07/une-seule-solution-s-impose-eric-dupond-moretti-doit-demissionner_6153275_3232.html

De là à penser que la polémique Castex sert de diversion fonctionnant jusque sur ce blog !!!!!

La nomination de ce procureur général n’est pas à la seule main du garde des sceaux. A ce niveau de sensibilité, l’Elysée et Matignon regardent de près, et il y a un sérieux verrou, qui s’appelle le conseil supérieur de la magistrature, qui rend un avis. Même si cela n’empêche pas totalement les dérapages, cela rend les choses plus compliquées. Et in fine, ce n’est pas le procureur qui prononce les sanctions !

Merci pour cette réponse.
C’est la différence de niveau d’analyse entre ce blog et une tribune (même s’il y a sans doute problème il semble bien moins grand que ce que j’avais compris au 1er abord)

Les démocraties du nord pourtant très à cheval sur la probité, les conflits d’intérêt et la transparence semblent pourtant démontrer le contraire de ce que vous dénoncez…

En réalité, ce qui pose le plus problème dans cette histoire, c’est le parachutage d’un ex personnage important de l’exécutif par le fait du prince, court-circuitant la procédure mise en place avec un cabinet de recrutement qui avait pourtant fait une short-list de personnes expérimentées dans le domaine.

Il en va d’ailleurs de même pour beaucoup de nominations (Wargon, Bourguignon, Buzyn, monthcalin etc.), ces recasages dans des administrations touchant à secteurs pourtant étrangers de leur compétence donnant l’impression que même si on est pas réelu, on reste gagnant quoi qu’il en soit. Et du coup, les plaintes entendues au sein de l’exécutif contre les exigences de HATVP apparaît tout à fait inaudible aux yeux des gens.

La vrai nuisance pour la démocratie est donc là.

Notre culture politique est très différente des pays nordiques, c’est rien de le dire. Et plaquer des procédures de pays nordiques, sans changer notre culture politique, ne peut que donner de mauvais résultats. On en a encore un bel exemple ici, où le choix de Castex, sans être déconnant, peut effectivement prêter le flanc à la critique. Il est sans aucun doute compétent pour remplir la mission, mais les circonstances de la nomination font penser clairement à une décision en mode « fait du prince ». Mais c’est encore un autre problème.

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