Dans sa recension d’un livre de Thomas Perroud (Service public et commun. À la recherche du service public coopératif) Hubert Guillaud signale un point aveugle de notre réflexion politique, à savoir l’absence de démocratie, voire de contrôle externe, dans le fonctionnement de notre système administratif.
A partir d’exemple précis, comme ParcoursSup, on se rend compte que les principaux intéressés, à savoir les élèves, leurs parents et les enseignants, n’ont pas été consultés, ou alors juste sur des aspects cosmétiques. C’est vrai qu’au quotidien, il n’y a structurellement que peu de place pour l’usager dans la décision sur la manière dont est organisé le service. Les comités d’usagers, quand ils existent, sont davantage là pour le traitement des plaintes, que pour participer aux décisions structurelles. Il n’y a qu’à voir comment se déroule la dématérialisation des procédures administratives, dont l’unique objectif est de faire des économies en soulageant les agents d’un certain nombre de tâches, en les reportant sur l’usager. Certains y gagnent, beaucoup (les plus fragiles) y perdent.
Pour ceux qui ont fait du droit public (comme moi), ce que l’on retient des préceptes du service public à la française, c’est « l’usager n’a qu’un droit, c’est de prendre ce qu’on lui donne et de fermer sa gueule ». Tout est bâti autour du confort de l’administration, et de sa capacité à déployer ses décisions, sans être gênée en quoi que ce soit. Un modèle qui n’est plus intellectuellement et politiquement tenable. Si la réalisation concrète du service doit rester du ressort de personnels identifiés, et ne pas tourner au bazar collaboratif, il est essentiel de réinjecter du citoyen en amont (la conception et l’organisation) et en aval (le contrôle de la bonne exécution). Il y a donc un vrai hiatus qu’il faut traiter.
L’une des premières étapes, selon Thomas Perroud, serait de revoir la composition des différents organes de gouvernance de services publics (comme les conseils d’administrations) actuellement trustés par des élus, des représentants du personnel (un peu, mais pas trop) et quelques « personnalités qualifiées » dont le recrutement tient parfois du copinage ou de recasage, sans réel apport de diversité et de représentativité supplémentaire. L’une des pistes proposées est d’ouvrir cette gouvernance à la « société civile organisée », en clair, aux ONG et associations. L’idée est bonne, à condition que ces arrivées se fassent dans l’intérêt de l’usager-citoyen, et pas pour donner un peu plus de pouvoir à des structures ne représentant qu’elles-mêmes (ou pire, dont l’objet est de faire de la politique). Il faut une ouverture, pas une simple redistribution des cartes entre les mêmes acteurs, déjà présents dans les circuits. En clair, le but n’est pas de donner plus de pouvoir aux associations écologistes.
Je suis également plus que dubitatif avec la voie proposée des Communs, qui me semble irréaliste. L’expérience montre que faire fonctionner un communs nécessite des ressources en temps et en énergie importante. Les temps de discussions et d’échanges, pour arriver à des consensus, sont chronophages, et induisent des biais, en faveur des plus tenaces ou des plus teigneux. Cela peut être appliqué à des projets de petite taille, pas à des services publics. Il faut une véritable culture de la délibération, et des gens qui dégagent suffisamment de temps, pour cela fonctionne. On en est très loin.
Le cœur du problème, est l’incapacité de la société civile française à s’organiser, et se structurer de manière autonome. Notre culture politico-administrative est de tout attendre de l’Etat, et de se méfier de ce qui ne vient pas de l’Etat. Il n’est pas dans notre culture, malheureusement, de nous prendre en main, et d’ouvrir le champ de la politique, en faisant de l’Etat un acteur, parmi d’autres de la décision politique. Il est nécessaire de penser autrement la champ de la décision publique, qui doit cesser de se confondre avec le cadre étatique, et accepter une distribution plus large du pouvoir.
Nous ne sommes pas encore au moment des décisions opérationnelles, mais à celui du déblocage intellectuel, du changement de regard. Ce n’est que si de nouvelles perspectives s’ouvrent, que les citoyens pourront transformer une potentialité en réalité. Tant qu’on ne voit même pas la potentialité, on ne se mobilise pas et rien ne se passe.