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Le mirage de la démocratie participative

Dans sa recension d’un livre de Thomas Perroud (Service public et commun. À la recherche du service public coopératif) Hubert Guillaud signale un point aveugle de notre réflexion politique, à savoir l’absence de démocratie, voire de contrôle externe, dans le fonctionnement de notre système administratif.

A partir d’exemple précis, comme ParcoursSup, on se rend compte que les principaux intéressés, à savoir les élèves, leurs parents et les enseignants, n’ont pas été consultés, ou alors juste sur des aspects cosmétiques. C’est vrai qu’au quotidien, il n’y a structurellement que peu de place pour l’usager dans la décision sur la manière dont est organisé le service. Les comités d’usagers, quand ils existent, sont davantage là pour le traitement des plaintes, que pour participer aux décisions structurelles. Il n’y a qu’à voir comment se déroule la dématérialisation des procédures administratives, dont l’unique objectif est de faire des économies en soulageant les agents d’un certain nombre de tâches, en les reportant sur l’usager. Certains y gagnent, beaucoup (les plus fragiles) y perdent.

Pour ceux qui ont fait du droit public (comme moi), ce que l’on retient des préceptes du service public à la française, c’est « l’usager n’a qu’un droit, c’est de prendre ce qu’on lui donne et de fermer sa gueule ». Tout est bâti autour du confort de l’administration, et de sa capacité à déployer ses décisions, sans être gênée en quoi que ce soit. Un modèle qui n’est plus intellectuellement et politiquement tenable. Si la réalisation concrète du service doit rester du ressort de personnels identifiés, et ne pas tourner au bazar collaboratif, il est essentiel de réinjecter du citoyen en amont (la conception et l’organisation) et en aval (le contrôle de la bonne exécution). Il y a donc un vrai hiatus qu’il faut traiter.

L’une des premières étapes, selon Thomas Perroud, serait de revoir la composition des différents organes de gouvernance de services publics (comme les conseils d’administrations) actuellement trustés par des élus, des représentants du personnel (un peu, mais pas trop) et quelques « personnalités qualifiées » dont le recrutement tient parfois du copinage ou de recasage, sans réel apport de diversité et de représentativité supplémentaire. L’une des pistes proposées est d’ouvrir cette gouvernance à la « société civile organisée », en clair, aux ONG et associations. L’idée est bonne, à condition que ces arrivées se fassent dans l’intérêt de l’usager-citoyen, et pas pour donner un peu plus de pouvoir à des structures ne représentant qu’elles-mêmes (ou pire, dont l’objet est de faire de la politique). Il faut une ouverture, pas une simple redistribution des cartes entre les mêmes acteurs, déjà présents dans les circuits. En clair, le but n’est pas de donner plus de pouvoir aux associations écologistes.

Je suis également plus que dubitatif avec la voie proposée des Communs, qui me semble irréaliste. L’expérience montre que faire fonctionner un communs nécessite des ressources en temps et en énergie importante. Les temps de discussions et d’échanges, pour arriver à des consensus, sont chronophages, et induisent des biais, en faveur des plus tenaces ou des plus teigneux. Cela peut être appliqué à des projets de petite taille, pas à des services publics. Il faut une véritable culture de la délibération, et des gens qui dégagent suffisamment de temps, pour cela fonctionne. On en est très loin.

Le cœur du problème, est l’incapacité de la société civile française à s’organiser, et se structurer de manière autonome. Notre culture politico-administrative est de tout attendre de l’Etat, et de se méfier de ce qui ne vient pas de l’Etat. Il n’est pas dans notre culture, malheureusement, de nous prendre en main, et d’ouvrir le champ de la politique, en faisant de l’Etat un acteur, parmi d’autres de la décision politique. Il est nécessaire de penser autrement la champ de la décision publique, qui doit cesser de se confondre avec le cadre étatique, et accepter une distribution plus large du pouvoir.

Nous ne sommes pas encore au moment des décisions opérationnelles, mais à celui du déblocage intellectuel, du changement de regard. Ce n’est que si de nouvelles perspectives s’ouvrent, que les citoyens pourront transformer une potentialité en réalité. Tant qu’on ne voit même pas la potentialité, on ne se mobilise pas et rien ne se passe.

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La longue route de la Nupes

La gauche française est en train de se prendre de plein fouet les secousses liées à l’attaque palestinienne contre Israël. Le conflit israélo-palestinien étant une « passion française », cela n’est pas vraiment étonnant. A gauche, c’est l’une des lignes de fractures entre gauche réformiste et gauche radicale.

L’épisode, qui soulève beaucoup de mousse médiatique (et je ne parle pas des réseaux sociaux…), est intéressant à observer, car derrière les indignations (dont un certain nombre sont sincères), il y a aussi des manœuvres tactiques internes à la Nupes.

LFI est le plus ennuyé dans l’affaire. Une frange non négligeable de ses militants est pro-Palestine, et une décennie de gouvernement Nethanyaou a fait monter la sauce de la détestation d’Israël (et il y a objectivement de quoi). Les militants sont chauffés à blanc, mais en tant que grand parti qui aspire au gouvernement, les dirigeants ne peuvent pas les suivre, du moins aussi ouvertement. D’où des circonvolutions gênées aux entournures, pour ménager la chèvre et le chou.

Les socialistes, beaucoup plus au clair sur leurs positions (plus franchement pro-Israël) ont embrayé directement avec tambours et trompettes. A la fois pour défendre leur position de fond, mais aussi pour affaiblir LFI, et donc tenter de revoir les équilibres internes de la Nupes. D’où des indignations, parfois un peu surjouées.

Que l’on se rassure, la Nupes n’éclatera pas encore cette fois ci. Les appels de certains socialistes (dont la circonscription comprend parfois un électorat juif substantiel) à quitter cette alliance ne seront pas suivis d’effet. Ils font partie du jeu, classique, des négociations politiques, à laquelle la gauche est rompue. Elle a en effet une capacité étonnante à se déchirer entre deux échéances électorales, et à se retrouver, sur une plateforme commune, avant les scrutins. C’est souvent très visible au niveau local, et dans la qualité des reports de voix, entre les deux tours d’une élection.

La gauche a trop bien mesuré à quel point, en 2022, la Nupes leur a évité le naufrage, et combien ils vont avoir besoin d’une candidature unique dès le premier tour en 2027. Cela va continuer à secouer sur les sujets de fond, avec des clarifications, des explications et débats potentiellement houleux, mais aussi des compromis et des rapprochements possibles.

Prochaine étape, les sujets de fond sur l’Europe, quand LFI aura terminé d’exploiter médiatiquement la chimère d’une liste unique Nupes en 2024.

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Les sénatoriales enterrent un peu plus LR

Gérard Larcher va être réélu président du Sénat, le groupe LR est toujours le groupe dominant, et de loin, et pourtant, le résultat des élections sénatoriales devraient donner des sueurs froides à Eric Ciotti et aux dirigeants du parti.

Quand on lit finement les résultats, on se rend compte que LR est à la fois attaqué sur sa droite et sur sa gauche, avec un électorat « qualitatif » d’élus locaux.

Le RN a fait des scores assez importants pour ce type de scrutin, et décroché trois sièges, dont un, assez surprenant, en Seine-et-Marne. Il est évident que quelque chose s’est psychologiquement débloqué, notamment chez les élus ruraux, sur le vote RN. Mais ce mouvement est limité, ces trois élus l’ont été à la proportionnelle, et dans les départements à vote majoritaire, le succès n’a pas été au rendez-vous. Les Pyrénées Orientales en sont l’exemple, où malgré une « sociologie » favorable, quatre députés sur quatre, et la ville de Perpignan, le résultat est mauvais. Le seul candidat RN (pour deux sièges) est loin derrière LR et le PS. Le RN peut faire perdre, mais a encore du mal à gagner.

Le vrai danger, pour LR, vient de la droite modérée, avec les gains réalisés par Horizons (5 à 7 sièges, ce qui est beaucoup aux sénatoriales) et les centristes. L’exemple le plus frappant est l’Orne, département qui élit deux sénateurs au scrutin majoritaire. La sénatrice centriste sortante, Nathalie Goulet, est réélue tranquillement dès le premier tour, preuve que l’Orne reste un département clairement à droite (même si Alençon est à gauche). En revanche, l’autre sénateur sortant, le LR Vincent Ségouin, est en grande difficulté à l’issue du premier tour (361 voix, contre 442 pour son adversaire), et lourdement battu (518 contre 351) au second tour par un candidat estampillé Horizons.

On a donc un élu relativement jeune (51 ans), qui termine un premier mandat après un cursus classique d’élu local (maire, conseiller départemental, président de communauté de communes) avec un bilan d’activité tout à fait honorable. Même si le candidat Horizons a été sous-préfet dans le département (donc pas un inconnu pour les élus locaux), une telle défaite d’un sortant ne peut s’expliquer que par des raisons « politiques », qui va au-delà des simples questions de personnes.

Dans un département modéré de l’ouest, sans « grand élu » macroniste pour servir de locomotive, une telle victoire peut s’expliquer par l’effet repoussoir de l’étiquette LR chez les élus divers droite ou peu politisés, et par la crédibilité acquise par l’étiquette Horizons. Le premier élément n’est pas une surprise, tellement les dirigeants LR sont caricaturaux, dans leurs obsessions et leur course à l’extrême-droite. En revanche, le fait le vote Horizons soit une alternative acceptable est la nouveauté de ce scrutin, au coté du vote UDI-centriste.

C’est cette double conjonction, qui est le danger pour LR : ils perdent leurs électeurs modérés, qui ont une alternative crédible, sans gagner les électeurs radicaux, qui se trouvent plutôt bien au RN et, plus marginalement, à Reconquête. Ces sénatoriales confirment que même les élus commencent à être touchés, pas seulement les « électeurs de base ».

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Les députés toujours aussi nuls sur les lois numériques

Le projet de loi « sécuriser et réguler l’espace numérique » (SREN) qui débute à l’Assemblée nationale ressemble furieusement à la loi hadopi, en 2009. Mêmes postures politiques, même ignorance crasse des réalités du numérique (à quelques rares exceptions), ce qui donne des amendements où le pathétique le dispute au ridicule, avec des vraies attaques contre les libertés fondamentales.

Force est de constater que les députés ne sont pas à la hauteur sur ces sujets, tous bords confondus, pour plusieurs raisons.

La régulation du numérique est un continuum, entre les autorités publiques (gouvernement et Parlement, administration, autorités administratives indépendantes, magistrats), la société civile, les internautes, et les entreprises du numérique. Chacun tient un rôle, dispose de leviers précis, et si un des maillons de la chaine refuse de jouer le jeu, ça ne marche pas, ou mal. Les politiques n’ont jamais été dans cette posture coopérative, bien au contraire, on a l’impression qu’à eux seuls, avec leurs petits bras musclés, ils vont « civiliser » internet et les réseaux sociaux.

En fait, la loi est un outil parmi d’autres, mais pas le plus important, et qui ne peut pas être utilisé seul, de manière performative. Il faut, derrière, mettre des moyens humains et financiers, qui ne sont pas toujours au rendez-vous. Ce serait plus utile si, au lieu de s’exciter comme des puces folles sur des amendements symboliques et inopérants, les députés faisaient leur travail de contrôle de l’action du gouvernement, en vérifiant que les moyens ont été bien mis là où il le faut.

Le Parlement français a une tendance à se croire omnipotent, alors même qu’il est un acteur secondaire, voire même maintenant marginal. Depuis l’entrée en vigueur du DSA, il y a quelques semaines, la régulation des contenus en ligne relève du niveau européen, tant sur le fond que sur les procédures. Ce qui est attendu du législateur français, c’est d’adapter le droit français à la nouvelle architecture de la régulation européenne du numérique. C’est d’ailleurs ce qui fait le projet de loi SREN, dans sa deuxième moitié, après l’avoir allègrement piétinée dans la première moitié !

Le numérique est en apparence un sujet simple, sur les principes, où n’importe qui peut se croire compétent, parce qu’il est un utilisateur (parfois compulsif) des services proposés. Mais quand on soulève le capot et qu’on entre dans les détails, cela devient extrêmement technique. Cela demande de bosser et de se former, effort que bien peu de parlementaires font. Ce n’est pas en soi un problème d’avoir peu de spécialistes, à partir du moment où ils sont écoutés. Malheureusement, les quelques spécialistes vraiment compétents, Lionel Tardy à l’époque de Hadopi, ou encore Philippe Latombe et Eric Bothorel aujourd’hui, sont marginalisés par leur propre groupe (aucun n’est rapporteur).

Ce projet de loi SREN va mal finir, comme les autres avant lui, en se fracassant à la fois sur le conseil constitutionnel, mais aussi sur le droit européen. Le Parlement français arrivera juste à y perdre encore un peu de crédibilité, à la fois chez ceux qui ont cru aux promesses de « régulation » mais aussi chez ceux qui savent comment cela fonctionne réellement.

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Le RN a une conception archaïque de l’exercice du pouvoir

Un article de Libération, sur le maire RN de Beaucaire, Julien Sanchez, offre un éclairage sur la culture de gouvernement de ce parti, d’un archaïsme frappant, survivance d’une conception dépassée de l’exercice du pouvoir.

Dans cette culture politique archaïque, le poste de pouvoir est la quasi-propriété de celui qui l’occupe, comme le fief était la propriété du seigneur médiéval. De ce fait, il arrive parfois qu’il se transmette de manière héréditaire, au même titre que les biens immobiliers. Le RN est en fait une PME familiale. L’actuel maire zemmouriste d’Orange, Yann Bompard, est le fils de Jacques, ancien du FN qui a pris la mairie en 1995.

Il en découle une absence de démocratie interne, puisque la légitimité politique (en interne) ne vient pas de l’élection, mais de l’hérédité, ou de la conquête. Le RN en est l’exemple, avec Marine Le Pen qui a succédé à son père (un peu récalcitrant à quitter la scène) et dont les successeurs potentiels cités ont été sa nièce, Marion Maréchal, et maintenant son neveu par alliance, Jordan Bardella. L’empreinte est tellement forte que personne n’envisage sérieusement que le prochain dirigeant du RN ne fasse pas partie du clan familial.

Cela se traduit par un exercice solitaire du pouvoir, où tout repose sur le chef. S’il est techniquement bon, et/ou sait déléguer à des gens compétents, la boutique peut fonctionner tant bien que mal. Mais c’est rarement génial, et c’est souvent une gabegie. J’ai rarement vu un rapport élogieux d’une chambre régionale des comptes sur une municipalité RN

Bien souvent, c’est davantage la servilité et la fidélité que la compétence, qui sont les qualités requises pour intégrer l’entourage du chef et s’y maintenir, si vous n’êtes pas de la famille. Toute tentative de s’autonomiser, voire parfois, de simplement se montrer meilleur que le chef, se termine par l’éviction. Là encore, le FN, devenu RN, est un cas d’école.

Très naturellement, ce mode de fonctionnement se traduit par du copinage et du clientélisme généralisé, où le chef achète les fidélités par des postes et prébendes (des emplois fictifs par exemple). Même si beaucoup de partis pratiquent cela, le RN le fait à une échelle industrielle, inégalée ailleurs sur l’échiquier politique. Ce qui soude le collectif est autant l’idéologie que la soupière bien remplie, dont le chef est seul à tenir la louche. Là encore, le RN, en tant que parti, mais aussi les collectivités qu’il gère, sont des cas d’école.

Une telle manière de concevoir l’exercice du pouvoir est aujourd’hui complètement dépassée dans les pays occidentaux, d’où la difficulté de certains observateurs à analyser ce qui se passe au RN. Mais elle existe dans beaucoup d’endroits dans le monde et montre très régulièrement ses limites en termes d’efficacité. Sans parler de l’Afrique, plus près de nous, c’est par exemple le cas de la Russie. Poutine a également cette conception du pouvoir, qui a montré ses limites avec la guerre en Ukraine, où malgré une disproportion énorme de moyens, la Russie ne sera pas en mesure de gagner. Cela peut également expliquer les affinités, très perceptibles, entre Poutine et le RN.

Le combat contre le RN, c’est aussi un combat contre cette conception archaïque du pouvoir, qui s’accorde assez mal avec les attentes de la démocratie libérale et la recherche de la meilleure efficacité dans la gestion de de la chose publique.

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Le refus du débat politique par les climatologistes

Le climatologue Jean Jouzel se plaint, dans une interview aux Echos, de l’accueil « glacial » qu’il aurait reçu aux universités d’été du Medef. Il dit en avoir « marre » de « l’inaction des élus ». Il illustre parfaitement l’un des travers des « climatologistes », qui militent pour que la lutte contre le réchauffement climatique soit la priorité absolue, celui du recours systématique à l’argument d’autorité.

Ils expliquent que la science a maintenant parfaitement documenté qu’il existe un phénomène de changement climatique accéléré, causé par l’activité humaine. Les conséquences concrètes sont déjà là, avec une augmentation visible des épisodes climatiques extrêmes. Ils en déduisent qu’au vu des conséquences pour les sociétés humaines, la priorité absolue des politiques publiques doit porter sur le réduction des émissions de carbone, sans discussion possible. Toute objection est disqualifiée d’office.

Le lien entre le constat scientifique, et les décisions politiques à prendre, est présenté comme une évidence mécanique, qui ne doit même pas faire l’objet d’un débat. C’est là que le bât blesse, car les choix politiques doivent toujours faire l’objet de débats, quand bien même leur issue ne fait pas trop de doute, car ils sont importants pour l’acceptation des décisions (et éventuellement des sacrifices afférant). Éluder les débats est une grave erreur, surtout ici, où l’ampleur des changements préconisés par les scientifiques, est énorme, avec un impact très profond sur les modes de vie et les imaginaires individuels et collectifs.

La première question, qui semble un impensé total, est de savoir s’il est effectivement souhaitable de faire un effort, qui pèse sur nous, pour le bénéfice d’autres peuples (car le problème est planétaire). Ce questionnement, très politique, renvoie aux conceptions que l’on a de la solidarité. Il peut se résumer, de manière très brutale : Est-ce que nous sommes prêts à renoncer à notre niveau de vie, à notre puissance économique, pour que des peuples étrangers ne soient pas trop impactés par les catastrophes climatiques ? Quel est notre degré d’égoïsme ? Est-ce que les efforts fournis sont uniquement dus au fait que nous pourrions subir, indirectement, les conséquences des catastrophes touchant d’autres peuples ? Mettre cette question sur la table peut amener à des surprises et des désagréments pour ceux qui misent sur l’humanisme et la solidarité !

A supposer que la solidarité (humaniste et intéressée) soit majoritaire chez nous, le deuxième sujet est celui de la réciprocité. Je veux bien faire des efforts, à condition que le monde entier en fasse autant. Pas question de supporter des sacrifices au delà de ce que je pollue, et de payer pour les autres, qui ne font aucun effort. Or, des pays parmi les plus émetteurs de carbone, ne semblent pas faire beaucoup d’efforts, comme par exemple, la Chine, les USA ou l’Inde. Dans ces pays, le point d’équilibre politique n’est pas le même entre développement économique, confort de la population face aux catastrophes, et solidarité avec le reste de la planète.

Si on poursuit le chemin, une fois qu’on a accepté de faire des efforts et à quel niveau, arrive un troisième débat : qui doit concrètement supporter les efforts ? Quelle clé de répartition ? Il est tout aussi explosif que les autres, car tout le monde se sent légitime à y participer et à regarder l’assiette de son voisin en estimant qu’il est plus préservé, et que c’est donc injuste.

Les oppositions et inerties dont se plaignent les climétologues peuvent venir des différentes échelles, et être des réponses détournées à des questions qui n’ont pas été posées. Ou qui ont été posées de manière à ce que seule la réponse attendue soit possible, ce qui revient au même.

Ce n’est pas du tout un hasard si le climatoscepticisme fleurit à mesure que va sur la droite de l’échiquier politique. Contester la science et ses constats est une manière d’exprimer une position politique de refus de la solidarité avec les peuples étrangers. La position de Trump, qui allie isolationnisme, haine de l’étranger et climatoscepticisme est profondément cohérente. Il dit juste qu’il n’en a rien à faire ce que peuvent subir les autres peuples, et qu’il n’hésitera pas à utiliser la force pour protéger son pays des conséquences potentielles de ce que subissent ces peuples (comme par exemple les réfugiés climatiques). L’extrême-droite européenne ne pense pas autre chose, mais ce serait malséant de le dire comme ça, donc cela passe par des biais.

La résistance des entreprises vient plutôt du deuxième segment. Oui aux efforts, mais qui doivent s’arrêter dès qu’on se tire une balle dans le pied face aux concurrents internationaux. Pour les grands groupes français (Total par exemple), la compétition est mondiale et féroce. Se désavantager en faisant des efforts et sacrifices auxquels ne sont pas soumis leurs concurrents directs, c’est juste du suicide. On perd de la souveraineté, de la richesse et du pouvoir, sans faire avancer en rien la cause climatique.

Les résistances « populaires » peuvent emprunter au premier segment, mais sont également alimentées par la question de la répartition de l’effort. Les « Gilets jaunes », c’est une révolte de classes populaires qui estiment qu’on fait trop porter les efforts sur eux, et pas assez sur d’autres, qui pourtant leur semblent avoir plus de moyens. La France, pays de l’égalitarisme forcené et de la haine du riche, est un terreau particulièrement fertile pour ces débats, parfois très stériles (par exemple l’interdiction des jets privés).

L’erreur fondamentale des « climatologistes » est de considérer que ces débats n’ont pas lieu d’être, ou qu’ils sont tranchés d’office, dans le sens qui leur convient, au regard de l’importance qu’ils accordent à ce problème. Dans une démocratie, où il faut convaincre et trouver des consensus, une telle attitude n’est pas acceptable et ne peut que provoquer des frictions et des oppositions.

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La machine tourne à vide

La rentrée politique est toujours l’occasion d’annonces et de lancement d’initiatives politiques. Cette rentrée 2023 reste dans la tradition, mais illustre aussi de manière dramatique le vide politique qui règne désormais en France avec les « rencontres de Saint-Denis ».

L’opération a été teasée très tôt, avec l’annonce, avant même le départ en vacances, qu’une « grande initiative politique » serait prise à la rentrée. Au final, on apprend qu’il s’agit d’une réunion d’une quinzaine de personnes, issues des appareils politiques, dont le lieu semble avoir été fixé à la dernière minute, sans programme ou ordre du jour défini. Le tout baptisé, avant même qu’elles se tiennent, et qu’on sache s’il en sortira quelque chose, d’un nom pompeux, destiné à faire croire qu’il s’agit d’un évènement historique.

Après un an de lancement d’organismes de concertation, eux aussi baptisés de noms pompeux singeant des références historiques (les fameux CNR), la ficelle commence à être plus qu’usée. Il n’est, pour l’instant, strictement rien sorti de ces CNR, et le conseiller chargé de les suivre depuis l’Elysée vient de partir.

Cette initiative, c’est un coup tactique de plus d’un président minoritaire, pour essayer de passer des deals avec ses oppositions, afin de faire passer des réformes dont il espère être crédité dans le futur. Une possibilité que les oppositions ne lui donneront pas. Entre semi-boycott ou fausse main tendue, tout cela risque de finir en eau de boudin, malgré la belle carotte du référendum, agitée par Emmanuel Macron.

Parler de l’outil, avant même de savoir la question que l’on souhaite poser, c’est faire les choses à l’envers, mais c’est tellement emblématique de la manière de faire de la politique dans ce deuxième quinquennat Macron. Choisir de rester dans l’entre-soi des appareils politiques, structures sclérosées qui ne représentent que très peu de monde, est une preuve de plus qu’on est dans la tambouille politicienne, et pas dans une proposition d’envergure. Les pistes qui en sortent sont techniques et d’une ambition modeste : l’ouverture de négociations de branche, une réflexion sur le champ du référendum. Le fait qu’une nouvelle réunion, sur le même format, a été acceptée, est présentée comme une grande victoire.

Le principal enseignement est qu’un an après sa réélection, Emmanuel Macron n’est toujours pas capable de construire un projet politique et un récit qui fasse envie et puisse servir de point de ralliement. Il se montre, de plus en plus, pour ce qu’il est réellement, à savoir un technocrate (certes techniquement brillant) qui n’a pas compris qu’être président, ce n’est pas trancher des détails, mais d’être un moteur politique qui désigne un horizon à atteindre.

Faute de jouer son rôle, il s’est retrouvé avec une majorité relative, et une gestion du pays à la petite semaine, avec des manœuvres tactiques, par un gouvernement qui gère des politiques publiques mais qui fait tellement peu de politique.

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Le JDD va disparaitre, faut-il le regretter ?

Le Journal du Dimanche, en passage d’être racheté par Bolloré (officiellement encore sous le contrôle de Lagardère) entame sa sixième semaine de grève. Comme Itélé et Europe 1 avant eux, les journalistes en place ont lancé une grève. Ils entendent marquer leur refus de changement de la ligne éditoriale, incarnée par l’arrivée à la tête de la rédaction du journaliste d’extrême-droite Geoffroy Lejeune.

Comme pour Itélé et Europe 1, cette grève se terminera par l’ouverture d’une clause de cession, permettant aux journalistes qui le souhaitent (une grande majorité) de partir avec un chèque plus ou moins généreux, avant de laisser la place à la nouvelle équipe. Bolloré a déjà budgété le coût de ce plan social, et n’aura pas de mal à recruter, vu la situation de l’emploi dans le journalisme. Cela fera un journal conservateur de plus.

Et cela fera un journal connivent de moins. On a tendance à l’occulter, mais le JDD était quand même jusqu’ici (avec Paris-Match) le titre de presse le plus poreux à la communication cousue de fil blanc, avec des scoops frelatés mémorables, comme, la tentative de blanchiment de Jérôme Cahuzac. Le JDD était la honte du journalisme d’investigation, le double inversé de Médiapart. Quand le gouvernement ou un puissant de ce monde voulait faire sortir une information qui l’arrangeait au moment où cela l’arrangeait, le JDD répondait toujours présent. Il n’y a qu’à voir le nombre d’interview de ministres, ou de « confidentiel » qui venaient tout droit d’un service communication d’un élu ou d’une entreprise. Qu »un tel journal disparaisse ne me fait pas spécialement pleurer.

C’est d’autant moins dommageable que la liberté de la presse existe toujours en France, et qu’il suffit d’un peu d’argent, d’un dirigeant qui tient la route, pour créer un nouveau titre de presse. Médiapart en est l’exemple. Chacun est libre de s’informer où il le souhaite, et de boycotter les titres et médias qui ne lui conviennent pas. On ne peut pas reprocher à Bolloré d’avancer masqué.

Tout ceux qui pleurent sur le risque d’une presse monolithique, au service des intérêts du grand capital ou aux ordres d’un tycoon ultra-conservateur, n’ont qu’à investir. Les journalistes talentueux sont nombreux sur le marché, il n’y aura aucune difficulté à recruter. Le coût de lancement d’un site en ligne (lancer un journal papier est « has been ») n’est pas si énorme, le ticket d’entrée est accessible à un riche mécène souhaitant muscler la presse « non conservatrice ». Il y a même la possibilité de racheter des titres de presse déjà existants, il y en a sur le marché et cela coûte encore moins cher !

Malheureusement, une fois de plus, on ne fera que verser des larmes de crocodiles sur le JDD « ancienne formule » et sur ses journalistes qui vont se retrouver sur le carreau. Rien ne changera, et on s’y habituera, comme on s’est habitué à CNews et Europe 1 « nouvelle formule ». Ce n’est finalement que le symptôme d’un mouvement de fond, celui de la progression des populistes conservateurs dans l’opinion. Le vrai problème est là.

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Faut-il recaser aussi vite les ministres virés ?

Il a fallu moins d’une semaine pour que Pap Ndiaye, qui a quitté (apparemment contre son gré) le ministère de l’éducation nationale, soit recasé. Il vient d’être nommé ambassadeur de la France auprès du conseil de l’Europe à Strasbourg.

La question ici n’est pas tellement les capacités de Monsieur Ndiaye à occuper ce poste. Je n’ai pas les éléments pour juger, et on peut penser, vu sa carrière et son passé académique, qu’il n’est pas totalement incompétent, ni ignorant des questions relatives aux droits humains. En droit administratif, on dirait qu’il n’y a pas « erreur manifeste d’appréciation ». De là à dire qu’il est parfaitement calibré pour le poste…

Le vrai sujet politique, c’est la rapidité du recasage, et l’absence de réçit autour de cette nomination, qui me fait tiquer. En cette période de défiance généralisée envers la classe politique, c’est au mieux imprudent, au pire, une erreur politique. L’image, déjà ancienne, de collusion généralisée et d’entre-soi des élites, est en plein boom, faut-il lui donner une nouvelle incarnation, qui ne manquera pas de ravir les milieux complotistes et populistes ? On voudrait le faire, on ne ferait pas mieux !

La question pourrait même être élargie : faut-il recaser les anciens ministres ? Il y a quelques années, j’aurais répondu « oui » sans trop d’hésitation. Pourquoi refuser de puiser dans un vivier de personnes compétentes, formées, disponibles pour le service de l’Etat ? Un ancien ministre des Finances (ou un ancien parlementaire) aurait des choses à apporter à la Cour des Comptes ou à une inspection générale de ministère. Un ancien ministre, a souvent une expérience de haut niveau de l’exercice du pouvoir (par exemple de l’échelon européen) qui peut être mise à profit de l’intérêt général.

Aujourd’hui, je suis plus dubitatif, ou je serais plus prudent. Il est toujours utile de recycler des personnalités compétentes qui peuvent encore servir, mais cela ne peut plus se faire dans la tranquillité des antichambres ministérielles et l’ambiance feutrée du conseil des ministres. Il faut expliquer et justifier. Ce n’est plus possible autrement, et même en expliquant, ce n’est pas certain que ça passe. Le discrétionnaire (réel ou perçu) n’est plus acceptable pour les nominations.

Le pouvoir macronien est passé d’une promesse de rupture, à une continuité dans les pratiques qu’il contestaient avant de prendre le pouvoir. C’est désastreux pour la crédibilité, de ce gouvernement, mais également (et c’est plus grave) des institutions. Le pire, c’est que ce n’est pas le premier loupé de Macron sur ce sujet.

Pap Ndiaye est peut-être un bon choix pour le poste d’ambassadeur de la France auprès du conseil de l’Europe. Mais cela ne va pas de soi, demande un peu d’explications, et surtout, de respecter un délai de décence.

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Un simple ajustement gouvernemental

Emmanuel Macron vient procéder à un micro-changement dans son gouvernement. Difficile d’appeler cela un remaniement : pas de message politique indiquant un changement de cap, des remplacements « poste pour poste » sans redécoupage des périmètres, départs des ministres les plus faibles, arrivée de gens du sérail. Cela donne l’impression qu’Emmanuel Macron a juste envoyé sa voiture au garage pour la révision annuelle, avec le changement de quelques pièces fragiles dans le moteur. Mais pas plus. Ce gouvernement reste une voiture d’occasion rafistolée. Pas plus.

Politiquement, c’est dévastateur, car cela traduit ostensiblement un rabougrissement supplémentaire du périmètre du gouvernement et de la majorité. Aucun nouvel entrant « prise de guerre », des membres de la société civile qui sortent, remplacés par des très proches ou des élus fidèles, une communication pathétique. Le sentiment de « citadelle assiégée » se renforce, et c’est dramatique.

Sans boussole politique, sans récit donnant du sens, sans alliés, ce gouvernement est en train d’achever de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, et de s’anémier. Alors que Macron nous a promis un bilan après 100 jours de relance, on se rend compte qu’il n’est pas capable de donner autre chose que du « business as usual » en moins bien, alors même que ce qui existait n’était déjà pas terrible.

Encore un ou deux épisodes comme celui-ci, et même au coeur de la macronie, on va commencer à se poser des questions, et à se dire que la salut peut se trouver ailleurs.

Emmanuel Macron a encore une cartouche, celle du prochain remaniement (le vrai) pour prouver qu’il n’est pas hors jeu. S’il rate cet épisode, ce sera le début de la fin au sein même de sa majorité. Si le doute s’installe que le chef est déconnecté du terrain, et n’est plus en capacité de mener à la victoire en cas de nouvelle échéance électorale, ce sera l’hallalli.

Personnellement, je doute de plus en plus sérieusement qu’il soit capable de se renouveler et donc de se relancer son deuxième quinquennat. Même si le moteur de la voiture a été révisée, le réservoir politique est quasiment vide.