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Macron, entre déni et irresponsabilité

Emmanuel Macron, qui s’acharne à se maintenir au pouvoir, vient de se trouver un nouvel os à ronger, pour essayer de « renouer avec les français » et justifier une tournée de popotes en province. Il s’attaque aux réseaux sociaux, proclamant qu’ils sont nocifs pour la démocratie.

Cela me désespère profondément, et surtout, me fait désespérer de la politique française. A écouter Emmanuel Macron, qui fustige « l’anonymat en ligne », j’ai l’impression de revenir 15 ans en arrière. Ce n’est pas faute de répéter que l’anonymat n’existe pas en ligne (ce qui peut être un problème), rien n’y fait, cette rengaine continue, et est reprise au plus haut sommet de l’État. Le pire, c’est que je pense qu’Emmanuel Macron est parfaitement conscient qu’il dit des conneries, mais le fait parce que ça le sert politiquement. Le fait de mal poser un problème, ce qui empêchera de le résoudre correctement, ne semble pas le heurter. Moi si !

Cela me désespère aussi, car depuis 15 ans, nous avons mis en place, au niveau européen, une législation très touffue et complexe, pour « réguler » les plateformes. Ces règlements comme le DMA, le DSA, l’IA Act et j’en passe, ont été voulus et fortement poussés par Emmanuel Macron, avec un français, Thierry Breton, en maitre d’œuvre. Tous ces textes sont officiellement entrés en vigueur, leur mise en place effective est en train de se faire. L’enjeu maintenant est de se donner les moyens de les appliquer pleinement, et pas de recommencer le match politique. Mais notre classe politique semble incapable de mener cela à bien.

Le cœur du problème est que nous n’avons tout simplement pas les moyens de mettre en œuvre les législations et régulations que nous avons votés. C’est particulièrement criant sur le secteur du numérique. Pour réguler les plateformes, il faut savoir ce qu’il s’y passe, et donc les surveiller. Bien évidemment, il ne faut pas compter sur elles pour dénoncer ce qui leur permet de faire leur beurre, que ce soit les marketplaces vendant des armes et des poupées pédopornographiques, ou des réseaux sociaux qui diffusent des images de violences ou des fakes news. Il faut donc déployer tout un écosystème dédié à la surveillance, au signalement et au traitement des infractions. Mais cela veut dire payer des gens, formés et qualifiés, pour le faire. Pour l’instant, les budgets ne suivent pas du tout. Les règlements européens prévoient un statut de « signaleur de confiance » qui est accordé à des structures indépendantes des plateformes, dont les signalements doivent être traités en priorité par les plateformes, mais aussi par la justice. Les premiers signaleurs de confiance viennent d’être désignés en France, mais l’État ne leur a pas donné un kopeck pour ça. A elles de se débrouiller pour trouver l’argent, les pouvoirs publics leurs recommandant même d’aller demander de l’argent aux plateformes. Quand on sait que ces signaleurs sont censés être indépendants des plateformes, on se rend bien compte de l’impasse, mais aussi de l’abandon par l’État de ses responsabilités. Et c’est comme ça pour tout. Pharos, qui gère les signalements pour la Police est en sous-effectif, de même que la justice. Ne parlons même pas du régulateur français, l’Arcom, qui a une quarantaine de personnes pour traiter l’ensemble de ses compétences numériques, là où son homologue britannique en a plusieurs centaines.

L’autre problème, sur la régulation du numérique, est qu’il faut aussi être en capacité de créer un rapport de force avec les plateformes. L’Europe étant incapable d’innover et de prendre les bons trains (et ce n’est pas prêt de changer), tous les acteurs systématiques sont américains ou chinois, et opèrent au niveau mondial.

N’ayant aucun « champion » qui en serait victime, l’Europe s’est lancée dans la construction d’un rapport de force avec les grandes plateformes, utilisant pour cela l’arme de la régulation juridique. Le calcul des autorités européennes est que nous sommes un marché économiquement encore trop important, pour que les plateformes puissent faire complètement l’impasse. C’est l’idée même du DMA, qui est le règlement concernant les très grandes plateformes, et qui est conçu pour les emmerder au maximum, afin de créer un rapport de force au profit de la Commission européenne. Malheureusement, sur ce terrain là, nous sommes aussi en train de perdre la bataille

Ces grandes plateformes, notamment américaines, ne restent pas les bras ballants, et se défendent (et on ferait pareil à leur place). Leur premier axe est de challenger le régulateur, en contestant les régulations, leur mise en œuvre, avec pour cela une armée d’avocats, qu’elles ont les moyens de payer. Ce faisant, elles mettent le doigt là où ça fait mal, car la machine administrative européenne (et française), très forte pour pondre des lois, l’est beaucoup moins pour les appliquer, car il faut des moyens matériels et humains. On retombe sur ce que l’on évoque plus haut.

Depuis 2024, les plateformes américaines ont dégainé un nouvel atout, leur gouvernement. Depuis le retour de Trump au pouvoir, une alliance s’est nouée, certaines plateformes allant même baiser la babouche du président et se mettre idéologiquement à son service, en échange de la mobilisation des armes géopolitiques pour les défendre. Combien de temps l’Europe va-t-elle être capable de continuer à sacrifier des secteurs économiques, victimes de menaces commerciales réelles, pour continuer à « réguler » les plateformes ? A un moment donné, le coût sera tel, que la Commission européenne finira par lâcher.

En attendant, la France continue à discuter de tout cela, comme si tout était encore possible, comme si tout était encore à la main du président de la République. On nage complètement dans le déni et l’irresponsabilité.

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