La décision du conseil constitutionnel sur la loi Duplomb a remis sur le devant de la scène la question du contrôle de la procédure parlementaire par les Sages, et le fameux principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.
La procédure d’adoption de la loi Duplomb a été assez chaotique et inhabituel, puisque les députés n’ont pas pu en débattre en séance, du fait de l’adoption d’une motion de rejet préalable. Le fait que cette motion ait été déposée par le rapporteur, et votée par la majorité, est un fait rarissime et est politiquement très contestable. Pour autant, le conseil constitutionnel n’a rien trouvé à y redire. Et c’est normal.
Le conseil constitutionnel exerce un contrôle, qui consiste à voir si, sur la forme comme sur le fond, les parlementaires ne sont pas sortis du cadre constitutionnel. Même si le résultat peut sembler baroque, ou pas le plus efficient, le conseil ne dira rien. Il le répète dans beaucoup de décisions, avec une formule classique : « le conseil ne bénéficie du même pouvoir d’appréciation que le Parlement ». Il ne faut donc pas attendre de lui qu’il se penche sur les détails des choix politiques, à partir du moment que les outils procéduraux utilisés existent, et que le mode d’emploi a été respecté.
Il existe toutefois une limite, qui est le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Souvent brandi par les oppositions, dans leurs recours, il n’a jamais servi, et c’est tant mieux. Pour moi, ce principe est avant tout une protection des droits de l’opposition, contre des manœuvres du gouvernement ou de la majorité, qui auraient empêché un débat libre et éclairé. Cela peut être des informations essentielles qui n’ont pas été transmises, des délais trop courts pour déposer des amendements (sauf si on a été prévenu avant, de manière informelle), des débats tronqués, qui n’ont pas permis à l’opposition de déployer tous leurs arguments, ou de la faire de manière audible. On serait dans le cas d’un fonctionnement démocratique très déficient, où le gouvernement passe en force en mentant et en bâillonnant l’opposition.
Dans le cadre de la loi Duplomb, les députés ont eu toutes les informations nécessaires, le débat a eu lieu en commission, et les arguments contre le texte ont pu être présentés et débattus. Certes, ce débat n’a pas eu lieu en séance, qui est le moment où ils auraient pu avoir plus de visibilité, mais rien de nouveau n’était attendu. La séance n’aurait été que la répétition théâtrale et ad nauseam de ce qui a déjà été dit en commission. Comme à chaque fois, pour tous les textes.
Il était évident, dès le départ qu’il n’y a eu aucune violation du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires sur cette loi Duplomb. Le jour où ce sera le cas, il faudra vraiment être inquiet sur l’état de notre démocratie.
9 réponses sur « La clarté et la sincérité des débats »
Permettez que je commence à m’inquiéter, lorsque des parlementaires qui ont proposé le texte votent contre pour éviter le débat dans l’hémicycle. A quoi sert l’hémicycle si l’on peut se contenter des commissions ?
On constate tout de même une dérive qui peut surprendre dans les pratiques consistant à adopter la loi ces dernières années. La qualité des textes s’en ressent et leur acceptation par les citoyens faiblit.
Mais ma foi si tout est fait dans les règles et que personne n’abuse du droit, on peut bien s’en contenter.
Le problème est politique et médiatique, pas juridique. Pas de séance = pas de capsule vidéo dans l’hémicycle. Cela donne moins de portée, mais le débat a déjà eu lieu en commission à l’Assemblée et au Sénat. Tout a été dit sur le fond, voire redit, même sans passage en séance à l’Assemblée.
Le sujet de la classe politique qui se tire des balles dans le pied, ça fait très longtemps que ça existe, même si c’est vrai qu’ils se surpassent depuis quelques années. Mais c’est un autre sujet.
Un autre problème, c’est aussi que tout passe par des propositions de loi pour éviter les études d’impact.
Pas étonnant qu’on se retrouve avec des lois mal ficelées.
Il y a ça, ainsi que la baisse de la culture politique et juridique des parlementaires, ainsi qu’une forme de « je-m’en-foutisme » sur l’aspect « législateur » du travail parlementaire. Le résultat d’un lent affaissement commencé en 2017.
D’un point de vue technique je doute que l’on puisse débattre à 577 dans un hémicycle; je l’ai toujours vu comme un lieu symbolique où toutes les parties vont rappeler leurs (op)positions, éventuellement accepter une dernière concession, et puis voter. Mais je ne l’ai jamais vu comme un lieu de débat. Tout s’est fait avant…
Après Nupes / Front populaire / Lfi ayant transformé l’hémicycle en cirque, ce n’est peut être pas plus mal…
Le débat dans l’hémicycle permet au citoyen de suivre ce qui se passe, s’il le désire. Dans les commissions, tout se passe dans notre dos.
La loi a été adoptée sans que mon représentant ne vote. Personne ne voit là un problème ?
la représentation nationale a voté. Les députés ont adopté, à la majorité, une motion de rejet, en première lecture, et ont approuvé les conclusions de la commission mixte paritaire. Il s’agit d’un organe collégial, où « votre » représentant » n’a pas de pouvoirs propres. Un député est représentant de la Nation, et c’est simplement par le biais du système électoral qu’il est élu dans le cadre d’une circonscription.
Je suppose que vous avez lu la tribune de Jules Boyadjian dans Le Monde du 22 juillet : aucun texte n’ayant été adopté par l’Assemblée nationale avant la motion de rejet, les députés n’avaient aucun mandat pour négocier + la CMP était aux mains des « Républicains » (qui n’ont pas gagné les élections). Les conclusions de la CMP ont été approuvées (les députés avaient-ils le choix ? oui, bien sûr, mais en fait non, pas du tout), et donc tout va bien. J’ai malgré tout l’impression qu’il y a des gens en haut lieu qui ne se rendent pas compte de la façon dont ce genre de procédure peut être reçu par de simples citoyens – ou qui le voient bien, mais s’en fichent.
Et puis, maintenant que le CC a accepté ça, pourquoi les députés se fatigueraient-ils à discuter de quoi que ce soit ?
Formellement et juridiquement, tout s’est passé dans les règles, donc le conseil constitutionnel n’allait rien dire. Politiquement, c’est autre chose, et la manière dont c’est passé n’est effectivement pas satisfaisant. Mais c’est de la responsabilité collective des députés, incapables de s’entendre et de trouver des compromis. Ce n’est pas le rôle du conseil constitutionnel de dire à des députés comment ils doivent se comporter politiquement, c’est aux électeurs.