Les députés viennent de partir en vacances pour deux semaines, en laissant en plan un projet de loi, portant sur la simplification de la vie économique. Ce texte, né sous le gouvernement Attal, traine dans les tuyaux parlementaires depuis plus d’un an, et semble bien parti pour s’ensiler dans les marécages parlementaires.
Les conditions politiques qui existaient au moment de son adoption en conseil des ministres, au printemps 2024, ont disparu. A l’époque, le gouvernement Attal avait une majorité, certes relative, mais suffisante pour faire passer ses textes. Depuis, la dissolution a rendu toute majorité improbable et incertaine à l’Assemblée. Le gouvernement de l’époque avait encore la volonté d’impulser des choses, ce qui est loin d’être le cas de François Bayrou, qui procrastine, gère les affaires courantes et ne tranche pas grand chose. La ligne politique de réindustrialisation était sur les rails depuis longtemps, et ce texte était dans une continuité qui lui donnait une logique politique. L’arrivée de Trump et sa politique erratique ont percuté le sujet du développement économique et de la réindustrialisation.
Le choix d’une loi fourre-tout en fait un piège redoutable, chaque chapitre étant un texte autonome, avec des amendements en pagaille, sur des sujets parfois abrasifs. C’est l’assurance d’y passer un temps fou, comme on a pu le voir la semaine dernière. L’article 1 prévoit la suppression de quelques obscurs comités consultatifs. Les sénateurs, mais surtout les députés, s’y sont engouffrés, avec des propositions baroques de suppression d’organismes importants, comme l’Ademe, l’agence nationale des fréquences, le centre national du cinéma ou encore la commission nationale du débat public. Quelques uns sont passés à la casserole, comme le haut conseil de l’évaluation de la recherche. Cette thématique a quasiment cramé trois jours de séance. La prochaine thématique qui arrive, à la rentrée, c’est la suppression des Zones à faible émission (ZFE), qui encadrent l’accès des grandes villes, en les interdisant aux véhicules les plus polluants et derrière, c’est la thématique du Zero artificialisation nette. Des sujets hautement polémiques, qui se sont invités par l’adoption d’amendements en commission. Et il y en a un paquet comme ça, où le débat en hémicycle risque de durer un peu. Avec 11 groupes à l’Assemblée, si chacun veut prendre la parole, on ne s’en sort pas !
Le texte est également victime de la dégradation de la qualité du travail parlementaire. Personne ne contrôlant plus rien au Palais Bourbon, la rigueur juridique, qui n’était pas bien fameuse, s’est encore dégradée, avec une loi écrite, plus que jamais, avec les pieds. Il semblerait que le contrôle de la recevabilité des amendements se soit également fortement relâché, notamment lors de l’examen en commission du texte sur la simplification. Le conseil constitutionnel a déjà envoyé un premier signal, sur le projet de loi d’orientation agricole, où plusieurs dispositions politiquement sensibles ont été censurées pour « atteinte au principe d’intelligibilité de la loi ». Un motif de censure rare, qui signale des malfaçons juridiques lourdes, et devrait provoquer une forme de honte dans les assemblées. Il semblerait que ça ne soit pas le cas, et que ça continue de plus belle. On risque d’avoir encore quelques censures sanglantes à venir, notamment sur ce projet de loi de simplification ! Et je ne parle même pas de la compatibilité avec le droit européen.
Malgré la quasi absence de projets de loi, l’agenda parlementaire déborde, avec un nombre impressionnant de propositions de lois. Certaines présentent de l’intérêt, mais trop souvent, elles portent sur des enjeux microscopiques et consensuels (les pannes d’ascenseurs…) et sans espoir d’un adoption définitive, si la procédure accélérée n’est pas engagée. Avec deux lectures dans chaque chambre, il faut pouvoir trouver les créneaux, et même si le gouvernement leur fait de la place dans les semaines qui lui reviennent, cela ne suffit pas, car il n’en a que deux par mois. On lance plein de balles en l’air, dont la plupart ne retomberont pas.
On se retrouve avec un projet de loi simplification qui fait figure de monstre, dont plus personne ne contrôle le développement et les discussions. Au rythme où on a avancé la semaine dernière, il faudra bien deux semaines, voire plus, pour en venir à bout. Or, l’agenda jusqu’au 30 juin (date de fin de la session ordinaire) est blindé, avec des textes politiquement sensibles (comme la fin de vie) ou de transpositions européennes (la cybersécurité) qu’il est difficile de décaler. Le gouvernement en est réduit à gratter les fonds de tiroirs, ce qui va donner un examen complètement décousu de ce projet de loi de simplification. Le gouvernement a ainsi pu trouver trois séances, les 29 et 30 avril, qui ne suffiront pas.
Tout cela, c’est bien entendu, en mode « normal ». Si jamais François Bayrou venait à tomber (sur l’affaire ND de Bettharam par exemple), toute vie politique et parlementaire s’arrêterait pour quelques semaines, le temps de nommer un autre gouvernement et de reconstituer les cabinets ministériels. Pour arrivera, en octobre, le budget, où il va bien falloir arriver à un vote explicite, sur des choix qui ne peuvent être que difficiles. On entrera alors, quelque soit le gouvernement en place, dans une période de turbulence qui ne laisse guère de bande passante pour d’autres sujets.
Une réponse sur « Le naufrage annoncé de la loi Simplification »
Le problème, c’est que la Vème république a été conçue dans l’optique que le gouvernement mène le bal.
S’il ne fait pas son boulot, rien n’avance.
Et comme il n’y a aucune culture de la négociation parlementaire, aucun groupe ne peut pousser un texte qui ait une chance de passer.
On voit mal comment ça pourrait changer avec cette législature.