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Clap de fin pour Emmanuel Macron

Ce 29 octobre, Elisabeth Borne a accepté de se retirer de la course à la tête du parti Renaissance, laissant le champ libre à Gabriel Attal. Dejà président du groupe parlementaire, il aura désormais tous les leviers pour être le véritable patron de ce qui reste du camp macroniste.

Il reproduit ainsi, avec brio, il faut le reconnaitre, ce que tous les héritiers ont fait, ou voulu faire : se donner « du vivant » de leur prédécesseur, les moyens de plier le match de la succession, avant même que la question de se pose. Exactement comme Nicolas Sarkozy, quand il prend la présidence de l’UMP, en novembre 2004.

En prenant le groupe, Attal s’est donné la visibilité politique et médiatique qu’offre l’hémicycle. En prenant le parti, il met la main sur le financement politique, et sur un réseau militant. Même s’il reste beaucoup de chemin, et d’obstacle, le plus difficile est fait. Il a éliminé tout rival sérieux, car il sera le seul à avoir les moyens d’être candidat à l’élection présidentielle, avec Edouard Philippe, lui aussi doté d’un parti et d’un groupe politique. Le Modem, où débute la guerre de succession d’un François Bayrou vieillissant, semble en retrait.

Dans cette affaire, Emmanuel Macron n’a plus que les faibles pouvoirs de sa fonction, qui relèvent surtout de la capacité de nuisance, tant qu’il n’y a pas de crise politique. Il ne tient plus les rênes du parti, ne représente pas l’avenir, car ne pouvant pas se représenter, ce n’est pas lui qui distribuera les postes. L’agonie politique commence, elle ne va pas être belle à voir.

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Le modèle économique des médias tue la démocratie

Aux Etats-Unis, Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post, a demandé que le journal ne prenne pas position sur la prochaine élection américaine. Cela empêche donc la rédaction de proclamer qu’ils roulent pour Kamala Harris. Bezos entend remettre en cause le fait que les journalistes « s’engagent » et souhaite qu’ils adoptent une neutralité qui est l’essence même de leur métier. En cela, je ne peux que l’approuver. J’attends d’un journal qu’il me donne des informations pour me faire une opinion, pas qu’il me donne les opinions de ses journalistes sur ce qu’il faut penser ou croire.

Cette décision a immédiatement suscité une levée de boucliers, tant en interne que chez les abonnés, avec 200 000 résiliations d’abonnements. Cela montre à quel point une part importante du lectorat d’un journal tient à cet engagement. Finalement, entre une neutralité informative, et un engagement affirmé, qui conforte des opinions, le choix du public est assez clair. S’ils paient et s’abonnent à un médias, c’est pour y lire ce qu’ils ont envie de penser et de croire. C’est un choix légitime, mais ce n’est pas le mien.

En France, nous avons aussi ce phénomène, avec des médias militants, comme Médiapart, qui bénéficient d’une communauté d’abonnés importante, dont les motivations sont clairement de soutenir un média qui exprime publiquement leurs opinions politiques et met en avant les thématiques qui leur tiennent à coeur. L’extrême-droite constatant que ce modèle économique fonctionne bien, développe rapidement la même chose, avec des virages radicaux de publications déjà bien à droite, comme Le Figaro, ou pire, Valeurs Actuelles. L’application la plus méthodique de ce virage est celle du groupe Bolloré, qui pratique l’épuration dans les rédactions des médias qu’il rachète, pour en faire des organes de propagande.

Au final, on se retrouve avec de moins en moins de médias dont la mission reste d’informer, de manière impartiale. De plus en plus, il faut se poser la question de l’existence d’un agenda politique derrière la mise en avant de certains sujets, ou de certains angles, et s’obliger à lire plusieurs journaux différents, pour arriver à se faire une idée juste de la réalité (toujours plus complexe et nuancée que ce qui peut être raconté en 2000 signes). Tout le monde n’a pas le temps, ni l’envie de se livrer à cet exercice.

Cela est dangereux pour la démocratie, car il faut bien constater la puissance de frappe de ces médias, et leur capacité à poser, de manière orientée, les termes du débat public, celui auquel les élus se sentent obligés de répondre. Quand la question est mal posée, la réponse ne peut pas être pertinente (outre le fait que bien souvent, la réponse est induite par la manière dont la question est posée).

Il existe donc, de plus en plus, une demande non satisfaite par les médias, du moins par les médias mainstream, ceux qui vivent de la publicité ou d’abonnements à prix modiques (nécessitant donc un gros volume d’abonnés). Pour trouver cette offre, il faut se tourner vers une presse professionnelle, ou de niche, dont les abonnements sont bien plus chers. On se heurte à un obstacle, qui est la propension du lecteur à payer aussi cher, alors même qu’une information bas de gamme ou biaisée est disponible gratuitement, et suffit à la plupart, à se considérer comme « informé ».

On est là devant un problème démocratique qui ne va pas aller en s’arrangeant. On va au devant d’une polarisation encore plus forte des débats publics, comme ce que l’on voit aux Etats-Unis, de manière caricaturale. Chaque camp vit dans un autre « pays mental » que l’autre, Républicains et Démocrates ont de moins en moins de choses en communs, et un type aussi erratique et délirant que Trump arrive quand même à convaincre des millions de personnes de voter pour lui.

Je n’ai pas envie de cela pour la France, et pourtant, on s’y dirige. Le modèle économique, mais aussi les aspirations et la « culture professionnelle » des journalistes poussent à cette politisation des médias, et donc à leur radicalisation.

Le maintien d’au moins un grand titre de presse, ayant les moyens de couvrir toute l’actualité, de manière factuelle et équilibrée, est indispensable. Retrouver ce qu’était autrefois « Le Monde », en inventant de nouveaux modèles de financement. Cela peut être un milliardaire, conscient de la nécessité d’un tel outil, qui y consacre l’argent nécessaire (je n’y crois pas trop pour la France). Cela peut aussi être un financement plus participatif, où des citoyens décident de soutenir, de manière militante, le maintien d’un ilot de neutralité et de hauteur de vue, au milieu d’un océan de militantisme plus ou moins radical. Là encore, ce n’est pas gagné, car avant toute chose, il faut que ce média « neutre » existe, avec un équipe et un patron qui l’animent et le font vivre sur cette ligne exigeante. Pour l’instant, je ne vois pas trop où il est…

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L’immobilier des églises est-il sacré ?

La question de la place des religions dans l’espace public resurgit d’une manière un peu étrange, avec la polémique autour du statut de Notre-Dame de Paris : lieu de culte ou attraction touristique ? L’enjeu de la polémique est de savoir lequel de ces deux usages doit primer sur l’autre. En effet, la ministre de la Culture (par ailleurs élue de Paris) souhaite faire payer un droit d’entrée, au profit de la restauration du patrimoine, lors de la réouverture de l’édifice.

L’église catholique se raidit, car elle sent bien que cet édifice hautement symbolique est en train de lui échapper, et qu’elle finirait par n’y être plus que « tolérée », dans des créneaux bien précis, à condition que les offices religieux ne troublent pas la visite des touristes. Ce raidissement est d’autant plus fort, qu’on sent bien que la question dépasse largement la simple cathédrale de Paris, et que ce qui est questionné, c’est le dimensionnement de l’immobilier contrôlé par l’église catholique, et sa légitimité à occuper ces bâtiments dont l’essentiel de l’entretien est à la charge de la collectivité publique.

La loi de 1905 a eu pour effet de transférer la propriété des édifices du culte aux collectivités publiques (les cathédrales pour l’Etat, et les autres églises et chapelles, aux communes) avec un statut d’affectataire pour les religions. Elles sont donc locataires, mais un bail perpétuel, qui ne peut être résilié que un décret avec l’accord de l’affectataire (on appelle cela la désaffectation).

La chute de la pratique religieuse a chuté drastiquement en France, rendant surdimensionné le réseau de lieu de culte, en particulier catholique. Il est logique qu’au bout d’un certain temps, les collectivités qui sont propriétaires des bâtiments et en payent l’entretien, s’irritent de leur sous-utilisation. Pour les « meilleurs morceaux », la tentation peut être grande d’en faire un autre usage, culturel ou touristique, qui puisse notamment procurer le financement de l’entretien par des recettes propres. Le proposition formulée par la ministre de la Culture est donc logique, et devait fatalement arriver un jour.

Il reste un verrou, fragile, celui de la loi de 1905, qui est un totem politique, un symbole qu’il est très délicat de toucher, car c’est une boîte de Pandore qu’il est dangereux d’ouvrir. Nombre de collectivités locales pourraient en profiter pour demander à l’église catholique de « rationaliser » son réseau de lieux de culte, voire rendre les biens pour ne plus avoir à payer. Etant donné la difficulté, technique et symbolique, de reconvertir les églises à d’autres usages, le risque (déjà en train de se réaliser) est que les bâtiments religieux qui ne sont pas récupérables soient laissés à l’abandon et finalement démolis.

On va donc vers un progressif effacement des religions de l’espace public, par la disparition ou la reconversion (en musée ou salles de concert) de bâtiments, où l’activité cultuelle sera évacuée ou résiduelle, et transférée ailleurs. Les hiérarchies religieuses auront bien du mal à lutter contre cela, car il leur restera encore suffisamment de lieux de culte pour accueillir le peu de fidèles qui fréquentent encore les églises. On leur expliquera que s’ils veulent conserver toutes leurs églises, pour un usage exclusivement cultuel, il va falloir payer. Si on lance le débat sur la justification de cette dépense d’entretien des bâtiments cultuels sur fonds publics, je crains fort qu’une majorité se dégage pour ne réduire drastiquement cette dépense.

Le débat qui a lieu autour du contrôle de Notre-Dame de Paris est donc important. On aura certainement un compromis, qui pourrait faire acter un recul de l’emprise des autorités religieuses sur les bâtiments de culte les plus prestigieux. Mais il n’y aura sans doute pas d’affrontement brutal. Les autorités politiques n’ont pas intérêt à heurter de front les catholiques, et à devoir réviser la loi de 1905. La hiérarchie catholique n’a pas plus intérêt à l’affrontement, sous peine de voir poser, ouvertement, le sujet du surdimensionnement de son réseau d’églises et le fait qu’il est entretenu sur fonds publics.

Pourtant, ce débat est légitime, et serait utile, plutôt que d’avoir une évolution rampante, où les choses ne sont pas dites, où les choix ne sont pas assumés. Mais je ne pense pas, vu les fractures politiques qui traversent ce pays, qu’on puisse avoir un débat serein sur un tel sujet.

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On arrive aux limites de la loi Sapin 2

Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision importante, concernant l’inscription des think tanks au registre des représentants d’intérêt géré par la haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP). En donnant raison à l’Institut Montaigne, qui refusait de s’inscrire, les magistrats ont montré les limites de la logique qui a présidé à la régulation du lobbying mise en place par la loi Sapin 2 de 2016.

Cette loi a créé une série d’obligations déclaratives auxquelles doivent se soumettre les représentants d’intérêts (lobbyistes en langage courant). Ils doivent s’identifier, dire pour qui ils travaillent, et indiquer les rencontres qu’ils sont eu avec tout un panel de décideurs publics, en vue d’influencer l’écriture de la loi ou des règlements. L’idée à la base du texte Sapin 2 est de rendre transparent le processus d’élaboration des normes, en dévoilant « l’empreinte législative » qui permet de savoir qui a pesé sur quoi dans la décision publique.

Le conflit tranché par le Conseil d’Etat portait sur les lignes directrices de la HATVP, qui considérait que les think tanks étaient soumis, par leur nature même, à l’obligation de se déclarer. Il est vrai que certains think tanks peuvent être des relais de lobbying, mais leur but premier est d’alimenter le débat public et politique, par leurs travaux de réflexion, sans que ce soit nécessairement du lobbying. Ou alors toute participation au débat public est du lobbying. Le Conseil d’Etat a donc conclu que pour obliger un think tank à se déclarer, il faut se baser sur son activité réelle et concrète, pour voir, au cas par cas, de quel coté de la barrière il se situe.

En fait, dès le départ, le processus est vicié, par une erreur fondamentale, qui ne peut amener que dans une impasse. Si on veut avoir une image exacte de ce qui a « alimenté » le décideur public, c’est à lui qu’il faut le demander. Or, le texte s’est bien gardé de faire peser la moindre obligation déclarative sur les décideurs publics. C’est sur ceux qui envoient des éléments, que reposent toutes les obligations, avec une course sans fin, car les élus reçoivent des éléments venus de partout, des lobbies bien entendu, mais aussi de leurs électeurs, qu’ils rencontrent sur les marchés, dans leurs permanence, et qui ont un avis sur les lois qu’ils doivent voter. La logique de la loi Sapin 2, si on la suit jusqu’au bout, est d’imposer des obligations déclaratives à absolument toutes les personnes qui entrent en contact avec un décideur pour chercher à l’influencer. Sinon, on n’a qu’une vision incomplète de l’empreinte législative, et on vide cette loi d’une grande partie de son utilité, et donc de sa justification. Cette logique de transparence se heurte ainsi à un double obstacle.

Il est matériellement impossible de documenter tous les contacts susceptibles d’avoir une influence sur les votes et les prises de parole d’un élu ou d’un décideur. C’est un travail titanesque et sans fin, car en plus de traiter la masse documentaire ainsi récoltée, il faudrait aussi contrôler les éventuelles fraudes, y compris jusqu’au domicile de l’élu, où le conjoint et les enfants peuvent être des vecteurs d’influence.

C’est également politiquement impossible, dans une démocratie, d’imposer de telles obligations aux citoyens. Mais en ne le faisant pas, on laisse une brèche énorme, un peu à la manière de la ligne Maginot, qui ne couvrait que la frontière directe entre la France et l’Allemagne. En 1940, les allemands n’ont eu qu’à passer par la Belgique pour la contourner tranquillement.

Cela pose aussi un problème politique du coté des élus, où leur imposer des obligations déclaratives lourdes peut être considéré comme une atteinte au libre exercice du mandat. Surtout si ces obligations sont assorties de sanctions en cas de non respect, et peuvent entrainer la perte du mandat. Cela rendrait l’exercice du mandat absolument ingérable, et totalement infernal.

La logique de la loi Sapin 2 sur la régulation du lobbying, qui est une bonne intention à la base, amène tout droit à un cauchemar façon « 1984 » de George Orwell, si on veut aller au bout de la logique. On devait bien finir, un jour, par s’en rendre compte. Ce jour est arrivé et on est bien ennuyé, car il est toujours difficile de faire demi-tour quand on se trouve au bout d’une impasse.