Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ancien villériste devenu LR, n’a pas tardé à se lancer dans une rhétorique droitière. Dans le JDD, en réponse à l’émotion médiatique suscitée par le meurtre d’une jeune étudiante, il dit « L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain. »
Des propos qui suscitent bien évidemment un émoi à gauche, qui ne manque pas de le crier sur les réseaux sociaux, retenant surtout le premier morceau de phrase. C’est le jeu de la politique, rien de surprenant donc qu’il y ait des désaccords, qui puissent s’exprimer bruyamment. Reste qu’il faut savoir aller au delà, pour entendre ce que dit réellement Bruno Retailleau et lui répondre sur le fond.
Son positionnement ne me choque pas, même si je ne suis pas complètement en accord avec lui. L’Etat de droit est quelque chose d’important, qui sans être sacré et absolument intouchable, n’est pas non plus une chose anodine. C’est un socle de notre démocratie, qui a mes yeux ne peut qu’être également libérale. Je suis fermement opposé aux démocraties « illibérales », comme la Hongrie, où un régime démocratiquement élu peut bafouer les libertés publiques. Même si effectivement, il faut une adhésion du peuple à cet Etat de droit, il ne saurait être question de pouvoir tout régler, et éventuellement le modifier, simplement par un vote du « peuple souverain ». Je ne vois pas un référendum venir modifier le texte de la déclaration des droits de l’homme de 1789, qui figure en préambule de la Constitution (et fait donc partie du bloc de constitutionnalité).
L’Etat de droit dépend aussi de traités internationaux, que nous ne sommes pas libres de modifier unilatéralement, ni même d’interpréter ou d’appliquer en fonction de notre seule volonté. Là encore, si effectivement, la ratification d’un traité important peut passer par un référendum, c’est beaucoup plus compliqué de convoquer les électeurs pour sortir d’un traité, tellement les conséquences juridiques sont complexes.
Mon gros point de désaccord, c’est finalement la dernière phrase de Bruno Retailleau. La source de l’Etat de droit, ce n’est pas uniquement le peuple souverain, du moins pas le peuple entendu comme « corps électoral d’un référendum ». Notre histoire, notre culture politique sont aussi partie prenante, il n’est pas possible de faire un virage brusque sur ces sujets, et de renier notre passé. L’essence même du concept d’Etat de droit, est qu’il s’impose au législateur, voire au référendum, car la volonté du « peuple souverain » peut être limitée, et ne passe pas uniquement par un vote.
Si notre Etat de droit peut évoluer, cela ne peut se faire que par consensus, au terme d’un long processus de consultations et de ratifications. C’est donc extrêmement progressif, et cela s’accommode très mal d’une modalité électorale, telle que sous-entendue dans le propos de Bruno Retailleau.
Ce débat reste limité, car cette prise de position relève de la rhétorique. Le seul ministre de l’Intérieur, qui représente un des partis de la coalition gouvernementale, n’est pas en capacité de modifier l’Etat de droit. Ce n’est pas la première fois que la droite conservatrice prend de telles positions, sans que cela soit suivi d’une quelconque action concrète. Car cela suscite suffisamment de levée de boucliers pour que ça n’aille pas plus loin. Les conditions pour que cela évolue son encore loin d’être réunies.
Il faut bien entendu réagir et débattre, mais en explicitant notre propre vision et en expliquant en quoi elle diffère de celle énoncée par Bruno Retailleau. Certainement pas en criant au fascisme, et en cherchant surtout à disqualifier, sans répondre au fond. Notre démocratie crève de ce refus de débattre, et d’accepter une pensée différente de la notre.