La nouvelle configuration politique, issue des élections législatives, amène à se poser des questions qui n’avaient rien d’évident, sur le rôle et les pouvoirs du chef de l’État dans un « vrai » régime parlementaire. Jusqu’ici, l’interprétation « gaullienne » selon laquelle le président de la République est avant tout un patron politique quand il a une majorité parlementaire derrière lui, s’imposait assez naturellement. Un billet intéressant, sur le blog Jus Politicum (lecture recommandée à tous les geeks du droit constitutionnel) ouvre le débat sur la séparation entre rôle institutionnel et rôle politique.
Dans un régime parlementaire, le chef de l’Etat n’est pas celui qui décide (en fonction de ses envies et de ses intérêts) qui doit être premier ministre, mais qui prend acte du résultat d’une élection et organise, sans la diriger, la recherche d’une solution institutionnelle. Dans certains pays, comme la Belgique ou l’Italie, habitués aux situations compliquées, c’est un rôle important du chef de l’État, voire le seul qui soit véritablement significatif. Mais cela implique nécessairement une neutralité partisane. C’est d’ailleurs pour cela que, quand il s’agit de républiques, le profil recherché pour un président est celui d’un « vieux sage » expérimenté et respecté.
Actuellement en France, on en est loin, puisque ce rôle est occupé par le chef d’un des partis. Quoi qu’il en dise, l’objectif d’Emmanuel Macron est de faire en sorte de garder au maximum le contrôle du gouvernement et d’empêcher la gauche de s’en emparer. La seule limite à l’exercice, qu’Emmanuel Macron a très bien identifiée, est que le Premier ministre qui sera nommé devra, au mieux avoir une majorité de députés avec lui, au pire, aucune coalition majoritaire contre lui. Les actuelles consultations et négociations ne sont donc qu’un théâtre politique, où chaque acteur improvise, de manière plus ou moins crédible, pour faire face à une situation inédite.
Il faut reconnaitre toutefois que l’attitude d’Emmanuel Macron, si elle est politiquement contestable, reste institutionnellement correcte. La lettre et l’esprit de la Constitution font que la nomination du Premier ministre est complètement à la main du président. Il n’a aucune formalité à respecter, aucune consultation obligatoire. Il n’a pas tellement de ressources à puiser dans la tradition politique française, où il n’y a pas eu, depuis 1958, de problèmes de constitution de gouvernement aussi délicat qu’aujourd’hui. Les exemples étrangers peuvent être des sources d’inspiration, mais aucun ne s’impose, et chaque parti, en fonction de ses intérêts, va chercher ceux qui l’arrangent. C’est de bonne guerre et c’est de la politique, pas du droit constitutionnel.
Il n’empêche que la question est très pertinente, et devra être prise en considération si jamais une réforme des institutions doit avoir lieu. Je dois bien avouer que jusqu’ici, je ne me l’étais pas posée, et je ne dois pas être le seul. Le sujet est exactement le même pour le droit de dissolution, où Emmanuel Macron s’est servi de l’outil dans un esprit de pur opportunisme partisan, et pas comme un chef d’Etat prenant acte d’une situation de blocage.
Dans une telle configuration, c’est effectivement gênant que le président de la République soit aussi le chef d’un parti, et donc oriente son action institutionnelle, en fonction de ses intérêts politiques et partisans, alors même qu’il est « irresponsable ». Cela veut donc dire qu’il exerce un rôle clairement partisan, sans que sa responsabilité politique ne puisse être mise en cause autrement que par l’article 68, qui est destiné aux cas où le président est manifestement hors d’état d’exercer ses fonctions, ou déraille complètement (comme par exemple le président du parti LR qui se lance dans une alliance avec le RN, sans consulter personne au sein du parti).
On peut très bien choisir de garder ce modèle où le président de la République reste un « patron » politique, et donc un chef de parti. Mais dans ce cas, il faut en finir avec son « irresponsabilité » et mettre en place des mécanismes pour le faire dégager s’il veut imposer des décisions contre une majorité, ou qu’il empêche sciemment un fonctionnement normal des institutions. Même si pour l’instant, en France, on ne peut pas dire qu’Emmanuel Macron en soit là, la question pourrait finir par se poser si un gouvernement n’est pas rapidement nommé.
On peut aussi, et cette démarche est complémentaire, encadrer davantage l’exercice du droit de dissolution et la nomination du Premier ministre. On peut le faire de manière à laisser plus ou moins de liberté au chef de l’Etat, mais on ne peut pas rester dans la situation actuelle où il a une latitude complète, permettant des décisions s’apparentant à un détournement de pouvoirs.
Cette période, à défaut d’être politiquement réjouissante, aura au moins eu le mérite de renouveler profondément le stock de questions nouvelles de droit constitutionnel.