Catégories
Non classé

Revisiter la démocratie représentative

« Pour en finir avec la démocratie participative » est un livre politique remarquable, comme on en voit peu souvent. Ecrit par deux consultants, Manon Loisel et Nicolas Rio, il est le résultat de leurs réflexions, liée à ce qu’ils ont pu voir dans leur pratique professionnelle. C’est dense, intéressant de bout en bout, sans le jargon et le raccrochage à des théories plus ou moins fumeuses, que l’on trouve trop souvent dans les livres écrits par les universitaires.

Ils entrent dans le sujet par le constat que la « démocratie participative » est une impasse, et ne fait qu’aggraver le problème démocratique, plutôt que le résoudre. Le « Grand débat » lancé à la suite du mouvement des Gilets jaunes n’a été, au final, qu’un gigantesque foutage de gueule. Ces mécanismes de consultation (desquels vivent tout un écosystème qui a tout intérêt à les promouvoir) ne font que rarement avancer les choses, car on ne pose pas les bonnes questions aux bonnes personnes. Les participants habituels à ces mascarades démocratiques sont ceux qui sont déjà les plus impliqués dans la vie publique, car ils en ont le temps et l’envie. Comme ils sont sociologiquement proches des élus, ils ne font que leur tendre un miroir, avec une forme de légitimation de ce qu’ils pensent déjà, avec éventuellement quelques inflexions marginales. Je partage depuis très longtemps leur constat sur l’inutilité des ces budgets participatifs, référendums et autres consultations en ligne, qui ne portent jamais sur les choses importantes, et servent bien souvent à amuser la galerie pour qu’elle n’aille surtout pas voir ce qui est réellement important. Anne Hidalgo nous fait des référendums sur les trottinettes et le tarif de stationnement des SUV, mais s’est bien gardée de nous demander si on est d’accord avec le fait que Paris soit ville candidate pour les JO.

Ce livre ne s’arrête pas à ce constat, qui même très bien documenté, n’est pas nouveau. Les deux auteurs explorent dans le deux tiers de l’ouvrage, ce qu’il faudrait faire pour faire revivre la promesse démocratique. Et c’est tout aussi intéressant et bien documenté.

La démocratie, c’est un régime politique où chaque citoyen est légitime à participer, notamment par les urnes. Malheureusement, la participation électorale est en berne, et est de plus en plus discréditée, ce qui est inquiétant. Au lieu d’aller écouter uniquement ceux qui parlent tout le temps, les mécanismes de démocratie participative pourrait être utilisés pour aller écouter ce qu’on n’entend ou ne voit jamais, car ils n’ont pas le temps, pas l’envie, ne se sentent pas légitime à prendre la parole. Quand on est mère célibataire, travaillant à temps partiel, on a autre chose à faire et à penser. Pourtant, ces personnes sont aussi des citoyens, qui auraient des choses à dire sur les politiques publiques (pas nécessairement celles que les élus ont envie d’entendre) si on voulait bien les écouter.

Les auteurs pointent aussi des erreurs d’analyse, qui amènent la démocratie participative dans l’impasse. La première est que ces mécanismes sont tous dans la mains des élus, qui fixent le cadre, la question, le déroulé, avec des « encadrants » professionnels. La demande vient toujours d’en haut, pas des citoyens et des collectifs de la société civile. Pas question qu’un mouvement social débouche sur une consultation, sur la base de la question ou du thème mis en avant par les contestataires. Et à la fin, après avoir fait de belles propositions, il ne faut surtout pas que les citoyens exercent un quelconque droit de suite. Le collectif ainsi créé est dissous, et on passe au suivant, sans continuité. Le cas de la convention citoyenne pour le Climat est éloquent. Après les avoir fait travailler, et promis de reprendre leurs propositions « sans filtre », les 150 citoyens ont été renvoyés chez eux, et priés ne surtout pas se mêler du filtrage sévère de leurs propositions par les administrations et les parlementaires.

Le deuxième écueil est de demander aux citoyens des choses qui ne sont pas de leur domaine. Les citoyens ne sont pas des experts, ils ne sont pas en capacité de formuler des propositions clés en main, comme le feraient des inspecteurs des finances ou des universitaires. En revanche, ils ont des idées et des revendications ainsi qu’un vécu, une expérience personnelle, qui peuvent être très utile pour tester la solidité et la pertinence de propositions techniques formulées par ceux dont c’est le métier. La participation citoyenne peut aussi être très utile pour l’évaluation des politiques publiques, et comprendre pourquoi un dispositif, pourtant conçu par les meilleurs cerveaux, n’a pas fonctionné. Encore faudrait-il qu’on ait une culture de l’évaluation en France !

Un autre problème majeur est la difficulté, voire le refus, pour nombre de décideurs, d’écouter réellement et de tenir compte des demandes citoyennes. Ce mode d’exercice du pouvoir où on a un minimum de comptes à rendre, semble convenir à pas mal d’élus. Le mal est profond car même les « élus de base » en souffrent. Que ce soit au sommet de l’État ou dans les collectivités locales, beaucoup de choses se décident dans le bureau du président ou du maire, dans des réunions où ne sont présents que ceux qui sont conviés, discrétionnairement, par le patron. Les instances officielles de décision, conseil municipal ou conseil des ministres (voir l’assemblée nationale), ne sont que des chambres d’enregistrement. D’où une grande frustration, qui peut se traduire par un désinvestissement, de ceux-là même qui sont chargés de faire vivre la démocratie représentative.

Les deux auteurs posent également la question, très pertinente, de la place de l’administration dans les décisions publiques. Le mythe politique, en France, est de croire que l’élu est un super-héros, doté de supers-pouvoirs, qui à lui seul, sauve le pays ou la collectivité. C’est bien entendu faux, et le décideur politique est pris dans un réseau de contraintes, qu’il ne maitrise pas, et qui limitent sa capacité d’action. Les fonctionnaires, à tous les niveaux, sont un élément majeur de la décision publique. Ils sont souvent les meilleurs connaisseurs techniques des enjeux, et sont aussi et surtout chargés de la mise en œuvre. Or, ils n’apparaissent que très peu dans les processus politiques, et semblent parfois ne pas le vouloir, privant parfois la délibération politique d’un apport technique indispensable.

Le problème central de notre système démocratique est le délitement de la délibération politique, qui est de plus en plus mauvaise, quand elle existe encore. Pour les auteurs, une bonne délibération est celle où tous les acteurs concernés sont autour de la table, et que chacun y tient son rôle. Aux citoyens et aux différentes associations de donner leurs revendications (qui sont souvent contradictoires), aux fonctionnaires d’instruire les réponses techniquement possibles, et aux élus de trouver un compromis acceptable pour le plus grand nombre, y compris en tranchant entre des options irréconciliables, si nécessaire.

Ils dessinent ainsi un idéal démocratique qui n’est pas un grand soir, mais une remise en ordre de ce qui existe déjà, et qui fonctionne de manière de plus en plus imparfaite. Même pas besoin de changer les institutions, juste de modifier des pratiques, et surtout, que chacun s’investisse véritablement dans la chose commune.

9 réponses sur « Revisiter la démocratie représentative »

Pour résumer, ça ne marche pas parce que pour que ça marche, le groupe qui a le pouvoir devrait accepter d’en perdre tout ou partie. Et plutôt détruire le monde qu’accepter ça.
Exactement comme l’argent.
Étonnant, non ? (non car argent ⇔ pouvoir).

Oui et que leurs intérêts ne sont pas concomitant avec ceux d’une majorité de citoyens.
Comment leur faire comprendre qu’ils ont tout intérêt à changer leur pratique ?

La Convention citoyenne était aussi composée de gens choisis on ne sait comment, avec néanmoins l’objectif de passer par dessus le Parlement. Ce genre de consultation pourrait se faire sur la base de la composition des cours d’assise, à l’athénienne sans les classes censitaires.
Une bonne chose serait peut-être déjà de faciliter la pétition citoyenne (type RIC ou autre).
Et pour les JO à Paris, toute la France est concernée. Pas seulement pour les lieux des épreuves, mais surtout pour les coûts. La décision aurait du avoir lieu à ce niveau, en plus de négociations plus dures avec le CIO, puisqu’il n’y avait qu’une seule candidature. Mais oui, pour des jardinières, il y a consultations (parfois au mépris du Code du Patrimoine d’ailleurs), pour des décisions de ce niveau non. L’argument contraire est que justement les gens sont élus pour prendre les décisions …

Le système politique national est quand même largement un frein à la démocratie participative. On peut toujours rêver que la prise de décision soit plus horizontale et collégiale, avec des pouvoirs publics qui cherchent à écouter au lieu de valider leurs orientations, mais changer de culture ça prend, quoi ? 40, 50 ans ?

L’action la plus rapide, c’est de changer complètement le fonctionnement des institutions et d’inscrire la démocratie participative comme un rouage et pas une option, ça marche comme ça ici en Suisse. Notre passion multiséculaire toute française pour la chose publique devrait suffire à ce que la mèche prenne.

Je me demande pourquoi il n’est rien sorti des carnets de doléances remplis par des milliers de français à la suite de la crise des « gilets jaunes ».
L’initiative venait d’en bas, chacun pouvait écrire ce qui lui tenait à coeur et les portes des archives départementales se sont refermées sur ces précieux documents.

Ils ont été mis sous clé aux archives. Il ne faudrait quand même pas que cette parole citoyenne servent à autre chose qu’à légitimer le pouvoir officiel 🙂

je vais être peut être à contre courant mais voter a des élections générales me suffit amplement. je n’ai pas l’outrecuidance de penser que des referendums réguliers ou autres consultations feront que le système prendra plus en compte l’intérêt général (et puis que veut dire intérêt général ? la reforme des retraites en est un parfait exemple) . Chaque individu pense plus à lui qu’à l’intérêt général. je suis loin d’avoir les compétences nécessaires sur pleins de domaine: la construction européenne; la guerre en ukraine et le nucléaire pour prendre les sujets chauds du moment. Et je ne vois pas l’intérêt de voter pour savoir si le camion poubelle va passer à 9h plutôt que 10h.. En fait je ne crois pas à la démocratie représentative. la majorité de nos concitoyens n’en ont pas les compétences et les capacités. l’exemple de la crise du covid me laisse à penser qu’au final nous n’avons guère évolué dans nos comportements, nos peurs, nos réflexes animals depuis l’antiquité voir au delà….

Entièrement d’accord, et la Convention Citoyenne pour le Climat est un autre exemple de fumisterie prétendument participative, en fait manipulée par des lobbies écolos, avec des mesures purement idéologiques, vu que très peu ont un impact identifié sur le climat, et jamais chiffré (enfin, si, des étoiles donnée au doigt mouillé).
Mais bon, demander l’avis non-pertinent à n’importe qui ça doit être à la mode, cf aussi la consultation de l’ASN pour la mise en service de Flamanville! 🙁

Merci pour le conseil de lecture ! Ce livre est en effet excellent et tout à fait accessible .
Malheureusement leur conclusion me paraît peut applicable tant la bonne volonté de tous est nécessaire aux changements qu’ils proposent.
J’ai l’impression que ce débat de représentant/élu met surtout en lumière que les élus actuels cherchent plus à gouverner qu’à représenter. Aucune action de leur part en faveur d’un changement me semble envisageable.

Les commentaires sont fermés.