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La préférence française pour le pénal

La France a la particularité d’aimer traiter les problèmes en faisant des lois, en mode performatif « Dire, c’est faire ». Ce tropisme se retrouve notamment sur les questions de société, où le législateur français adore faire dans la surenchère pénale et croit ainsi régler les problèmes.

Nous en avons une nouvelle illustration, ces derniers jours avec le texte concernant la sécurité des élus locaux, et celui sur l’antisémitisme ou encore la lutte contre les dérives sectaires. A chaque fois, on triture le code pénal, et parfois pire encore, la loi de 1881 sur la liberté de la presse. A chaque fois, c’est pour alourdir les peines et restreindre la liberté d’expression. Il faut une mobilisation forte pour éviter les plus grosses conneries (comme par exemple l’allongement des délais de prescription) dont on se rend parfois compte in extremis, après qu’elles aient été votées sans la moindre analyse ni objection.

Changer la loi d’une main tremblante, c’est oublié depuis longtemps, ou alors c’est des tremblements en mode « symptôme de la maladie de Parkinson » qui est signe de dégénérescence, et pas de conscience des responsabilités qui pèsent sur le législateur, pour protéger les libertés.

Au final, les juges qui n’ont depuis longtemps plus les moyens de traiter correctement les plaintes, se retrouvent en première ligne. On élargit les possibilités de les saisir, on leur offre un arsenal toujours plus lourd de peines, comme si une répression pénale plus importante pouvait résoudre les fractures d’une société.

Le résultat, comme bien souvent, est contre-productif. Un exemple, avec cette extension (heureusement retirée du texte sur la sécurité des élus) du délai de prescription pour les délits de presse. Députés et sénateurs avaient envisagé de faire passer de 3 mois à un an, le délai de prescription pour les injures et diffamation envers les élus. Outre que cela complexifie le droit, en créant une exception au droit commun, on offre un boulevard à des élus malintentionnés avec la presse (comme par exemple le maire RN d’Hénin-Beaumont). En allongeant la durée pendant laquelle un élu peut attaquer un journaliste et un titre de presse, on crée davantage d’insécurité pour les journalistes. Au passage, on offre également un boulevard à ceux qui voudraient régler leurs comptes avec leurs opposants, une fois une campagne électorale passée, devant un tribunal. Porter plainte rapidement, en cas de diffamation, permet une réparation, mais à quoi cela sert-il, 11 mois après, sinon à se venger ou nuire ?

Si on veut s’attaquer au fond des problèmes, mieux vaut donner à la justice les moyens de traiter plus spécifiquement certains délits. Pour cela, il suffit d’une circulaire ministérielle, enjoignant aux parquets de poursuivre plus systématiquement certains délits. Et donner les budgets suffisants aux juridictions pour qu’il y ait assez de magistrats pour traiter les dossiers.

Étrangement, cette piste n’est pas souvent explorée. Outre qu’elle demande de l’argent (qu’on préfère mettre dans des chèques divers et variés, plutôt que dans les services publics), elle empêche les politiques de se faire mousser avec de belles lois.

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Le conseil d’Etat balance une bombe dans le PAF

Le conseil d’Etat vient d’allumer une mèche qui pourrait faire beaucoup de dégâts dans l’audiovisuel français. Par une décision du 13 février, il considère que les obligations de respect du pluralisme d’une chaine de télévision doivent être évaluées sur la base du temps de parole de tous les intervenants (invités, chroniqueurs et présentateurs) et pas seulement des personnalités politiques intervenant sur la chaîne.

La porte est ainsi fermée à la montée en puissance de chaines ou de radio d’opinion, comme il existe de la presse écrite d’opinion. Cette décision, prise sur le cas d’espèce de CNews, vise bien entendu le groupe Bolloré, qui a une stratégie assumée de transposer à la radio et à la télévision, ce qui existe dans la presse écrite. Mais ils seront loin d’être les seuls à être touchés. Je pense notamment à France Inter et France Culture, où c’est parfois seulement le pluralisme des différents courants de pensée de la gauche, qui est représenté !

En fixant cette injonction au régulateur, le juge administratif lui impose de définir des critères objectifs et concrets, avec des limites claires entre ce qui est « pluraliste » de ce qui n’est plus. Car s’il faut sanctionner, il faut que les règles soient claires et prévisibles. Malheureusement, les magistrats se sont défilés au moment de donner le mode d’emploi, laissant l’Arcom se démerder seule (et en six mois) pour fixer la frontière, se réservant le droit de venir dire son mot a postériori, lors de contentieux ultérieurs qui ne manqueront pas de se produire. Je n’aimerais pas travailler à l’Arcom en ce moment.

Une autorité publique va donc se retrouver en position de devoir définir où commence et s’arrête « le respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion ». Je lui souhaite bon courage, car on nage en pleine subjectivité : quelles sont les critères retenus pour définir les courants de pensée ? Lesquels auront voix au chapitre ? Quelles pondérations mettre en place pour assurer cet équilibre ? Comment classer les intervenants dans ces courants de pensée ? Le tout (on ne rigole pas) dans le « respect de la liberté éditoriale de la chaîne » !

C’est tout simplement mission impossible, et dans le contexte de tensions politiques, cela va générer des nids à contentieux qui vont complètement emboliser le régulateur, si on le laisse gérer cela tout seul. L’intervention des politiques, qui ne manqueront pas de vouloir légiférer, risque encore de bordéliser davantage le dispositif, en rendant illisible ce qui pouvait encore l’être.

Derrière, la contagion pourrait atteindre la presse écrite. Même si elle n’est pas « régulée », certains risquent de s’amuser à la lire à l’aune des critères élaborés pour l’audiovisuel. Et ça ne sera pas joli à voir en matière respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion. L’étape suivante sera de se demander pourquoi on traite différemment les médias d’information, selon qu’ils sont de la presse écrite ou de l’audiovisuel ?

Tout cela va sans doute tuer le télévision numérique terrestre, car la meilleure solution, pour ces chaines, sera de renoncer à leur fréquence TNT (et donc aux obligations et régulations afférentes) pour basculer en diffusion uniquement numérique.

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La mort des derniers géants politiques

Robert Badinter, véritable conscience morale du pays, vient de mourir, quelques semaines après Jacques Delors. Au-delà d’une grande tristesse, ces départs sont l’occasion d’une mise en abime de notre vie politique.

Où sont leurs successeurs ? Avons-nous encore des personnalités politiques de cette trempe, dans notre vie politique, qui aient ce statut d’autorité morale ? Je n’en vois pas (à droite comme à gauche). Pire, je mesure l’écart abyssal (et je suis gentil), avec la classe politique actuelle, qui prend plus facilement le chemin du tribunal que du Panthéon.

La notion même d’autorité morale semble désormais étrangère à notre classe politique. Elle nécessite en effet un mélange de valeurs morales et politiques, incarnées dans une action et par des personnes dont la vie « réelle » est en cohérence avec les valeurs qu’ils expriment. Badinter comme Delors ont à la fois une colonne vertébrale idéologique (qu’on peut ne pas partager, mais au moins, ils en ont une), qui guide leur action, sur des sujets d’ampleur, la construction européenne pour l’un, la justice et l’abolition de la peine de mort pour l’autre. Ils ont en plus cette capacité à prendre de la hauteur, à savoir passer à autre chose, une fois leur moment passé, sans chercher à continuer, encore et encore, une quête de pouvoir qui sert surtout à satisfaire l’ego. Renoncer à être candidat à la présidence de la République, alors que les sondages vous sont favorables, et retourner dans la discrétion de la vie privée (sans venir emmerder ses successeurs), c’est chose rare.

La mise en abime, c’est aussi quand on se demande si Jacques Delors ou Robert Badinter pourrait avoir, dans les conditions d’aujourd’hui, la carrière qu’ils ont eu. Un avocat, ténor du barreau, époux d’une très riche héritière pourrait-il devenir garde des sceaux, puis président du conseil constitutionnel ? Un démocrate-chrétien de cœur, ayant été au cabinet d’un premier ministre de droite, pourrait-il devenir ministre de l’économie d’un gouvernement n’ayant pas complètement renié les analyses marxistes ? J’ai peur que le sectarisme, l’étroitesse de vue et l’obsession des conflits d’intérêts rendraient leurs carrières plus compliquées, voire les dissuaderaient d’entrer en politique. Nous avons sans doute encore beaucoup de personnalités de la trempe de Robert Badinter. Mais ils se gardent bien d’entrer en politique…

Enfin, ils ont fait de la politique à une époque où on réformait réellement, ce qui est quand même plus pratique pour laisser une trace dans l’histoire. Le bilan effectif de Delors ou Badinter sont assez impressionnants. Aujourd’hui, on en est à se gargariser d’annoncer une trajectoire de territorialisation de la planification écologique. Delors et Badinter ont eu un impact sur le réel, bien plus que nos élus de 2024, plus obsédés par la communication sur les réseaux sociaux que par l’avancée concrète des politiques publiques qu’ils n’ont plus les moyens de mener.

La mort de personnalités d’un tel niveau crée un vide dans notre vie politique, alors même qu’elles ne sont plus en fonction depuis longtemps. Il n’y en a pas beaucoup à réussir cela, et je crains qu’il y en ait de moins en moins, voire plus du tout. Et c’est très triste pour la France.

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Les européennes, début de la fin pour la Macronie ?

Les élections européennes auront lieu début juin. Si la tonalité d’une campagne peut faire bouger les lignes, les fondamentaux sont présents bien avant, et annoncent un score médiocre pour les partis de gouvernement, à commencer par la Macronie, qui part avec plusieurs boulets au pieds.

Structurellement, le scrutin européen est considéré, en France, comme sans grand enjeu, donc permettant de se défouler, et de « se faire plaisir ». C’est l’occasion de voter selon ses préférences idéologiques, sans la pression d’un « vote utile » (d’où les scores des écologistes), ou encore de basculer dans le vote sanction. C’est triste que les enjeux purement européens soient aussi mal traités, mais la primauté de la politique nationale est un fait établi, qui n’évolue que peu.

A ce jeu, la tendance nationale est clairement à un nouvel épisode d’un match « Macron-Le Pen » par candidats interposés. Les médias, friands de spectacle, ne manqueront pas de valoriser cette affiche, et feront monter la sauce. Il semble clair que la liste macroniste et celle du RN arriveront aux deux premières places (ou alors c’est que la Macronie a subi un désastre), car la gauche part divisée en trois tendances. C’est clairement le RN qui est le grand favori. Le parti surfe sur une courbe ascendante dans l’opinion, avec une organisation déjà en ordre de marche, et une tête de liste talentueuse (quoi qu’on pense des idées, il faut reconnaitre qu’il est techniquement très bon dans les médias).

En face, la Macronie n’a toujours pas de tête de liste au niveau, et n’en trouvera pas. Ce sera le premier ministre, Gabriel Attal, qui sera, par défaut, la locomotive politique de cette liste. Il a d’ailleurs été nommé pour ça : éviter un désastre aux européennes. Pas certain qu’il y arrive.

En mettant ainsi, quasiment en première ligne, le Premier ministre, Macron augmente le risque d’un vote qui se transforme en plébiscite, pour ou contre lui. Vu les sondages et l’ampleur de la détestation dont le président fait l’objet dans une partie de la population, il prend un risque énorme.

Si la priorité du Premier ministre est cet horizon électoral, le risque est réel que la conduite des affaires du pays soit subordonné à cet objectif. On a déjà commencé à le voir lors de la crise avec les agriculteurs, où le Green Deal européen a été jeté par-dessus bord. Qu’importe la sauvegarde de la biodiversité, pourvu qu’on ait le vote des agriculteurs. Quelles vont être les prochains segments du corps électoral à venir monnayer la promesse de leur vote européen, en échange de concessions sonnantes et trébuchantes au niveau national ? Pour quel résultat au final ? Comme pour les Jeux Olympiques, une promesse de fête qui se termine par une gueule de bois et un monceau de dettes que personne ne viendra t’aider à rembourser !

L’objectif pour la Macronie va rapidement être, non pas de l’emporter, mais de limiter la casse. Quand on est dans cette optique, la campagne n’est pas très propre, car on passe moins de temps à proposer, et plus de temps à cogner. Exactement ce que les électeurs détestent, surtout quand celui sur lequel on tape dispose de soutiens déjà convaincus, qu’une campagne de dénigrement ne fera que renforcer.

Le pire pour la Macronie, c’est l’après. Une fois le scrutin, l’été et les Jeux Olympiques passés, on ne parlera plus que de la prochaine étape politique, qui est la présidentielle de 2027. Celle où Emmanuel Macron ne peut pas se représenter, et où son autorité et sa capacité d’agir vont décroitre au fur et à mesure que l’échéance approche. L’agonie politique de la Macronie qui risque de ne pas être très belle à voir, le tempérament d’Emmanuel Macron n’étant pas de jouer les potiches en regardant les dauphins potentiels se déchirer pour l’héritage.

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L’enlisement bienvenu de la loi sur les cabinets de conseil

Les députés viennent d’achever l’examen de la proposition de loi sur l’encadrement du recours à des prestations de conseil par l’Etat. Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement et la majorité ont largement détricoté le texte, en le vidant d’une partie de sa substance, et en ajoutant les collectivités de plus de 100 000 habitants dans le dispositif.

Il va être compliqué pour le Sénat de revenir sur cette dernière disposition, qui déplait à ses électeurs. La procédure accélérée n’ayant pas été mise en oeuvre, il va falloir une nouvelle lecture au Sénat et à l’Assemblée, et si le gouvernement est un peu pervers, une troisième lecture. Bref, on n’est pas prêt de voir le texte sortir, et c’est une très bonne chose, car dans certaines situation, la loi n’est clairement pas le bon outil pour faire avancer les choses dans le bon sens.

En sortant leur rapport, et en le médiatisant, les sénateurs ont fait l’essentiel du travail, qui est de mettre la pression sur le gouvernement. En effet, la manière dont les services de l’Etat utilisent les prestations de conseil, c’est de la tambouille interne. Que des parlementaires viennent regarder ce que fait le gouvernement, et éventuellement le critiquent, est une très bonne chose. Mais ce n’est pas à eux de fixer, dans les détails, la manière dont les ministères doivent organiser leur travail.

Sur ce sujet, le gouvernement Castex a pris conscience de la dérive, et de son effet dévastateur, et a pris les mesures pour contrôler un peu mieux ce qui se passe. Depuis, le recours aux cabinets de conseil a clairement diminué, avec une doctrine interne à l’administration qui s’est clarifiée. L’objectif des sénateurs est rempli, puisque le fonctionnement de l’Etat s’est amélioré, dans le sens qu’ils préconisaient.

Il ne fallait surtout pas rajouter une loi, qui allait tout rigidifier, et donc bloquer le fonctionnement administratif, par des règles générales, là où il faut de la souplesse et de la réactivité. Malheureusement, les parlementaires ne savent pas s’arrêter, et ne peuvent pas s’empêcher de vouloir faire des lois sur tout et n’importe quoi, y compris sur des sujets totalement anecdotiques (il n’y a qu’à voir certaines propositions de loi discutées en ce moment).

Il est nécessaire que le législateur se concentre sur son coeur de métier, qui est de faire des lois quand c’est nécessaire, et de contrôler l’action du gouvernement, sans chercher à lui donner des ordres et à avoir la main sur tout. On y gagnerait beaucoup, en temps et en efficacité du travail parlementaire.