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Le JDD va disparaitre, faut-il le regretter ?

Le Journal du Dimanche, en passage d’être racheté par Bolloré (officiellement encore sous le contrôle de Lagardère) entame sa sixième semaine de grève. Comme Itélé et Europe 1 avant eux, les journalistes en place ont lancé une grève. Ils entendent marquer leur refus de changement de la ligne éditoriale, incarnée par l’arrivée à la tête de la rédaction du journaliste d’extrême-droite Geoffroy Lejeune.

Comme pour Itélé et Europe 1, cette grève se terminera par l’ouverture d’une clause de cession, permettant aux journalistes qui le souhaitent (une grande majorité) de partir avec un chèque plus ou moins généreux, avant de laisser la place à la nouvelle équipe. Bolloré a déjà budgété le coût de ce plan social, et n’aura pas de mal à recruter, vu la situation de l’emploi dans le journalisme. Cela fera un journal conservateur de plus.

Et cela fera un journal connivent de moins. On a tendance à l’occulter, mais le JDD était quand même jusqu’ici (avec Paris-Match) le titre de presse le plus poreux à la communication cousue de fil blanc, avec des scoops frelatés mémorables, comme, la tentative de blanchiment de Jérôme Cahuzac. Le JDD était la honte du journalisme d’investigation, le double inversé de Médiapart. Quand le gouvernement ou un puissant de ce monde voulait faire sortir une information qui l’arrangeait au moment où cela l’arrangeait, le JDD répondait toujours présent. Il n’y a qu’à voir le nombre d’interview de ministres, ou de « confidentiel » qui venaient tout droit d’un service communication d’un élu ou d’une entreprise. Qu »un tel journal disparaisse ne me fait pas spécialement pleurer.

C’est d’autant moins dommageable que la liberté de la presse existe toujours en France, et qu’il suffit d’un peu d’argent, d’un dirigeant qui tient la route, pour créer un nouveau titre de presse. Médiapart en est l’exemple. Chacun est libre de s’informer où il le souhaite, et de boycotter les titres et médias qui ne lui conviennent pas. On ne peut pas reprocher à Bolloré d’avancer masqué.

Tout ceux qui pleurent sur le risque d’une presse monolithique, au service des intérêts du grand capital ou aux ordres d’un tycoon ultra-conservateur, n’ont qu’à investir. Les journalistes talentueux sont nombreux sur le marché, il n’y aura aucune difficulté à recruter. Le coût de lancement d’un site en ligne (lancer un journal papier est « has been ») n’est pas si énorme, le ticket d’entrée est accessible à un riche mécène souhaitant muscler la presse « non conservatrice ». Il y a même la possibilité de racheter des titres de presse déjà existants, il y en a sur le marché et cela coûte encore moins cher !

Malheureusement, une fois de plus, on ne fera que verser des larmes de crocodiles sur le JDD « ancienne formule » et sur ses journalistes qui vont se retrouver sur le carreau. Rien ne changera, et on s’y habituera, comme on s’est habitué à CNews et Europe 1 « nouvelle formule ». Ce n’est finalement que le symptôme d’un mouvement de fond, celui de la progression des populistes conservateurs dans l’opinion. Le vrai problème est là.

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Faut-il recaser aussi vite les ministres virés ?

Il a fallu moins d’une semaine pour que Pap Ndiaye, qui a quitté (apparemment contre son gré) le ministère de l’éducation nationale, soit recasé. Il vient d’être nommé ambassadeur de la France auprès du conseil de l’Europe à Strasbourg.

La question ici n’est pas tellement les capacités de Monsieur Ndiaye à occuper ce poste. Je n’ai pas les éléments pour juger, et on peut penser, vu sa carrière et son passé académique, qu’il n’est pas totalement incompétent, ni ignorant des questions relatives aux droits humains. En droit administratif, on dirait qu’il n’y a pas « erreur manifeste d’appréciation ». De là à dire qu’il est parfaitement calibré pour le poste…

Le vrai sujet politique, c’est la rapidité du recasage, et l’absence de réçit autour de cette nomination, qui me fait tiquer. En cette période de défiance généralisée envers la classe politique, c’est au mieux imprudent, au pire, une erreur politique. L’image, déjà ancienne, de collusion généralisée et d’entre-soi des élites, est en plein boom, faut-il lui donner une nouvelle incarnation, qui ne manquera pas de ravir les milieux complotistes et populistes ? On voudrait le faire, on ne ferait pas mieux !

La question pourrait même être élargie : faut-il recaser les anciens ministres ? Il y a quelques années, j’aurais répondu « oui » sans trop d’hésitation. Pourquoi refuser de puiser dans un vivier de personnes compétentes, formées, disponibles pour le service de l’Etat ? Un ancien ministre des Finances (ou un ancien parlementaire) aurait des choses à apporter à la Cour des Comptes ou à une inspection générale de ministère. Un ancien ministre, a souvent une expérience de haut niveau de l’exercice du pouvoir (par exemple de l’échelon européen) qui peut être mise à profit de l’intérêt général.

Aujourd’hui, je suis plus dubitatif, ou je serais plus prudent. Il est toujours utile de recycler des personnalités compétentes qui peuvent encore servir, mais cela ne peut plus se faire dans la tranquillité des antichambres ministérielles et l’ambiance feutrée du conseil des ministres. Il faut expliquer et justifier. Ce n’est plus possible autrement, et même en expliquant, ce n’est pas certain que ça passe. Le discrétionnaire (réel ou perçu) n’est plus acceptable pour les nominations.

Le pouvoir macronien est passé d’une promesse de rupture, à une continuité dans les pratiques qu’il contestaient avant de prendre le pouvoir. C’est désastreux pour la crédibilité, de ce gouvernement, mais également (et c’est plus grave) des institutions. Le pire, c’est que ce n’est pas le premier loupé de Macron sur ce sujet.

Pap Ndiaye est peut-être un bon choix pour le poste d’ambassadeur de la France auprès du conseil de l’Europe. Mais cela ne va pas de soi, demande un peu d’explications, et surtout, de respecter un délai de décence.

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Un simple ajustement gouvernemental

Emmanuel Macron vient procéder à un micro-changement dans son gouvernement. Difficile d’appeler cela un remaniement : pas de message politique indiquant un changement de cap, des remplacements « poste pour poste » sans redécoupage des périmètres, départs des ministres les plus faibles, arrivée de gens du sérail. Cela donne l’impression qu’Emmanuel Macron a juste envoyé sa voiture au garage pour la révision annuelle, avec le changement de quelques pièces fragiles dans le moteur. Mais pas plus. Ce gouvernement reste une voiture d’occasion rafistolée. Pas plus.

Politiquement, c’est dévastateur, car cela traduit ostensiblement un rabougrissement supplémentaire du périmètre du gouvernement et de la majorité. Aucun nouvel entrant « prise de guerre », des membres de la société civile qui sortent, remplacés par des très proches ou des élus fidèles, une communication pathétique. Le sentiment de « citadelle assiégée » se renforce, et c’est dramatique.

Sans boussole politique, sans récit donnant du sens, sans alliés, ce gouvernement est en train d’achever de s’enfermer dans sa tour d’ivoire, et de s’anémier. Alors que Macron nous a promis un bilan après 100 jours de relance, on se rend compte qu’il n’est pas capable de donner autre chose que du « business as usual » en moins bien, alors même que ce qui existait n’était déjà pas terrible.

Encore un ou deux épisodes comme celui-ci, et même au coeur de la macronie, on va commencer à se poser des questions, et à se dire que la salut peut se trouver ailleurs.

Emmanuel Macron a encore une cartouche, celle du prochain remaniement (le vrai) pour prouver qu’il n’est pas hors jeu. S’il rate cet épisode, ce sera le début de la fin au sein même de sa majorité. Si le doute s’installe que le chef est déconnecté du terrain, et n’est plus en capacité de mener à la victoire en cas de nouvelle échéance électorale, ce sera l’hallalli.

Personnellement, je doute de plus en plus sérieusement qu’il soit capable de se renouveler et donc de se relancer son deuxième quinquennat. Même si le moteur de la voiture a été révisée, le réservoir politique est quasiment vide.

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Les limites des gadgets citoyens

La cour des Comptes vient de rendre son premier rapport lancé sur une demande « citoyenne » par le biais de leur plateforme. Il porte sur le recours par l’État aux prestations intellectuelles de cabinets de conseil. Un autre devrait arriver sur les subventions aux fédérations de chasse.

Le rapport sur les cabinets de conseil est de bonne facture, comme on peut s’y attendre de la part de la cour des Comptes. Il ne fait que confirmer les constats opérés par les sénateurs, dans leur commission d’enquête, sur le vaste bazar (et la gabegie) que représente la commande publique dans ce domaine. Il permet aussi de voir que depuis un an (et donc postérieurement au rapport sénatorial) les montants ont baissé de 35% et qu’on semble arriver à un nouvel équilibre, 2023 s’annonçant dans les mêmes eaux que 2022.

Donner aux citoyens la possibilité de mettre un sujet à l’agenda, par la capacité de déclencher un contrôle de la cour des Comptes, peut sembler une bonne idée. En fait c’est une fausse promesse, et une requalification serait nécessaire. Le dispositif ne s’adresse pas aux citoyens, mais à la société civile organisée. Faire surgir un sujet et en faire un rapport de contrôle de la cour des Comptes, demande un gros travail qui n’est pas à la portée du premier venu.

Pour qu’une telle action donne pleinement ses fruits, il faut une capacité à détecter un sujet méritant réellement, dans le cadre des compétences de la cour des Comptes, une opération de contrôle. Il est donc nécessaire d’avoir des informations assez précises et une capacité d’analyse qui ne se retrouve dans le grand public. C’est davantage dans les appareils militants, syndicaux, ou dans les ONG, qu’on trouve ces compétences. Encore faut-il qu’ils acceptent d’y travailler, donc d’y mettre des moyens pour « construire » l’objet du contrôle, ses contours, les problématiques saillantes.

Il faut ensuite la capacité à en faire un objet politique suffisamment attrayant, pour que les « citoyens » s’en emparent, et donc portent le sujet pour qu’il atteigne les seuils requis. Cela demande un gros travail de communication, de recherche de relais dans différents milieux. Cette deuxième étape donne un avantage clair aux sujets politiquement clivants, de préférence hostile au pouvoir en place, où c’est beaucoup plus facile de mobiliser. Quand on demande un contrôle de la cour des Comptes, c’est pour entendre que ça ne va pas. C’est donc un outil mis entre les mains de l’opposition. On est clairement sur autre chose, dans les faits, que la promesse initiale, qui est de donner la main à la « société civile ».

Enfin, faire ce chemin pour n’avoir qu’un simple rapport de la cour des Comptes, c’est bien cher pour ce que c’est, quand on connait l’influence des rapports de la cour des Comptes. En effet, la capacité de cette honorable juridiction à peser sur les politiques publiques est très inégale. La liste des alertes lancées par la Cour, qui n’ont abouti à rien, est très longue. D’ailleurs, ce sujet du recours aux cabinets de conseil avait déjà fait l’objet de travaux de la Cour dès 2015, mais le sujet n’est véritablement sorti qu’après une commission sénatoriale, c’est à dire après que des élus s’en soient emparés.

Même si la promesse initiale est un peu trompeuse, le mécanisme n’est pas totalement inintéressant. Surtout pour la cour des Comptes, qui peut en profiter pour trouver ce qui lui manque : les appuis politiques pour que ses préconisations soient mises en œuvre. La sélection des sujets est largement entre les mains de la cour des Comptes, pour que la sélection aboutisse à une demande réaliste, faisable, et où il peut y avoir une vraie plus-value. Ce filtrage est une bonne chose, mais amène à s’interroger sur le risque d’instrumentalisation de la société civile, à qui on ne laisse finalement le choix qu’entre des possibilités où la Cour est gagnante.

Cela ne me semble pas très conforme au « récit » un peu Rousseauiste autour de la Transparence et de la participation citoyenne « spontanée », où le citoyen « David » vient affronter l’Etat « Goliath » et le terrasse. Pourtant, c’est implicitement sur ce mythe que cette action est « vendue » politiquement. C’est sans doute ce hiatus qui me gêne le plus, cela peut être vu comme une tromperie sur la marchandise, qui peut amener à discréditer encore un peu plus une participation réellement citoyenne, déjà bien faiblarde.

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Cela ne restera que des émeutes

La France connait, depuis quelques jours, des émeutes dans de nombreuses villes, avec des dégâts spectaculaires. Un épisode qui sera vite oublié, et dont on ne tirera malheureusement pas les moindres enseignements, car il ne s’agit que d’une flambée de colère, non structurée, sans revendications ni leaders.

On est devant un exemple très classique, d’une explosion sociale venue d’une population très identifiée, les jeunes des quartiers de banlieue. Ils expriment, de manière violente, leur colère face à un fait divers, le meurtre d’un jeune de banlieue par un policier, qui est emblématique de ce qu’ils vivent, et estiment injuste. Sur le fond, ils n’ont pas tort, le sort réservé aux banlieues et à leurs populations ne font pas honneur à la République, et l’actuel chef de l’Etat semble s’en désintéresser complètement (pour rester poli).

Devant de tels ghettos, cumulant tous les handicaps, il est compréhensible (mais regrettable également) que des jeunes, constatant le décalage entre la promesse républicaine, et leur vécu, expriment leur désarroi en attaquant les symboles et lieux du pouvoir qui sont à leur portée. Ils le font d’une manière désordonnée et violente, avec au passage des pillages de commerces très opportunistes. Cela leur assure une forte visibilité médiatique, mais tel un feu de paille, il va s’éteindre vite, car ils ne sont absolument pas structurés pour entrer en négociation avec le pouvoir politique. Ils n’obtiendront donc rien et tout continuera comme avant. Et c’est là que le bât blesse, car on perd une occasion de faire un bilan de ce qui ne va pas, et d’entendre ce qui est un cri de détresse d’une partie de la population.

C’est dans ce moment là qu’on voit à quel point la classe politique est devenue minable. Le pouvoir en place ne cherche qu’à minimiser les faits, et faire cesser les émeutes, alternant la compassion pour les élus locaux, et le bâton, pour les émeutiers. L’objectif du gouvernement est qu’il y ait le moins de conséquences possibles à ces émeutes, et l’assume complètement. A droite, à part la surenchère sécuritaire (attendue de leur part), pas grand chose, sinon le même souhait que la majorité, de refermer la parenthèse aussi vite que possible, pour ne surtout pas poser les questions de fond du « pourquoi ».

Le pire, c’est tout de même la gauche, qui est censée (du moins dans l’imaginaire politique sur lequel elle vit), défendre des populations défavorisées, et être leur porte-voix politique. Or, la position de la gauche se limite à la question de la violence policière qui est un sujet certes important, mais seulement la partie émergée de l’iceberg. Le tout dans la désunion sur l’expression entre LFI et les autres, qui rend la gauche tout simplement inaudible, les journalistes se concentrant sur ces divergences de ton. J’attends encore les constats et les propositions de solutions, pour traiter globalement la question de fond, qui est la relégation que vivent ces communautés, qui cumulent tous les handicaps et vers lesquels aucune main, ou presque, ne se tend pour les tirer vers le haut.

C’est donc assez désespérant de voir que finalement, le cynisme l’a emporté chez les dirigeants politiques, avec comme seule préoccupation le maintien de l’ordre et la gestion au jour le jour. Aucune vision, aucun souffle, aucune volonté de reconstruire une unité nationale, avec un projet fédérateur, qui puisse embarquer tout le monde (y compris les banlieues). C’est une forme d’épuisement du politique, malheureusement déjà diagnostiquée et bien documentée, qui s’exprime, et amène à encore plus de fragmentation et de rancœurs.