L’association Anticor vient de se voir retirer son agrément pour se porter partie civile dans les affaires de corruption. Elle perd ainsi l’un de ses principaux leviers d’action.
La décision a été prise par le tribunal administratif de Paris, qui annule l’agrément donné en 2021 par le Premier ministre, car l’association ne répondait pas aux conditions nécessaires pour obtenir cet agrément. Il lui est reproché de ne pas avoir voulu divulguer l’identité d’un très gros donateur financier (dont le don a permis de sauver financièrement l’association). Ce refus de transparence peut amener à penser que l’association a été « achetée » et qu’elle ne remplit donc plus la condition d’indépendance et d’action désintéressée, nécessaire pour être agrée. Rien ne dit qu’Anticor a été effectivement « achetée », mais le refus de transparence fait naitre un doute, et c’est suffisant au regard des règles. Accessoirement, pour une association dont l’objet social est la lutte contre la corruption, ça fait franchement tache.
Il est également reproché à l’association des problèmes de gouvernance, avec une mauvaise information des administrateurs, qui ne leur auraient pas permis de prendre des décisions éclairées. L’un des deux requérants est un ancien membre de l’association, qui dès 2020, a lancé l’alerte sur ces problèmes. Résultat des courses, il s’est fait virer de l’association, et est poursuivi en justice pour dénonciation calomnieuse. Là encore, quand on se pose en chantre de la transparence, on évite de saquer les lanceurs d’alerte dans sa propre structure.
Le ramdam médiatico-politique lancé par cette association apparait bien hypocrite, et il est sidérant que des élus, de tous bords, se laissent embarquer dans cet enfumage, et ne demandent pas des comptes à Anticor, sur les questions de fond (et de fonds), avant de s’afficher avec eux pour réclamer, par le biais d’une pression politique, que l’agrément soit rendu.
Ce triste spectacle est révélateur des faiblesses et des travers de la société civile organisée française.
La première faiblesse, c’est la très grande fragilité financière, qui a mis l’association à la merci d’un gros donateur. Avec des finances saines, et des donateurs en nombre suffisant, cela ne serait pas arrivé. Anticor n’est malheureusement pas la seule association à se retrouver en précarité financière, c’est même la norme. Et c’est en partie la faute de la culture très française de recours incessant à l’État, dès qu’un problème surgit. Comme des enfants, les Français se tournent vers l’Etat-nounou, au lieu de s’organiser eux-mêmes. Cela se traduit notamment par un sous-financement de cette société civile organisée, qui dépend très largement de l’argent public, par les subventions directes, mais aussi par la niche fiscale (où les deux tiers du montant du don des particuliers est déductible des impôts). Rien à voir avec les pays anglo-saxons, qui ont une société civile digne de ce nom bénéficiant de gros dons des particuliers.
La deuxième faiblesse est la sous-professionnalisation de cette société civile organisée. Du fait du manque de moyens financiers, il n’y a pas assez de salariés dans les associations (et ils sont mal payés), et une partie, plus ou moins conséquente, du travail est en fait assurée par les bénévoles, et notamment par la gouvernance bénévole. On connait tous des associations, parfois importantes, où les membres du conseil d’administration se retrouvent dans de l’opérationnel, qui ne relève pas de leurs attributions. Or, il est très dangereux, pour une structure, de reposer sur des bénévoles. Ils sont plus ou moins bien formés pour les missions qu’ils assument, et surtout, sont « hors hiérarchie » avec motivations diverses (qui peuvent relever de la quête de pouvoir et de satisfaction d’ego). Ils peuvent partir du jour au lendemain, sans qu’on puisse rien leur dire. Combien d’associations, ou d’activités au sein d’une association, périclitent parce que le bénévole qui s’en occupait est parti, et n’a pas été remplacé ?
La troisième faiblesse, qui est un travers, est cette tendance à se défausser de ses responsabilités, et à trouver des coupables ailleurs, prétextant parfois le complot ou les raisons « politiques » pour masquer ce qui relève de l’incompétence interne. Avec Anticor, on y est en plein. S’ils n’ont pas eu l’agrément, c’est parce qu’ils ne remplissaient pas juridiquement les conditions. Et le pire, c’est que tout cela a été révélé par un membre de l’association, le vérificateur des comptes ! Au moment du renouvellement, les services de l’Etat ont tiqué, car effectivement, les critères n’étaient pas remplis, mais le Premier ministre a passé outre, prenant un acte illégal en toute connaissance de cause, parce que des pressions politiques et médiatiques se sont exercées pour qu’il le fasse. Le juge administratif, imperméable à cela, a constaté l’illégalité de l’acte et en a tiré les conséquences. Le droit a été appliqué, donc il n’y a rien à redire.
Maintenant, rien n’empêche Anticor de demander à nouveau l’agrément, et de l’obtenir si l’association remplit effectivement les conditions. Si ce n’est pas le cas, il faudrait peut-être que ses membres, et accessoirement, tous ceux qui prennent leur défense, se posent des questions. Comment une association de lutte contre la corruption, particulièrement véhémente dans son ton et ses positionnements, peut-elle être durablement non transparente sur ses financements ? Il serait scandaleux que cet agrément soit à nouveau obtenu par pression politique, parce que les déficiences (que l’association s’était engagée à régler) persistent.