On pouvait avoir des craintes sur l’ambiance à l’Assemblée nationale, et la capacité de la XVIe législature à être à la hauteur de la tâche. Le premier mois de travail lève les craintes. La cuvée est bonne, meilleure que la XVe, et jusqu’ici, aucun blocage n’a été observé. Je dirais même que l’Assemblée fonctionne bien et trouve plutôt rapidement son rythme, même si quelques réglages sont encore nécessaires.
L’équilibre politique de l’hémicycle est plus conforme à la situation dans le pays, avec un résultat de « proportionnelle » où les trois grands blocs politiques (Gauche, Macronie, RN) sont représentés à un niveau leur permettant d’avoir les moyens et le temps pour s’exprimer dans le cadre du travail parlementaire. C’est démocratiquement important que chaque force politique qui pèse réellement, se considère comme correctement représentée, et donc s’inscrive dans le cadre de la discussion parlementaire, plutôt qu’en dehors. Je sens, à travers la manière dont les députés communiquent (notamment sur Twitter) une acceptation très large et un investissement dans ce cadre parlementaire, y compris au RN. Malgré les dramas (déjà oubliés) de la semaine de mise en place des instances de l’Assemblée, l’institution fonctionne, et personne ne conteste la légitimité des vice-présidents RN ou LFI à présider les débats. Au passage, je trouve que globalement, les séances sont bien menées, ce qui contraste avec les débuts, plus chaotiques, de la XVe législature.
Le niveau et la représentativité « sociale » des nouveaux parlementaires me semble aussi meilleure. Le sévère écrémage vécu par la majorité présidentielle a connu son lot d’injustices, de battus méritants, mais a aussi permis de sortir un certain nombre de députés qui « n’ont pas fait leurs preuves » au cours des cinq dernières années, ou pire, qui ont montré leur incompétence. Il y a quelques défaites sur lesquelles je n’ai pas pleuré. Dans le lot des entrants, il y a quelques beaux profils, notamment chez LFI. Même si je suis en désaccord assez radical avec leurs postures et leurs positionnements politiques, je dois reconnaitre qu’un certain nombre d’entre eux « ont le niveau » pour faire de bons parlementaires. Je ne dirais pas autant du RN, où les profils aguerris sont moins nombreux, et où beaucoup partent d’assez loin sur le plan « parlementaire ». Mais la montée en compétence se fera, il faut juste leur laisser le temps et certains apportent une « diversité » sociale. Même si l’Assemblée reste largement dominée par les classes supérieures, diplomées, il y a davantage de « profils atypiques » dans cette assemblée. Espérons qu’ils arriveront à s’exprimer.
On recommence également à faire de la politique dans l’hémicycle. Même si devoir écouter les prêches militants où certains députés enchainent les poncifs et les clichés est parfois pesant, c’est une bonne chose qu’il y ait une expression de visions idéologiques à l’occasion de l’examen des premiers textes. Le travail parlementaire, ce n’est pas juste de la légistique, c’est aussi, et surtout, de fixer des caps politiques, d’expliciter des visions politiques qui donnent du sens aux textes législatifs examinés. La Nupes joue à fond cette carte, de la politisation et de la réidéologisation, qui va, je l’espère, obliger les autres camps à suivre, et à expliciter, eux aussi, leurs visions. Le discours technocrate de la majorité, aux débuts de la XVe législature, est bel et bien enterré, et c’est une bonne nouvelle pour la démocratie.
Cela se fait sans paralysie du travail législatif. Même s’ils font beaucoup de bruit dans l’hémicycle, les oppositions restent dans le cadre et les discussions avancent. L’hémicycle est un théâtre politique, le lieu où s’expriment, parfois de manière un peu excessive, les lignes et oppositions politiques. Jusqu’ici, la séance joue pleinement son rôle, y compris dans les « désordres » et les chahuts. Je n’ai pas vu de dépôt massif d’amendements hors sujet, comme les LFI le faisaient en 2017, ni de stratégie d’obstruction. Si les débats autour de certains textes, comme la loi de finances rectificative durent plus longtemps que prévu, c’est peut-être parce que le gouvernement n’a peut-être pas prévu assez de temps, et a imposé un calendrier irréaliste. Comment croire qu’en démarrant ce PLFR un vendredi après-midi, après avoir siégé toute la semaine sur une autre loi importante, tout aurait été bouclé dans la nuit de samedi à dimanche ? Les débats qui ont eu lieu à l’occasion de ces textes sur le pouvoir d’achat n’étaient pas « à coté de la plaque » et se sont révélés d’assez bonne tenue sur le plan technique et politique. Il y a globalement eu « débat », c’est-à-dire échanges d’arguments, et pas des tunnels de monologues entre groupes politiques ne s’écoutant pas.
L’absence de majorité absolue n’a pas été, jusqu’ici, un problème. Le gouvernement a été battu sur certains sujets, mais à chaque fois, ce n’était pas vraiment une surprise. Cela n’a pas empêché les textes d’être adoptés, et en nouant des compromis, à peu près comme le gouvernement le souhaitait. Certes, il y a eu des petits loupés, des manières de faire à perfectionner, mais l’adaptation a été rapide et tout le monde, y compris les oppositions, ont joué le jeu. L’Assemblée va vite trouver sa vitesse de croisière, sur les rythmes (le gouvernement vient de lâcher du lest en renonçant à la session extraordinaire de septembre) et sur l’organisation de la préparation, en amont, des textes législatifs. Le spectre de la dissolution s’éloigne sérieusement (sauf crise politique grave).
Finalement, cette XVIe législature s’annonce passionnante, et pourrait redonner un peu de baume au cœur à tout ceux qui aiment cette maison, et ont été meurtris de la voir tomber aussi bas entre 2017 et 2022.