Les évêques américains sont en train de décider de ne pas donner la communion aux personnes qui soutiennent le droit à l’avortement. Personne n’est dupe, c’est Joe Biden, président catholique des États-Unis qui est directement visé.
Cela m’interroge qu’une religion, fondée sur le message « aimez-vous les uns les autres » en vienne à utiliser le chantage à l’accès au sacré, pour contraindre un homme politique à se plier aux positions morales prônées par l’institution religieuse. Un comportement malheureusement pas isolé, mais plutôt assez répandu, dans l’église catholique, mais aussi chez certaines obédiences protestantes (évangéliques notamment). Ces institutions se veulent des prescriptrices de ce qu’il faut penser, de la manière d’organiser sa vie, en utilisant toutes les formes de chantages, à commencer par l’exclusion de la communauté, pour faire plier ceux qui sortent du rang. En plus de trahir le message originel (Jésus a davantage fréquenté les gens « infréquentables » comme les prostituées ou les collecteurs d’impôts, que les puissants), ces institutions le rendent insupportable.
Comment s’étonner que la fréquentation des églises soit en chute libre, que la transmission de la culture religieuse soit en train de s’interrompre en Europe ? En se posant en autorités de pouvoir, qui veulent avant tout encadrer et normer les comportements, les institutions religieuses sont en train de tuer le christianisme. En France, c’est déjà largement fait, le catholicisme étant devenue une sous-culture minoritaire assumée, avec ses codes et son jargon que seuls les initiés peuvent comprendre. Pour beaucoup de français, l’utilité « sociale » du christianisme, pour les mariages et enterrements, est en train de disparaitre. Le clergé se rend bien compte que s’il perd ce rôle dans les « rites de passage », c’en est définitivement fini de sa place dans la société.
Le christianisme est en voie de disparition, car la manière dont il est expliqué et vécu est de plus en plus en déphasage complet avec la société. Ses symboles ne sont plus compris. Les positions morales sur lesquelles se crispent les autorités religieuses, et sur lesquelles elles « crament » leur temps de parole, ne sont plus partagées par l’immense majorité de la population. Le discrédit qui les frappent les rend inaudibles auprès de 80% de la population.
Résultat, quand on demande aux croyants de choisir entre s’aligner sur ce que proclame le clergé, ou partir, ils choisissent la deuxième solution. Depuis les années 60 en France, ce choix est massif, et irréversible. En plus de partir, les parents ne transmettent plus, et très rapidement, c’est tout un pan culturel qui disparait. Il n’y a qu’à écouter les débats sur les religions et la laïcité pour être frappé par le degré d’inculture sur le phénomène religieux, sur la connaissance des symboles, voire tout simplement de l’histoire et de la théologie. Le dialogue n’est même plus possible.
Dans tout cela, c’est l’intransigeance des institutions religieuses, et en premier lieu du catholicisme, qui porte la plus lourde responsabilité. Ils ont vidé les églises, et continuent à la faire, alors même que le point de non-retour est sans doute déjà dépassé.
11 réponses sur « Les évêques creusent la tombe du christianisme »
Je ne suis pas d’accord avec vous, l’Eglise n’est pas tenue d’adapter le dogme à l’air du temps pour complaire au plus grand nombre. Le Christ n’a pas cherché à être consensuel et il l’a payé au prix fort (« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! (…) Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »)
A vous lire la foi devrait être à la carte et l’on devrait pouvoir se revendiquer chrétien tout en professant que Dieu n’existe pas. La pratique religieuse se porte mal, mais on ne peut pas dire que nos sociétés aillent très bien non plus. Et le rôle de l’Eglise n’est sûrement pas d’encourager ce lent effondrement civilisationnel.
Par ailleurs nous aimer les uns les autres ne signifie pas être d’accord avec tout et tout le monde. L’Eglise se serait fondue depuis longtemps dans les religions qui préexistaient au christianisme si elle n’avait pas affirmé avec force sa singularité.
Cela dit, je ne sais que penser de la façon d’agir des évêques américains qui laissent peu de marge de manoeuvre à M. Biden.
J’ai beaucoup de mal avec les églises qui brandissent des dogmes, et qui s’en servent pour encadrer et diriger les comportements, afin qu’ils soient conformes à la morale qu’ils prônent. Jésus n’est pas venu imposer une morale aux hommes, et dire que l’avortement ou le divorce, c’est mal. Il aurait plutôt dit le contraire, et ne s’est pas privé pour piétiner les règles du Shabbat. Cela lui a d’ailleurs valu les foudres des autorités religieuses de l’époque, complètement crispées sur le respect des rites et la préservation de leur autorité.
Jésus a bien dit que le divorce c’est mal, et que c’est quelque chose qui ne devrait pas être. Relisez la Bible : « c’est à cause de la dureté de vos cœurs que Dieu vous a permis de renvoyer vos femmes, mais au commencement il n’en était pas ainsi »; autrement dit, il s’est exprimé sur le sujet, et a clairement désapprouvé le divorce, alors prétendre qu’il aurait été plutôt pour est assez gonflé…
Par ailleurs, d’une façon générale, s’il a toujours en effet fréquenté les prostituées et les collecteurs d’impôts et pris leur défense lorsqu’on voulait les condamner, il n’a jamais approuvé leur péché. Il a juste dit que si leur péché était en effet condamnable, il y avait une différence entre le pécheur et le péché.
Mais l’erreur la plus fondamentale de ce billet est ailleurs, et porte sur la nature même du fait religieux : la religion est avant tout un rapport entre entre un être fini et imparfait, l’homme, et un ou plusieurs êtres supérieurs, souvent considérés comme tout connaissant et/ou tout puissant. Dans la religion chrétienne, et les autres religions monothéistes, c’est Dieu qui révèle quelque chose, et la religion est composée d’un mélange d’habitudes et coutumes humaines et de révélations divines, qui sont et doivent rester en dehors de portée des hommes.
Et l’adhésion à une religion repose sur cette confiance qu’en effet cette partie vient bien de Dieu, et n’est pas une invention humaine.
On peut sans aucun problème réformer la partie humaine de la religion, forcément imparfaite, mais pas la partie divine, car cela reviendrait à mettre cette partie à portée de l’homme, et donc soit à trahir la volonté divine, soit à avouer que cela n’est jamais venu de Dieu. Et cela reste valable qu’elle qu’en soit la raison, y compris pour ne pas perdre de fidèles… Que l’homme choisisse de se détourner du message de Dieu n’est pas une raison suffisante pour se donner le droit de le modifier pour le rendre plus acceptable!
Or, dans votre article, vous pointez un élément d’origine humaine qui me semblent en effet adaptable, à savoir l’attitude des Eglises par rapport aux personnes qui non seulement pèchent mais soutiennent et entrainent le péché, mais aussi des éléments d’origine « divine » comme la licéité des règles elles-mêmes lorsque vous dites qu’elles se veulent « prescriptrices » alors que les règles morales en question viennent de la partie qu’elles considèrent divine de leur religion.
A partir de là, on rentre dans deux questions fondamentales pour les croyants :
– lesquelles de ces règles viennent réellement de Dieu, et lesquelles sont des constructions humaines (en sachant que les « constructions humaines » ne sortent pas d’un chapeau : par exemple l’interdiction de l’avortement est une simple application du « tu ne tueras pas »), et pourquoi?
– comment rester fidèle à l’ensemble du message originel (c’est à dire sans dissimuler ou édulcorer les parties qui posent problème…) tout en adaptant la manière de le transmettre?
Jésus ne récuse pas le divorce, façon XXIe siècle, il refuse la répudiation de la femme par l’homme, où celle-ci se retrouve à la rue, sans rien, quand l’homme garde tout.
Nous n’avons pas la même conception de la religion. La vôtre, celle du rapport de l’homme à un être suprême est datée, et ne fait plus recette. C’est bien le problème de fond, auquel se heurtent les appareils religieux. Leur produit est devenu obsolète, et ils n’arrivent pas à se dégager des formes anciennes, pour renouveler le message et le rendre à nouveau audible, en parlant aux gens dans le langage et avec les images et références de notre époque.
Une « religion » où il n’y a « pas de rapport avec un être suprême » est une religion sans Dieu, c’est-à-dire une religion athée…
Personnellement, je ne réduis pas Dieu à un simple « support de communication obsolète » : sans Dieu, la religion n’a aucun sens, et peut aisément être remplacée par un simple art de vivre pris au sens philosophique et moral.
Pourtant certains points de votre réflexion peuvent être intéressants, notamment les réponses aux deux questions que j’ai posées à la fin. Mais si on croit en Dieu, considérer qu’il perd toute importance dès que les Hommes n’y adhérent plus est totalement absurde
Mouais… D’un cas qui concerne une conférence épiscopale vous généralisez un peu vite à toute l’Église. De mémoire le Pape ne les a pas incités à interdire la communion.
Je partage par contre avec vous le fait qu’il y a un gouffre qui se créée entre chrétiens (voire croyants) et le reste du monde, par contre résumer l’Église catholique a la seule dimension de la morale est trop réducteur.
Enfin, que la société récuse toute morale n’est pas forcément une bonne nouvelle…
Ce n’est pas une « petite » conférence épiscopale, et cette attitude est très révélatrice d’une tendance générale des hiérarchies catholiques, qui mettent la priorité sur la « morale » et la prescription des comportements. Le rejet des divorcés remariés, par exemple, est un scandale absolu, pour une religion qui devrait, selon ses textes fondateurs, privilégier l’amour et la miséricorde. Cette discordance entre le message et le comportement y est pour beaucoup dans le départ de nombreux catholiques. La société ne récuse pas la morale, c’est juste qu’elle ne considère plus les autorités religieuses comme légitimes à l’édicter. Vu que les évêques se considèrent toujours comme des autorités, car prétendant détenir la vérité révélée, on en peut qu’aller au clash. Et à ce jeu, c’est l’ensemble du christianisme qui trinque, le bébé étant jeté avec l’eau du bain…
Non ce n’est pas une « petite conférence épiscopale », mais elle n’est pas l’alpha et l’omega de l’Église catholique, voire elle a une place à part. Et encore une fois, le fait que Rome l’ait plutôt incitée à la modération montre qu’elle n’est pas si suivie que cela.
Et certes la verticalité n’est plus de mise, mais cela ne discrédite pas toute autorité. Et être évêque ne vous disqualifie pas d’office à donner un avis.
Le sujet, ici, c’est l’exploitation de l’accès au sacré pour poursuivre des buts politiques, à savoir imposer sa morale aux élus. Que des évêques, qui sont censés être des gens responsables, en viennent à avoir cette attitude face au dirigeant du pays, ça pose question sur les mentalités des élites catholiques…
Je ne suis pas croyant, mais force est de constater que les cultes qui progressent/se maintiennent dans le monde c’est ceux qui (« en moyenne ») cultivent une certaine intransigeance/font de la religion un marqueur identitaire absolu. Islam, mouvements évangéliques, hindouisme…
S’adapter à l’air du temps est le plus sûr moyen pour une religion de disparaître. C’est donner le signal aux gens qu’on peut s’en passer !
L’intransigeance permet au moins de garder un carré de fidèles.
Ce qui est dadangereux pour les dits derniers croyants, qui se collent une cible « fondamentaliste dangereux » sur le front.