En 2017, une vague de dégagisme a très profondément renouvelé le personnel politique de l’Assemblée nationale. Plus de trois ans après, force est de constater que le niveau a baissé. Dramatiquement.
L’activité politique, comme toute activité humaine, nécessite des compétences et un apprentissage. Il ne suffit ne suffit donc pas d’être « de bonne volonté » et d’être un « citoyen ordinaire » pour être un bon parlementaire. Propulser au Parlement des personnes qui ne sont pas préparées à la fonction ne peut pas donner de bons résultats.
Il faut déjà comprendre ce qu’est le rôle d’un député, comprendre sa place dans les équilibre de pouvoir. Pour bien réussir leur mission, les députés doivent savoir faire corps et « jouer collectif », car ce n’est que comme cela qu’on obtient du résultat. La construction d’un rapport de force politique, comme par exemple entre un groupe majoritaire et le gouvernement nécessite de faire masse. C’est compliqué, sinon impossible, d’obtenir cela d’un collectif qui n’a pas été formé avant. En juin 2017, les députés LREM ne se connaissaient pas, n’avaient aucun corps de doctrine commun (et cela n’a malheureusement pas beaucoup évolué).
Il faut aussi du sens politique, c’est-à-dire l’art de sentir si un sujet est mûr ou pas, si c’est le « bon moment » et connaître les rouages et arcanes du processus de prise de décision. Une bonne délibération parlementaire ne se fait pas n’importe comment, il y a des techniques à privilégier, des pièges à éviter. Tout un pan de la culture parlementaire s’est effondré depuis 2017, au point de désespérer les derniers piliers de la maison, à savoir les administrateurs de l’Assemblée, dont l’exode hors des murs est ahurissant.
Cela demande également de maitriser le fond du sujet et la matière traitée, afin de comprendre où sont les enjeux, où sont les lignes de fractures et quelles propositions sont réalistes et ont des chances d’aboutir. Bien souvent, il faut une culture intellectuelle et une connaissance intime des sujets qui ne s’acquièrent, souvent, que par la pratique, et par le vécu. Mais, en même temps, il faut savoir s’extraire de son vécu et de son expérience personnelle, par une mise en perspective au regard des enjeux, et de ce que les autres apportent à la délibération. C’est une gymnastique intellectuelle délicate pour les néophytes, surtout comme ils prennent le melon au lendemain de leur élection et considèrent avec dédain le « vieux monde ».
Les dégâts de la vague de dégagisme deviennent assez évidents. A aucun moment, au cours du mandat, les députés n’ont été mesure de faire bouger, significativement, une ligne politique. Ils ont pu obtenir, de temps en temps, des inflexions, des petits reculs du gouvernement. Mais pas grands chose, et si Emmanuel Macron a été obligé de renoncer, c’est d’ailleurs qu’est venu le coup, que ce soit des sénateurs, qui ont su tuer la réforme constitutionnelle, ou encore des Gilets jaunes, qui ont amené le gouvernement à reculer sur la fiscalité écologique. Même si un certain nombre de néo-députés ont beaucoup appris et progressé depuis trois ans, on partait de bien trop loin pour arriver à un niveau acceptable avant 2022.
Cela vient également d’un point qui n’a pas été assez souligné, celui du manque de culture générale de nombre de parlementaires, notamment de la majorité LREM. Beaucoup d’entre eux sont arrivés de leur univers professionnel sans passer sérieusement par des « fonctions préparatoires » que sont les responsabilités politiques locales, partisanes ou associatives. Beaucoup trop de députés élus en 2017 sont restés « dans leur couloir » se spécialisant sur les sujets qu’ils connaissaient déjà, sans élargir leur horizon. On se retrouve avec un fonctionnement en silo, où bien peu sont sortis de leur zone de confort.
Un autre point, qu’exprime cruellement le président de la fédération protestante de France, est carrément l’inculture des députés. A l’occasion des débats sur le projet de loi Séparatisme, il dénonce les très faibles connaissances théologiques et religieuses de nombreux députés de la majorité, qui les amènent à légiférer sans saisir le sens, ni la portée de ce qu’ils disent et votent. Parfois, le degré d’arrogance du ton est inversement proportionnel à la connaissance réelle du sujet. D’autres débats, comme par exemple la réforme constitutionnelle, ou encore celle des collectivités locales, on déjà permis de mesurer cette inculture crasse dès que l’on quitte le petit cercle des spécialistes. Le problème est sans doute bien plus profond, et je subodore que nous faisons face à un appauvrissement général, touchant l’ensemble de la population. Le déclassement de la France est aussi visible à la chute du niveau scolaire et de ce qui constitue la « culture générale ». Il reste bien quelques députés très cultivés, mais bien souvent, ce sont des « anciens » (comme par exemple Jean-Louis Bourlanges) que les nouvelles générations regardent comme des vestiges glorieux de temps révolus. Il en restera bien peu dans l’hémicycle en juillet 2022.
L’ambiance politique allant en se dégradant, nous risquons d’avoir, en 2022, une nouvelle vague de dégagisme, visant l’actuelle majorité. Beaucoup de députés LREM seront balayés si jamais Emmanuel Macron n’est pas réélu. Et même s’il repasse, le turn-over pourrait être important. Mais ce ne sera pas pour voir revenir les battus de 2017. Ce sera pour voir arriver une nouvelle vague de néophytes, qui auront tout à réapprendre, et qui ne bénéficieront même pas des conseils de quelques « anciens », car entre le dégagisme et les départs à la retraite, du fait de l’âge, un député élu en 2012 fera figure de doyen. Il ne faut pas oublier que la moitié des députés LR ont été élus en 2017, et que ce groupe ne compte, à ce jour, que deux anciens ministres, Christian Jacob et Eric Woerth. Au groupe socialiste, au pouvoir entre 2012 et 2017, il reste 30 députés n’y a plus aucun ancien ministre !
La dégradation des conditions de travail des députés, qui ne peuvent quasiment plus, de fait, avoir une autre activité, leur absence de pouvoir et la faible considération que leur portent leurs concitoyens ne risquent pas d’inciter les candidatures de haut niveau. Je crains même fortement un nivellement par le bas, avec un niveau encore plus faible chez les députés de la XVIe législature…
5 réponses sur « La dégradation du niveau de la classe politique est inquiétante »
Ah oui le fameux avant, quand les députés étaient cultivés, investis, curieux, formaient un véritable contre pouvoir et avaient en plus le temps de cumuler d’autres activités à côté :))
J’ai du mal à retrouver dans mes livres d’histoires mais ils ne commencent qu’au second empire ?
Pour ce qui est députés cultivés, investis et connaissant leurs sujets, c’était nettement mieux avant 2017, tous les connaisseurs du Parlement qui ont connu avant/après, vous le dirons. Pour des députés formant un vrai contre-pouvoir, c’est clair qu’il faut remonter un peu plus loin 🙂 Mais le fait est qu’on est tombé encore plus bas après 2017.
Les mauvaises réforment produisent inexorablement leurs effets toxiques dans la durée. La fin du septennat, la suppression de fait de l’immunité parlementaire, l’interdiction du cumul des mandats (qui permettaient aux poids lourds maires de grande ville de siéger au Palais Bourbon), la prééminence de la jurisprudence sur la loi,… . Toutes ces réformes que vous et vos compagnons de route politiques avez historiquement appuyé ont germé et portent leur fruits.
On a un parlement castré, avec tous les inconvénients du scrutin de liste (les députés son de facto nommés par la commission des investitures dans les circonscriptions favorables à leur parti) mais en plus un parlement croupion, simple émanation du parti présidentiel. Quitte à affaiblir encore les députés, osons : réduisons leur mandat à 3 ans (pour les découpler du cycle présidentiel) et proposons un scrutin de liste régional (sauce allemande), ou un système avec une proportionnelle intégrale (ca marche très bien en Israël) ou une forte prime majoritaire (comme en Italie, ou le parti arrivé en tête reçoit des députés « bonus »).
Dans la mesure ou l’Assemblée a été vidée de son pouvoir, il n’y a rien dtonnant à ce qu’elle se vide aussi de ses talents.
Prendre exemple de l’Italie pour améliorer le niveau de la classe politique est une idée, disons, « osée ». Si l’Italie ne s’est pas (encore) effondrée, c’est parce que quand les choses tournent sérieusement au vinaigre, les politiciens laissent les clés de la maison à un haut fonctionnaire (Ciampi dans les années ’90, peut-être Draghi en 2021).
Je connais moins bien la situation en Israël, mais d’après ce que je lis dans les journaux je ne dirais pas que ça marche très bien (mieux que dans les pays voisins, certes, mais la barre est particulièrement basse…).
Ah c’est un très beau sujet, et très grave aussi. Ca rejoint un peu mon interrogation du moment que je partage : si j’avais un pari à faire aujourd’hui, je miserais sur une réélection d’E. Macron. Sa base est relativement stable et satisfaite, et il n’y a pas d’alternative crédible. Il reste 1 an pour la faire émerger mais statistiquement le pari me parait raisonnable.
Maintenant, quelle serait son Assemblée. Tous les partis auront le temps de préparer leur ligne : « vous avez bien vu ce que ça donnait une majorité LREM, ne refaites pas la même erreur ! Donnez du poids à une opposition [constructive] ». D’ailleurs si j’étais eux, en cohérence avec mon pari, je miserais tout sur les législatives.
Pour tout dire, j’ai moins peur d’une assemblée transparente, mais qui applique au moins en partie un programme présidentiel élu, plutôt qu’une assemblée bruyante dont aucune majorité de consensus n’émerge. Nous avons une culture du compromis plus latine que germanique : à voir comment s’en sortent nos voisins du Sud, je ne suis pas pressé de voir une Assemblée sans majorité mais avec un important bloc centriste : de quel côté pencherait la girouette… pas sûr que ça rende la prise de décision meilleure pour les citoyens. Mais preneur d’un avis aussi !