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La France en pleine reconfiguration politique

La déflagration provoquée par la dissolution de l’assemblée en juin 2024 marque un moment majeur d’une reconfiguration politique qui se poursuit, vers des direction pour l’instant encore incertaine.

Le premier effet a été de mettre Emmanuel Macron à l’écart de la vie politique. Il reste président et garde donc une capacité de nuisance, mais il a été mis au rencart par son propre camp. Il ne représente plus l’avenir, et ce qu’il peut dire n’intéresse plus grand monde, et semble assez mal le vivre. Le bloc central peut donc commencer à se reconfigurer se stabiliser, mais ce sera très progressivement, et un peu dans la cacophonie. Il y a des moments, on se croirait dans une cour de récréation, avec quelques gamins mal élevés comme Attal ou Wauquiez, qui cherchent à jouer les caïds. Ils peuvent discréditer ce bloc politique aux yeux de leurs électeurs, désespérés de ces enfantillages.

Même si l’Assemblée est un véritable cirque, du fait de l’absence de majorité, c’est aussi un terrain d’expérimentations, avec des cohabitations inattendues comme l’improbable tandem Coquerel – de Courson à la tête de la commission des Finances. Malgré des résultats déroutants dans les élections internes, on est arrivé à un résultat finalement pas inintéressant en termes de partage du pouvoir, la gauche ayant plus de leviers qu’on ne le pense. Ils sont à la tête de trois commissions et ont la majorité au bureau. Ils sont donc, de fait, associés au bloc central dans manière dont l’institution est gérée, et en seront considérés comme co-responsables. Il ne sera pas possible, pour la partie « raisonnable » de la gauche, de se défausser du bilan, quand l’heure des comptes arrivera, sur le déroulement de cette XVIIe législature.

Cette absence de majorité donne (et donnera) des résultats surprenants et imprévisibles, ce qui donne un véritable pouvoir à l’Assemblée nationale (en tout cas, plus qu’avant). En matière de lois, on sait ce qui entre dans l’hémicycle, mais personne ne peut prédire ce qui en sortira, ni dans quel état le texte sortira. Après le budget, un nouvel exemple vient d’être donné cette semaine, avec une banale proposition de loi sur les titres restaurants. Le but était de prolonger d’un an un dispositif provisoire, le temps de voter une réforme d’ensemble du dispositif. Prévue en 2024, cette réforme n’avait pas pu se faire pour cause de dissolution. Et voilà qu’en commission, les députés votent, à une voix près, non pas la prolongation d’un an, mais la prorogation définitive du dispositif, contre l’avis de la rapporteure (et du gouvernement). La devise de cette législature pourrait être « sur un malentendu, ça peut passer ».

A gauche, les choses évoluent aussi, avec des rééquilibrages entre gauche réformiste et radicale, où la prochaine étape sera les municipales de mars 2026. On pourrait avoir beaucoup de surprises, on commence déjà à avoir des signes que « la poutre bouge » dans certaines villes, dans le choix des alliances. Et surtout, la question de la succession d’un Jean-Luc Mélenchon vieillissant n’est toujours pas réglée à LFI, où ce n’est pas Manuel Bompard, qui a le charisme d’une huitre, qui pourra passer de coordinateur du parti à candidat à la prochaine présidentielle.

La reconfiguration politique se poursuit également, avec l’évènement majeur que pourrait être la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité. Vu comment s’est déroulé le procès, l’amateurisme de la ligne de défense, on est bien parti pour qu’elle perde ses mandats dès 2025, et ne puisse pas se présenter à la prochaine présidentielle. Cette situation est une bombe à fragmentation, car cela pourrait entrainer une colère et une radicalisation du coté du RN et de son électorat. Cela pourrait aussi entrainer une guerre de succession, voire une implosion du parti, si Jordan Bardella n’arrive pas à s’imposer, ou tombe, lui aussi, pour des questions d’emplois fictifs.

L’élection de Donald Trump et le supplément d’instabilité qu’elle ajoute à une situation géopolitique déjà menaçant, peut également changer la donne politique nationale. Une crise géopolitique peut rapidement dériver sur une crise économique ou financière, la guerre en Ukraine l’a montrée en 2022. L’Europe n’est pas bien vaillante, entre une France gérée par un intérimaire qui pourrait durer, et une Allemagne qui n’aura un gouvernement stable qu’au mieux en avril 2025 et une Italie dirigée par l’extrême-droite. Les tractations autour de la prochaine commission européenne montrent bien que les failles politiques s’approfondissent à Bruxelles.

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L’Assemblée nationale est devenue un cirque

Depuis le début du mois d’octobre, avec les débats sur les lois financières, l’Assemblée nationale donne un bien triste spectacle. S’ils voulaient démontrer l’inadaptation, voire l’inutilité de l’institution, les députés ne pourraient pas s’y prendre mieux.

Depuis un mois, nous assistons à des débats totalement décousus, où certains parlementaires ne comprennent visiblement pas toutes les implications de ce qu’ils votent, voire s’en moquent éperdument. Il faut voir le nombre de dingueries fiscales qui sont adoptées, aux effets économiques absolument pas maitrisés, techniquement inopérants, contraires au droit européen et au droit constitutionnel. C’est profondément atterrant d’entendre « amendement adopté », après que le rapporteur général, qui siège depuis 30 ans en commission des Finances, l’ait démonté techniquement de manière claire et sans appel.

C’est également profondément attristant (et énervant) d’entendre des défenses d’amendements qui relèvent du discours de meeting politique, fustigeant les « ultra-riches » et passant des heures à parler de jets privés et aux autres objets symboliques, mais complètement anecdotiques. Ces mêmes députés, qui lisent leur papier où il y a deux punchlines par paragraphe, sont muets dès qu’on entre dans la technique de la mesure qu’ils proposent, car ils n’y comprennent rien. Le tout avec un art oratoire que l’on pourrait qualifier de médiocre. C’est également agaçant de voir qualifier de « débats » des séries de monologues pour défendre un même amendement, avec les mêmes arguments, juste pour que chacun ait sa pastille vidéo à poster sur les réseaux sociaux.

La Constitution fixant des délais assez courts pour l’examen des textes financiers, il a suffi au gouvernement de laisser les députés faire leur cirque et tenir meeting dans l’hémicycle, sans chercher à les freiner. Et arrivé au dernier jour du délai, il suffit de constater que les députés n’ayant pas terminé l’examen, c’est le texte initial du gouvernement qui est transmis au Sénat. C’est arrivé mercredi dernier sur le PLFSS, et cela arrivera très certainement sur le PLF, le couperet tombant le 21 novembre (à moins que les députés ne rejettent le texte avant).

Au final, la gauche aura pu faire son show, crier victoire sur les réseaux sociaux avec force visuels bien léchés, pour des amendements qui ne se retrouveront jamais au Journal officiel. Les citoyens, qui de bonne foi, ont cru que les mesures avaient effectivement été adoptées, risquent de tomber de haut en découvrant qu’il n’en est rien. C’est certainement le meilleur moyen pour les dégouter de la politique, et c’est l’ensemble du spectre, ainsi que l’institution, qui paieront les pots cassés.

Au bout du bout, on va s’apercevoir que c’est le Sénat qui aura eu la haute main sur le contenu des lois financières. La chambre élue au suffrage indirect va donc l’emporter sur celle élue au suffrage universel, ce qui n’est pas dans l’ordre des choses démocratiques. On va aussi s’apercevoir qu’on aurait finalement gagné du temps en passant directement par le Sénat, sans perdre de l’énergie avec les députés. Une leçon que vont retenir tout ceux qui travaillent dans les affaires publiques.

L’Assemblée nationale va se transformer en cirque inutile, où les députés vont faire de la petite politique, des débats enflammés qui ne mèneront nulle part. Tout cela durera jusqu’à ce que Marine Le Pen décide qu’il est temps de revenir aux urnes, et fasse voter ses troupes en faveur d’un motion de censure pour renverser le gouvernement Barnier. Ce sera le seul vote vraiment impactant de cette assemblée, le reste est sans intérêt.

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Il n’y aura pas de sursaut européen à l’élection de Trump

Donald Trump a réussi son retour, et de belle manière, puisqu’outre une majorité claire pour la présidence, les républicains emportent aussi le Sénat, la chambre des représentants, et ont déjà la cour suprême. Ils ont tous les leviers.

Je ne ferai pas ici l’exégèse de cette élection, ni les leçons politiques à en tirer, d’autres vont le faire abondamment. En revanche, les conséquences pour la France et l’Europe me préoccupent davantage.

Le résultat de cette élection est la prise de pouvoir central par la frange ultra-conservatrice, Trump n’étant finalement qu’un homme de paille. On les a vus à l’oeuvre lors du premier mandat de Trump, il n’y a pas de raison qu’ils aient fondamentalement changé d’options stratégiques. On aura peut être quelques accentuations, un habillage un peu différent (et plus brutal), et sans doute toujours beaucoup d’opportunisme et de pragmatisme.

L’élément géopolitique essentiel est que les Etats-Unis n’en ont plus grand chose à faire de l’Europe, qui dépend trop d’eux, pour partir ou les contredire. Leur vrai adversaire géopolitique, c’est la Chine. L’Europe n’est plus qu’une périphérique sans ressources essentielles, et sur ce terrain, leur objectif immédiat est que la Russie ne se rapproche pas trop de Pékin. Pour cela, il suffit de lâcher l’Ukraine, suffisamment pour que la Russie y trouve son compte, mais pas trop, pour éviter d’effrayer les européens.

L’Europe regardera tout cela en spectateur, car nous n’avons pas les moyens de remplacer les USA pour l’aide à l’Ukraine. Nous n’avons déjà pas les moyens de notre propre défense face à une guerre conventionnelle, si jamais la Russie se décidait à lancer ses troupes. Je ne suis pas certain que les français arriveraient à se mobiliser comme l’ont fait les ukrainiens, pour aller se faire tuer au front. Nous n’avons sans doute pas non plus les stocks d’armement pour faire face. Enfin, nous n’avons pas le choix de nos alliances, nous n’avons pas d’alternative à l’alliance américaine. On gesticulera beaucoup, on aidera l’Ukraine à panser ses plaies, et c’est tout. On se retrouvera avec un conflit gelé, où chaque belligérant campera sur les territoires qu’il contrôle.

L’état de fragmentation, politique, économique, idéologique de l’Europe est profond. Notre recul industriel, pas loin de virer à l’effondrement, est également structurel, et nous prive des moyens de la puissance. Nous n’avons jamais eu, depuis 60 ans, les moyens d’être une grande puissance mondiale, et l’élection de Trump ne suffira pas à changer nos orientations, pour faire de ce but une priorité. A moins d’une guerre sur notre territoire, je vois mal l’Europe changer de trajectoire. On va donc beaucoup gesticuler, mais ce sera surtout de la communication pour nous préserver notre ego et nous illusionner sur le fait que nous comptons encore, alors que c’est faux.

Cela fait déjà très longtemps que nous avons collectivement choisi (en France peut-être plus que dans d’autres pays) de sortir de la compétition pour continuer à être maitres de notre destin. Nous nous sommes placés dans la dépendance du bloc géopolitique américain, qui a trouvé son intérêt à y être présent en Europe, face au bloc soviétique. Depuis l’effondrement de l’URSS, l’Europe n’est plus un terrain majeur, et Trump pourrait tout simplement nous le dire brutalement, en nous indiquant qu’il veut bien nous garder sous son parapluie, mais à condition que nous lui fassions des concessions. Bref, que nous soyons un allié encore plus docile, et qui ouvre son chéquier pour rémunérer le service rendu. Trump l’a déjà dit lors de son premier mandat, avec la question du financement de l’OTAN, il va nous le redire, mais dans un contexte où nous avons encore moins les moyens de résister, ou de limiter les concessions.

Et nous nous cèderons, car nous n’avons pas le choix, et les choses continuerons comme avant. La deuxième président de Trump aura juste été une étape supplémentaire dans le déclin géopolitique de l’Europe.

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Clap de fin pour Emmanuel Macron

Ce 29 octobre, Elisabeth Borne a accepté de se retirer de la course à la tête du parti Renaissance, laissant le champ libre à Gabriel Attal. Dejà président du groupe parlementaire, il aura désormais tous les leviers pour être le véritable patron de ce qui reste du camp macroniste.

Il reproduit ainsi, avec brio, il faut le reconnaitre, ce que tous les héritiers ont fait, ou voulu faire : se donner « du vivant » de leur prédécesseur, les moyens de plier le match de la succession, avant même que la question de se pose. Exactement comme Nicolas Sarkozy, quand il prend la présidence de l’UMP, en novembre 2004.

En prenant le groupe, Attal s’est donné la visibilité politique et médiatique qu’offre l’hémicycle. En prenant le parti, il met la main sur le financement politique, et sur un réseau militant. Même s’il reste beaucoup de chemin, et d’obstacle, le plus difficile est fait. Il a éliminé tout rival sérieux, car il sera le seul à avoir les moyens d’être candidat à l’élection présidentielle, avec Edouard Philippe, lui aussi doté d’un parti et d’un groupe politique. Le Modem, où débute la guerre de succession d’un François Bayrou vieillissant, semble en retrait.

Dans cette affaire, Emmanuel Macron n’a plus que les faibles pouvoirs de sa fonction, qui relèvent surtout de la capacité de nuisance, tant qu’il n’y a pas de crise politique. Il ne tient plus les rênes du parti, ne représente pas l’avenir, car ne pouvant pas se représenter, ce n’est pas lui qui distribuera les postes. L’agonie politique commence, elle ne va pas être belle à voir.

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Le modèle économique des médias tue la démocratie

Aux Etats-Unis, Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post, a demandé que le journal ne prenne pas position sur la prochaine élection américaine. Cela empêche donc la rédaction de proclamer qu’ils roulent pour Kamala Harris. Bezos entend remettre en cause le fait que les journalistes « s’engagent » et souhaite qu’ils adoptent une neutralité qui est l’essence même de leur métier. En cela, je ne peux que l’approuver. J’attends d’un journal qu’il me donne des informations pour me faire une opinion, pas qu’il me donne les opinions de ses journalistes sur ce qu’il faut penser ou croire.

Cette décision a immédiatement suscité une levée de boucliers, tant en interne que chez les abonnés, avec 200 000 résiliations d’abonnements. Cela montre à quel point une part importante du lectorat d’un journal tient à cet engagement. Finalement, entre une neutralité informative, et un engagement affirmé, qui conforte des opinions, le choix du public est assez clair. S’ils paient et s’abonnent à un médias, c’est pour y lire ce qu’ils ont envie de penser et de croire. C’est un choix légitime, mais ce n’est pas le mien.

En France, nous avons aussi ce phénomène, avec des médias militants, comme Médiapart, qui bénéficient d’une communauté d’abonnés importante, dont les motivations sont clairement de soutenir un média qui exprime publiquement leurs opinions politiques et met en avant les thématiques qui leur tiennent à coeur. L’extrême-droite constatant que ce modèle économique fonctionne bien, développe rapidement la même chose, avec des virages radicaux de publications déjà bien à droite, comme Le Figaro, ou pire, Valeurs Actuelles. L’application la plus méthodique de ce virage est celle du groupe Bolloré, qui pratique l’épuration dans les rédactions des médias qu’il rachète, pour en faire des organes de propagande.

Au final, on se retrouve avec de moins en moins de médias dont la mission reste d’informer, de manière impartiale. De plus en plus, il faut se poser la question de l’existence d’un agenda politique derrière la mise en avant de certains sujets, ou de certains angles, et s’obliger à lire plusieurs journaux différents, pour arriver à se faire une idée juste de la réalité (toujours plus complexe et nuancée que ce qui peut être raconté en 2000 signes). Tout le monde n’a pas le temps, ni l’envie de se livrer à cet exercice.

Cela est dangereux pour la démocratie, car il faut bien constater la puissance de frappe de ces médias, et leur capacité à poser, de manière orientée, les termes du débat public, celui auquel les élus se sentent obligés de répondre. Quand la question est mal posée, la réponse ne peut pas être pertinente (outre le fait que bien souvent, la réponse est induite par la manière dont la question est posée).

Il existe donc, de plus en plus, une demande non satisfaite par les médias, du moins par les médias mainstream, ceux qui vivent de la publicité ou d’abonnements à prix modiques (nécessitant donc un gros volume d’abonnés). Pour trouver cette offre, il faut se tourner vers une presse professionnelle, ou de niche, dont les abonnements sont bien plus chers. On se heurte à un obstacle, qui est la propension du lecteur à payer aussi cher, alors même qu’une information bas de gamme ou biaisée est disponible gratuitement, et suffit à la plupart, à se considérer comme « informé ».

On est là devant un problème démocratique qui ne va pas aller en s’arrangeant. On va au devant d’une polarisation encore plus forte des débats publics, comme ce que l’on voit aux Etats-Unis, de manière caricaturale. Chaque camp vit dans un autre « pays mental » que l’autre, Républicains et Démocrates ont de moins en moins de choses en communs, et un type aussi erratique et délirant que Trump arrive quand même à convaincre des millions de personnes de voter pour lui.

Je n’ai pas envie de cela pour la France, et pourtant, on s’y dirige. Le modèle économique, mais aussi les aspirations et la « culture professionnelle » des journalistes poussent à cette politisation des médias, et donc à leur radicalisation.

Le maintien d’au moins un grand titre de presse, ayant les moyens de couvrir toute l’actualité, de manière factuelle et équilibrée, est indispensable. Retrouver ce qu’était autrefois « Le Monde », en inventant de nouveaux modèles de financement. Cela peut être un milliardaire, conscient de la nécessité d’un tel outil, qui y consacre l’argent nécessaire (je n’y crois pas trop pour la France). Cela peut aussi être un financement plus participatif, où des citoyens décident de soutenir, de manière militante, le maintien d’un ilot de neutralité et de hauteur de vue, au milieu d’un océan de militantisme plus ou moins radical. Là encore, ce n’est pas gagné, car avant toute chose, il faut que ce média « neutre » existe, avec un équipe et un patron qui l’animent et le font vivre sur cette ligne exigeante. Pour l’instant, je ne vois pas trop où il est…

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L’immobilier des églises est-il sacré ?

La question de la place des religions dans l’espace public resurgit d’une manière un peu étrange, avec la polémique autour du statut de Notre-Dame de Paris : lieu de culte ou attraction touristique ? L’enjeu de la polémique est de savoir lequel de ces deux usages doit primer sur l’autre. En effet, la ministre de la Culture (par ailleurs élue de Paris) souhaite faire payer un droit d’entrée, au profit de la restauration du patrimoine, lors de la réouverture de l’édifice.

L’église catholique se raidit, car elle sent bien que cet édifice hautement symbolique est en train de lui échapper, et qu’elle finirait par n’y être plus que « tolérée », dans des créneaux bien précis, à condition que les offices religieux ne troublent pas la visite des touristes. Ce raidissement est d’autant plus fort, qu’on sent bien que la question dépasse largement la simple cathédrale de Paris, et que ce qui est questionné, c’est le dimensionnement de l’immobilier contrôlé par l’église catholique, et sa légitimité à occuper ces bâtiments dont l’essentiel de l’entretien est à la charge de la collectivité publique.

La loi de 1905 a eu pour effet de transférer la propriété des édifices du culte aux collectivités publiques (les cathédrales pour l’Etat, et les autres églises et chapelles, aux communes) avec un statut d’affectataire pour les religions. Elles sont donc locataires, mais un bail perpétuel, qui ne peut être résilié que un décret avec l’accord de l’affectataire (on appelle cela la désaffectation).

La chute de la pratique religieuse a chuté drastiquement en France, rendant surdimensionné le réseau de lieu de culte, en particulier catholique. Il est logique qu’au bout d’un certain temps, les collectivités qui sont propriétaires des bâtiments et en payent l’entretien, s’irritent de leur sous-utilisation. Pour les « meilleurs morceaux », la tentation peut être grande d’en faire un autre usage, culturel ou touristique, qui puisse notamment procurer le financement de l’entretien par des recettes propres. Le proposition formulée par la ministre de la Culture est donc logique, et devait fatalement arriver un jour.

Il reste un verrou, fragile, celui de la loi de 1905, qui est un totem politique, un symbole qu’il est très délicat de toucher, car c’est une boîte de Pandore qu’il est dangereux d’ouvrir. Nombre de collectivités locales pourraient en profiter pour demander à l’église catholique de « rationaliser » son réseau de lieux de culte, voire rendre les biens pour ne plus avoir à payer. Etant donné la difficulté, technique et symbolique, de reconvertir les églises à d’autres usages, le risque (déjà en train de se réaliser) est que les bâtiments religieux qui ne sont pas récupérables soient laissés à l’abandon et finalement démolis.

On va donc vers un progressif effacement des religions de l’espace public, par la disparition ou la reconversion (en musée ou salles de concert) de bâtiments, où l’activité cultuelle sera évacuée ou résiduelle, et transférée ailleurs. Les hiérarchies religieuses auront bien du mal à lutter contre cela, car il leur restera encore suffisamment de lieux de culte pour accueillir le peu de fidèles qui fréquentent encore les églises. On leur expliquera que s’ils veulent conserver toutes leurs églises, pour un usage exclusivement cultuel, il va falloir payer. Si on lance le débat sur la justification de cette dépense d’entretien des bâtiments cultuels sur fonds publics, je crains fort qu’une majorité se dégage pour ne réduire drastiquement cette dépense.

Le débat qui a lieu autour du contrôle de Notre-Dame de Paris est donc important. On aura certainement un compromis, qui pourrait faire acter un recul de l’emprise des autorités religieuses sur les bâtiments de culte les plus prestigieux. Mais il n’y aura sans doute pas d’affrontement brutal. Les autorités politiques n’ont pas intérêt à heurter de front les catholiques, et à devoir réviser la loi de 1905. La hiérarchie catholique n’a pas plus intérêt à l’affrontement, sous peine de voir poser, ouvertement, le sujet du surdimensionnement de son réseau d’églises et le fait qu’il est entretenu sur fonds publics.

Pourtant, ce débat est légitime, et serait utile, plutôt que d’avoir une évolution rampante, où les choses ne sont pas dites, où les choix ne sont pas assumés. Mais je ne pense pas, vu les fractures politiques qui traversent ce pays, qu’on puisse avoir un débat serein sur un tel sujet.

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On arrive aux limites de la loi Sapin 2

Le Conseil d’Etat vient de rendre une décision importante, concernant l’inscription des think tanks au registre des représentants d’intérêt géré par la haute autorité de transparence de la vie publique (HATVP). En donnant raison à l’Institut Montaigne, qui refusait de s’inscrire, les magistrats ont montré les limites de la logique qui a présidé à la régulation du lobbying mise en place par la loi Sapin 2 de 2016.

Cette loi a créé une série d’obligations déclaratives auxquelles doivent se soumettre les représentants d’intérêts (lobbyistes en langage courant). Ils doivent s’identifier, dire pour qui ils travaillent, et indiquer les rencontres qu’ils sont eu avec tout un panel de décideurs publics, en vue d’influencer l’écriture de la loi ou des règlements. L’idée à la base du texte Sapin 2 est de rendre transparent le processus d’élaboration des normes, en dévoilant « l’empreinte législative » qui permet de savoir qui a pesé sur quoi dans la décision publique.

Le conflit tranché par le Conseil d’Etat portait sur les lignes directrices de la HATVP, qui considérait que les think tanks étaient soumis, par leur nature même, à l’obligation de se déclarer. Il est vrai que certains think tanks peuvent être des relais de lobbying, mais leur but premier est d’alimenter le débat public et politique, par leurs travaux de réflexion, sans que ce soit nécessairement du lobbying. Ou alors toute participation au débat public est du lobbying. Le Conseil d’Etat a donc conclu que pour obliger un think tank à se déclarer, il faut se baser sur son activité réelle et concrète, pour voir, au cas par cas, de quel coté de la barrière il se situe.

En fait, dès le départ, le processus est vicié, par une erreur fondamentale, qui ne peut amener que dans une impasse. Si on veut avoir une image exacte de ce qui a « alimenté » le décideur public, c’est à lui qu’il faut le demander. Or, le texte s’est bien gardé de faire peser la moindre obligation déclarative sur les décideurs publics. C’est sur ceux qui envoient des éléments, que reposent toutes les obligations, avec une course sans fin, car les élus reçoivent des éléments venus de partout, des lobbies bien entendu, mais aussi de leurs électeurs, qu’ils rencontrent sur les marchés, dans leurs permanence, et qui ont un avis sur les lois qu’ils doivent voter. La logique de la loi Sapin 2, si on la suit jusqu’au bout, est d’imposer des obligations déclaratives à absolument toutes les personnes qui entrent en contact avec un décideur pour chercher à l’influencer. Sinon, on n’a qu’une vision incomplète de l’empreinte législative, et on vide cette loi d’une grande partie de son utilité, et donc de sa justification. Cette logique de transparence se heurte ainsi à un double obstacle.

Il est matériellement impossible de documenter tous les contacts susceptibles d’avoir une influence sur les votes et les prises de parole d’un élu ou d’un décideur. C’est un travail titanesque et sans fin, car en plus de traiter la masse documentaire ainsi récoltée, il faudrait aussi contrôler les éventuelles fraudes, y compris jusqu’au domicile de l’élu, où le conjoint et les enfants peuvent être des vecteurs d’influence.

C’est également politiquement impossible, dans une démocratie, d’imposer de telles obligations aux citoyens. Mais en ne le faisant pas, on laisse une brèche énorme, un peu à la manière de la ligne Maginot, qui ne couvrait que la frontière directe entre la France et l’Allemagne. En 1940, les allemands n’ont eu qu’à passer par la Belgique pour la contourner tranquillement.

Cela pose aussi un problème politique du coté des élus, où leur imposer des obligations déclaratives lourdes peut être considéré comme une atteinte au libre exercice du mandat. Surtout si ces obligations sont assorties de sanctions en cas de non respect, et peuvent entrainer la perte du mandat. Cela rendrait l’exercice du mandat absolument ingérable, et totalement infernal.

La logique de la loi Sapin 2 sur la régulation du lobbying, qui est une bonne intention à la base, amène tout droit à un cauchemar façon « 1984 » de George Orwell, si on veut aller au bout de la logique. On devait bien finir, un jour, par s’en rendre compte. Ce jour est arrivé et on est bien ennuyé, car il est toujours difficile de faire demi-tour quand on se trouve au bout d’une impasse.

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Il faut débattre de l’Etat de droit

Le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, ancien villériste devenu LR, n’a pas tardé à se lancer dans une rhétorique droitière. Dans le JDD, en réponse à l’émotion médiatique suscitée par le meurtre d’une jeune étudiante, il dit « L’État de droit, ça n’est pas intangible ni sacré. C’est un ensemble de règles, une hiérarchie des normes, un contrôle juridictionnel, une séparation des pouvoirs. Mais la source de l’État de droit, c’est la démocratie, c’est le peuple souverain. »

Des propos qui suscitent bien évidemment un émoi à gauche, qui ne manque pas de le crier sur les réseaux sociaux, retenant surtout le premier morceau de phrase. C’est le jeu de la politique, rien de surprenant donc qu’il y ait des désaccords, qui puissent s’exprimer bruyamment. Reste qu’il faut savoir aller au delà, pour entendre ce que dit réellement Bruno Retailleau et lui répondre sur le fond.

Son positionnement ne me choque pas, même si je ne suis pas complètement en accord avec lui. L’Etat de droit est quelque chose d’important, qui sans être sacré et absolument intouchable, n’est pas non plus une chose anodine. C’est un socle de notre démocratie, qui a mes yeux ne peut qu’être également libérale. Je suis fermement opposé aux démocraties « illibérales », comme la Hongrie, où un régime démocratiquement élu peut bafouer les libertés publiques. Même si effectivement, il faut une adhésion du peuple à cet Etat de droit, il ne saurait être question de pouvoir tout régler, et éventuellement le modifier, simplement par un vote du « peuple souverain ». Je ne vois pas un référendum venir modifier le texte de la déclaration des droits de l’homme de 1789, qui figure en préambule de la Constitution (et fait donc partie du bloc de constitutionnalité).

L’Etat de droit dépend aussi de traités internationaux, que nous ne sommes pas libres de modifier unilatéralement, ni même d’interpréter ou d’appliquer en fonction de notre seule volonté. Là encore, si effectivement, la ratification d’un traité important peut passer par un référendum, c’est beaucoup plus compliqué de convoquer les électeurs pour sortir d’un traité, tellement les conséquences juridiques sont complexes.

Mon gros point de désaccord, c’est finalement la dernière phrase de Bruno Retailleau. La source de l’Etat de droit, ce n’est pas uniquement le peuple souverain, du moins pas le peuple entendu comme « corps électoral d’un référendum ». Notre histoire, notre culture politique sont aussi partie prenante, il n’est pas possible de faire un virage brusque sur ces sujets, et de renier notre passé. L’essence même du concept d’Etat de droit, est qu’il s’impose au législateur, voire au référendum, car la volonté du « peuple souverain » peut être limitée, et ne passe pas uniquement par un vote.

Si notre Etat de droit peut évoluer, cela ne peut se faire que par consensus, au terme d’un long processus de consultations et de ratifications. C’est donc extrêmement progressif, et cela s’accommode très mal d’une modalité électorale, telle que sous-entendue dans le propos de Bruno Retailleau.

Ce débat reste limité, car cette prise de position relève de la rhétorique. Le seul ministre de l’Intérieur, qui représente un des partis de la coalition gouvernementale, n’est pas en capacité de modifier l’Etat de droit. Ce n’est pas la première fois que la droite conservatrice prend de telles positions, sans que cela soit suivi d’une quelconque action concrète. Car cela suscite suffisamment de levée de boucliers pour que ça n’aille pas plus loin. Les conditions pour que cela évolue son encore loin d’être réunies.

Il faut bien entendu réagir et débattre, mais en explicitant notre propre vision et en expliquant en quoi elle diffère de celle énoncée par Bruno Retailleau. Certainement pas en criant au fascisme, et en cherchant surtout à disqualifier, sans répondre au fond. Notre démocratie crève de ce refus de débattre, et d’accepter une pensée différente de la notre.

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Le gouvernement Barnier est-il aux mains du RN ?

La nouvelle antienne de la gauche, après avoir épluché le passé des nouveaux ministres, c’est de dire que le gouvernement Barnier est dépendant du RN, et va donc faire sa politique. Encore une polémique stérile de plus, qui tient du procès d’intention, et qui n’est pas franchement solide.

Le principal argument contre cela est que le RN n’a aucun intérêt, pour trois raisons, à provoquer une crise politique avant (au mieux) l’automne 2025. A partir du moment où la menace de censure est un sabre en bois, cela enlève beaucoup de poids politique au RN.

Cette semaine, s’ouvre le procès des emplois fictifs du RN au Parlement européen, avec Marine Le Pen, en guest star dans le box. Le parti est accusé d’avoir fait salarier comme assistants parlementaires d’eurodéputés, des personnes (notamment Jordan Bardella) qui en fait, travaillaient exclusivement pour le parti. Le Modem vient d’être condamné pour ça. Le RN est donc, jusqu’au verdict, un peu paralysé, car si des peines d’inéligibilité sont prononcées, notamment contre Marine Le Pen ou Jordan Bardella, ça change la donne politique. Le deuxième élément est l’état de destructuration du RN. On a tous vu, eux compris, qu’ils ne sont pas au niveau pour recruter, former, et faire élire des candidats présentables aux législatives. Le nombre de « brebis galeuses » dans les rangs des candidats RN aux dernières législatives n’est pas le fruit du hasard, mais de la manière, très « amateur » dont est structuré le parti. La purge et la réorganisation sont lancées, mais ça demande un peu de temps avant de produire les résultats attendus. Enfin, dernier point, l’assemblée nationale ne pouvant être à nouveau dissoute qu’à l’été 2025, toute crise politique avant cette date plongerait la France dans une impasse institutionnelle, avec des risques de changement des règles du jeu. Le RN, et tous les autres partis, visent « le coup d’après », la présidentielle, ou à défaut des législatives anticipées. Personne n’a intérêt à casser le jouet qu’il convoite.

Pour autant, la situation n’est pas sans risque, car la politique est souvent faite d’émotionnel, d’irrationalité et de décisions absurdes (la dissolution de juin 2024 par exemple). Il faut donc éviter de pourrir l’ambiance en froissant le RN. Même si ce n’est pas parce que le RN a été vexé qu’il votera, ou pas, la motion de censure, cela peut accélérer les choses et provoquer une ambiance délétère, qui pèsera nécessairement sur la capacité d’action du gouvernement. Le principal coût politique est que cela oblige à recevoir le RN et le traiter comme une force politique « normale », ce qui accélère sa respectabilisation.

La composition du gouvernement va de l’aile gauche de la macronie (composée d’anciens socialistes) à la droite réac (Retailleau). Le spectre est plus large que d’habitude, ce qui augure de nombreux couacs et des avalages de couleuvres, notamment sur la manière de traiter le RN, sur le fond comme sur la forme. On a déjà eu un premier incident, trois jours après la formation du gouvernement, avec Antoine Armand, ministre macroniste, prié d’avaler son chapeau et de recevoir le RN lors des consultations qu’il va lancer. Ce sujet du rapport au RN et aux mesures politiques pouvant s’assimiler à leur programme va être l’un des poisons internes de cette coalition. En cela, le RN pèse.

La coalition incluant LR, on va se retrouver avec des initiatives politiques inspirées par le programme de ce parti, dont une partie s’est construite dans une course-poursuite avec le RN, qui peut ainsi revendiquer une influence indirecte. Je pense par exemple que le nouveau ministre de l’intérieur pourrait prendre des décisions « clivantes » sur des sujets comme l’immigration et le maintien de l’ordre. Il ne fera que mettre en œuvre ce qu’il préconise depuis longtemps, mais qui ressemble parfois beaucoup à ce que défend le RN. La gauche va bien entendu s’engouffrer dans la brèche et attribuer la responsabilité politique du tout à « l’influence du RN », et c’est de bonne guerre, puisqu’ils sont dans l’opposition. Le RN ne se privera pas non plus de dire que tout cela est arrivé grâce à lui, quitte à dire également que ce n’est pas assez et faire dans la surenchère, remettant un coup de pression. Même si cela peut être faux d’affirmer que certaines mesures ont été dictées par le RN, les apparences sont défavorables au gouvernement.

L’essentiel de la bataille va se jouer sur le plan de la communication, pour prouver, ou démentir, l’influence du RN. Car malheureusement, vu l’absence de majorité pour faire voter des textes, et l’impasse budgétaire dans laquelle le pays se trouve, Michel Barnier n’a que peu de marges de manœuvre pour lancer de vraies réformes et appliquer un quelconque programme.

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Le très classique gouvernement Barnier

Michel Barnier vient de dévoiler la liste de ses ministres. On est dans le très classique, avec un nombre important (38 personnes) des intitulés de ministères sans grande fantaisie, et surtout, une présence massive d’élus et de politiques (une seule « société civile », la dernière de la liste, Clara Chappaz, qui s’occupe du numérique).

L’équilibre politique est sans surprise, il s’agit bien d’un gouvernement de centre-droit, avec une seule « caution de gauche », Didier Migaud, dont on se demande ce qu’il vient faire là, et en particulier au ministère de la Justice. Pour le reste, c’est un savant mélange entre les différents courants de la coalition gouvernementale, dont le dosage a du donner lieu à de nombreux échanges. A noter, le grand retour des sénateurs, qui placent neuf d’entre dans le gouvernement. Cela fait longtemps que cela ne leur était pas arrivé, et laisse présager que le Sénat sera un élément important du dispositif de gouvernance de Michel Barnier.

Le Premier ministre a quand même pris soin de s’entourer, et de se donner les moyens d’exercer ses fonctions. Il a une ministre déléguée à la coordination de l’action du gouvernement, qui est une très proche. Ce portefeuille est une nouveauté, mais dont on voit bien l’utilité, et qui sera sans doute le « binome » politique de la SGG, chargée de veiller à ce que les arbitrages soient respectés, et éventuellement aller sonner les cloches de ceux qui prennent trop de libertés. Il a également rattaché le Budget directement à Matignon, signe que ça risque de chauffer sur les comptes publics.

Sur le choix des personnes, il ne me semble pas y avoir trop d’erreurs de casting. Un certain nombre de ministres ont une expérience de gestion (ministère, collectivité locales, administrations) et plusieurs connaissent bien le secteur où ils débarquent. On sent quand même parfois que l’étiquette et la proximité avec le chef de parti ont joué un grand rôle dans l’entrée au gouvernement. On est dans la norme habituelle du mélange de compétences, de profils très politiques, et de copinages.

Reste à voir comment l’attelage va fonctionner, et quelle sera la capacité de Michel Barnier à en tenir les rênes. Pour le moment, cela semble solide. Autant qu’un gouvernement « du monde d’avant ».