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Qu’attendre du conseil constitutionnel ?

Les « Sages » de la rue de Montpensier ont rendu une série de décisions, cet été, sur des lois conséquentes en termes de libertés publiques : Séparatisme, Renseignement, Passe sanitaire… Au final, quelques censures et réserves d’interprétation, mais aucun « Grand Soir », aucune censure totale, avec la tête d’une loi qui roule sous la hache du bourreau. De quoi alimenter la déception de bien des commentateurs, qui n’ont malheureusement trop souvent qu’une vision politique et partielle du rôle du conseil constitutionnel, et ce que l’on peut raisonnablement en attendre.

Pour commencer, il faut faire la part de la communication politique et de la technique. Les Sages ne contrôlent pas une loi en tant qu’objet politico-médiatique, avec tout ce que le débat y a greffé d’enjeux et de symboles. il contrôle la conformité à la Constitution de dispositions juridiques. C’est un travail très technique, qui demande, pour le comprendre et l’analyser, une culture juridique que bien des commentateurs (notamment les journalistes) n’ont pas. Cela crée un premier biais et une attente déçue : Le conseil constitutionnel n’est pas le lieu du match retour d’un combat politique perdu au Parlement.

Le conseil constitutionnel est une institution fragile, qui est devenu, au fil du temps, totalement autre chose que ce qu’il était à l’origine, à texte constitutionnel inchangé. Les pouvoirs qui lui ont été donnés par le constituant de 1958 l’ont été pour un objet limité, à savoir protéger le gouvernement des empiètements du parlement. C’est un rôle qu’il continue à jouer, à coté d’autres fonctions bien plus importantes, pour lesquelles sa légitimité est fragile. N’étant pas mandaté pour être un acteur du jeu politique, le conseil se doit d’être prudent dans ses censures, notamment lorsqu’elles sont sur des sujets très politiques. Cette légitimité bancale lui interdit d’aller trop loin. La solution serait une refonte constitutionnelle, mais c’est ouvrir une boite de pandore, avec au final, un résultat qui pourrait être en deçà de ce qui existe actuellement.

La saisine dite « DC », en sortie d’examen au Parlement, ne permet pas un travail approfondi. Les Sages ont un mois pour se prononcer quand ils sont saisis, ce qui est très court pour analyser en profondeur les implications d’une loi qui n’a pas encore été appliquée (et donc, n’a pas fait l’objet d’études et de commentaires de juristes). Quand en plus, quand il y a un embouteillage comme cet été, de plusieurs lois importantes, le conseil n’a pas les moyens de tout traiter. Depuis l’instauration de la QPC en 2008, le conseil a pris l’habitude de gérer en DC les inconstitutionnalités flagrantes, les vices de procédure, et les articles faisant l’objet d’une saisine explicite par les parlementaires. Le reste est renvoyé aux QPC, où la procédure laisse trois mois aux Sages, avec des plaidoiries et des mémoires d’avocats, et un peu de recul sur les effets réels d’une loi. Sur les lois examinées cet été, notamment pour Séparatisme, Renseignement et Passe sanitaire, il existe de réelles possibilités d’avoir des censures en QPC dès cet automne, sur des sujets très importants. Contrairement à ce qu’écrivent un certain nombre de titres de presse, les Sages n’ont validé qu’une toute petite partie de ces textes.

Le contrôle de constitutionnalité est donc quelque chose de diffus, où les Sages jouent un rôle central, mais où la société civile, par le biais du dépôt de QPC, devient de plus en plus importante. Le gros problème du conseil constitutionnel est qu’il ne peut se prononcer que s’il est saisi. C’est par les QPC que se fait le « vrai » contrôle, celui qui permet de faire respecter effectivement les Libertés publiques. En effet, il y a une marge parfois importante entre le texte d’une loi, et son application. Des textes, en apparence liberticides, ne donnent finalement rien, car leur effet potentiellement nocif est désamorcé par la manière dont l’administration l’applique, dont les juges l’interprètent. Et à l’inverse, des textes parfaitement dans les clous constitutionnels sont détournés, parce qu’utilisés pour une finalité autre que celle pour laquelle ils ont été votés. Et cela, on ne peut pas le savoir avant la promulgation de la loi.

Malheureusement, la culture politique française privilégie les actions spectaculaires (qui ne demandent pas beaucoup de boulot à part s’indigner vertueusement), et les commentateurs ne sont jamais autant heureux que lorsque le sang gicle, dans une dramaturgie simple à comprendre, avec une unité de temps, de lieu, et d’action. Malheureusement, la réalité, ce n’est pas du théâtre. C’est plus prosaïque, plus terre-à-terre, avec des avancées modestes, qui demandent du travail de fond, technique et ingrat. Tout ce que détestent les militants politiques à la française, qui préfèrent faire porter toute la charge du travail sur des institutions qui ne peuvent pas répondre à l’intégralité de la demande, et en les critiquant en 280 caractères quand le résultat n’est pas à la hauteur des attentes.