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La loi sur le séparatisme, le « Dien Bien Phu » de la Macronie ?

Le 2 octobre 2020, Emmanuel Macron a séché la moitié d’un sommet européen (où sont évoqués des sujets très importants) pour venir faire un discours, en banlieue parisienne, sur le « séparatisme islamique ». Il annonce au passage une loi, qui sera présentée en conseil des ministres le 9 décembre, et devrait être discutée en début d’année 2021 au Parlement.

Autant dire qu’autant de signaux montrent que le pouvoir en place mise gros sur ce texte. C’est Emmanuel Macron qui monte directement en ligne, et donne déjà les détails de ce qu’ont trouvera dans le texte. Ce faisant, il prend des risques énormes, et pourrait subir une défaite politique qui pourrait marquer un tournant dans la campagne présidentielle de 2022, qui de fait, a déjà commencé.

La bombe, c’est l’annonce que l’instruction à la maison ne sera plus autorisée, sauf raison de santé, et que les enfants devront aller « à l’école ». Il s’agit d’un tournant majeur, d’une prise de position tranchée sur un sujet très lourd, celui de la place des parents et des familles dans l’éducation de leurs enfants.

Il heurte de front un certains nombre de communautés, de droite comme de gauche, qui pratiquent cette instruction à la maison. Tous ne sont pas islamistes, certaines sont catholiques (plutôt très tradi, et qui auraient été enclins à soutenir le texte) d’autres sont franchement à gauche, d’autres encore libertaires. Certaines ont des capacités à se faire entendre de manière assez vocale. LR va hurler, mais on pourrait bien aussi entendre une petite musique discordante du coté d’EELV voire de la France Insoumise. En deuxième ligne, on va avoir la montée en ligne des écoles hors contrat, qui sont aussi dans le viseur. Là encore, cela ne concerne pas que les musulmans, ni même que les religions. Quid des écoles Montessori par exemple ?

Ce changement du rôle des familles dans les choix éducatifs pour leurs enfants pourrait en amener d’autres, car c’est la question du contenu de l’autorité parentale qui est en jeu. Si on bouge les lignes sur un sujet, pourquoi ne pas le faire sur d’autres ? On ouvre une boite de Pandore sans la moindre étude d’impact, sans même se rendre compte des implications vertigineuses. Le sujet est important, politique, et vouloir l’aborder est légitime. Mais pas comme ça, au détour d’une loi anti-islamistes radicaux. Entrer dans ce sujet par cet angle, c’est l’assurance d’aller dans le mur.

Autre risque inconsidéré, de la part d’Emmanuel Macron, est de se lancer dans cette croisade (le mot est choisi à dessein) sans consulter sa base. Est-ce que sa majorité et ses alliés sont prêts à suivre ? Je n’ai pas entendu grand chose de la part du Modem, ou des députés LREM. Ce n’est pas franchement rassurant, et connaissant l’attachement du Modem, parti démocrate-chrétien, à la politique familiale, leur silence vaut sans doute beaucoup plus réserve et désapprobation, que soutien.

Notre cher président ne doit pas oublier qu’un texte de loi doit être voté par le Parlement, et qu’il lui faut donc une majorité.

Il m’apparait assez évident que LR se prononcera contre le texte. L’occasion est trop belle de faire chuter Macron. Nous aurons d’un coté les députés très à droite (les quasi-RN du sud) qui vont se lancer dans la surenchère anti-islamiste, et les connaissant, ils sont capables d’aller très loin, et d’amener ainsi le débat sur des terrains marécageux, où le téméraire Gérald Darmanin n’hésitera pas trop à aller. Une autre aile, les cathos de l’ouest, vont se focaliser sur l’interdiction de l’instruction à la maison, et en faire le point dur du texte, qui justifiera, in fine, qu’ils votent contre lors du scrutin final. Il n’est pas exclu que la « jeune garde » des députés LR élus en 2017, ne s’amusent à jouer les progressistes, en partie par tactique, en partie par conviction.

Comme je l’ai dit plus haut, je ne suis pas certain que tous les députés de la majorité soient enthousiasmés par le texte. D’abord par son contenu, qui va heurter de plein fouet ceux qui sont plutôt à gauche. Le groupe EDS des marcheurs fatigués, créé par Matthieu Orphelin, va sans doute accueillir quelques recrues supplémentaires, écœurés par les débats, et n’ayant plus rien à perdre à écouter leur conscience. Vu ce qui reste de temps utile dans le mandat, pour ceux qui étaient restés au groupe LREM, dans l’espoir de faire avancer leurs propres causes, ce sera la couleuvre de trop.

Bien évidemment la gauche va être unanime pour mitrailler ce texte, sur l’air du « qui fait le jeu du RN ». C’est du pain béni pour unir un camp qui reste profondément divisé, une occasion en or pour avoir des manifestations unitaires.

Le timing est également une erreur politique lourde. Après les gilets jaunes et les conséquences économiques du Covid, l’économie française est à genoux. Ce qui inquiète les français, ce n’est pas quelques barbus dans les banlieues, mais la perte de leur emploi (sans grand espoir d’en retrouver un). Dans un pays au bord de la crise sociale, causée par une crise économique, ce n’est pas le moment de faire de l’identitaire. C’est complètement à contre-temps, et surtout contre-productif pour le pouvoir en place, car désigner un ennemi, en espérant détourner l’attention des problèmes, ça ne marche pas souvent.

Pendant la guerre d’Indochine, l’armée française, n’arrivant pas à battre les Vietminh, se dit qu’il lui faut une grande victoire décisive, et décide d’envoyer une armée en plein milieu des territoires contrôlés par ses adversaires à … Dien Bien Phu. On a vu le résultat. J’ai un peu l’impression que cette offensive politique d’Emmanuel Macron pourrait se terminer, à un an de la présidentielle, par un désastre politique.

4 réponses sur « La loi sur le séparatisme, le « Dien Bien Phu » de la Macronie ? »

Rappelons quelques chiffres:
Le hors contrat concerne 60 000 élèves.
Il y a 12,5 millions d’élèves en primaire et secondaire dans les écoles publiques et privées sous contrat.
Il y a environ 1 300 écoles hors contrat, dont seulement 300 sont confessionnelles. Parmi elles, seules 40 sont liées à l’Islam.
Pour ce qui est des cathos (160 écoles), je ne suis pas sûr qu’on y trouve que les cathos les plus tradis.

Les décisions en matière d’école sous Macron et Blanquer sont une impasse. C’est sans doute la continuité d’un long processus, mais ça en devient très préoccupant à quel point les réformes du bac et des programmes creusent les inégalités.

(source des chiffres: https://www.liberation.fr/france/2018/02/21/ecoles-hors-contrat-ce-qui-se-joue-en-ce-moment-au-senat_1631271)

Pour reprendre un de vos anciens billets, les députés vont donc pinailler pendant de longues semaines pour 60 000 eleves ???

Le vrai sujet de fond, derrière cette question, c’est la place respective des familles et de l’autorité publique dans les choix éducatifs pour les enfants.

Ma fille a passé deux ans en hors contrat et ça l’a sauvée. Le mammouth (l’éducation nationale) n’est pas bienveillant, il est juste puissant (et sacrément lourd). Lui donner la toute puissance, c’est lui livrer son enfant pieds et poings liés. Gardons des marges de manœuvre !

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