Pour une fois, je vais être ici en plein soutien d’une initiative d’Emmanuel Macron, à savoir la suppression des grands corps d’inspection, et du corps préfectoral.
Une décision qui suscite une levée de boucliers impressionnante, avec moult tribunes et protestations, y compris d’acteurs politiques et administratifs de très haut niveau. C’est bien la preuve que Macron vise juste, et qu’il y a un enjeu majeur. En fait, j’attendais cette réforme depuis le début de son quinquennat, et je craignais que sa main ne tremble à la mettre en œuvre, vu qu’il vient là.
Cette réforme est essentielle, capitale même, car changer les règles ne sert à rien, si on ne change pas les personnes chargées de les mettre en œuvre. Aérer la haute fonction publique est devenue une nécessité vitale pour la France, car le petit millier de personnes qui composent ces grands corps sont ceux qui dirigent réellement le pays. Les politiques décident, mais eux exécutent… ou pas. On est arrivé à tel degré d’entre-soi et d’homogénéité sociale et intellectuelle, que la seule solution est de dynamiter le système. Nous n’avons plus le temps d’attendre qu’une réforme soft mette 10 ans à produire des effets.
Les tenants de l’actuel système mettent en avant deux grands risques à cette réforme, celui de nommer de gens incompétents et/ou politisés. Comme dans toute réforme d’envergure, il y a des risques et des gains escomptés. Les conservateurs pointent en général les risques, en les présentant, non pas comme pas des risques donc potentiels, mais comme des faits inéluctables. Et ils occultent soigneusement les gains possibles.
Il est plus que temps de mettre fin à l’auto-contrôle des recrutements et des carrières dans la haute fonction publique par un petit noyau élitiste, qui est devenu, au fil des ans, une petite mafia, où on croise toujours les mêmes, qui cumulent les casquettes, font et défont les carrières. L’ancien secrétaire général du gouvernement, Marc Guillaume, est emblématique de ce noyau, qui sans jamais s’exposer au suffrage, tire les ficelles, et passe sans encombre les alternances, en mettant en avant une compétence technique indéniable.
Le deal proposé aux politiques était simple : la paix sociale et le bon fonctionnement de la machine administrative, en échange d’une large autonomie dans les recrutements, et donc dans le choix des personnes chargées de la mise en œuvre des décisions politiques. Avec un peu de souplesse vis-à-vis des urgences politiques du moment, les hauts-fonctionnaires imposent leur ligne sur le reste, et peuvent, par la force d’inertie, retarder, voire bloquer les décisions politiques qui le leur conviennent pas. Ils savent qu’il n’est pas nécessaire de s’opposer frontalement, il suffit d’attendre pour que les élus, ou les urgences politiques, changent. Ils ont pour eux la durée et la stabilité, des hommes et des orientations politiques.
C’est eux qui ont largement plongé la France dans le marasme où elle se trouve. Ils ont eu tout le temps de changer, d’évoluer, et ne l’ont pas fait. Donc la seule solution, c’est de casser le cœur du réacteur, en modifiant les règles de recrutement et de déroulement des carrières. Cette réforme des grands corps et de la scolarité à l’ENA vont permettre, je l’espère, de voir arriver aux postes de commandes de personnes qui n’ont pas été formatées par l’ENA, et qui n’attendent rien des parrains de la mafia de l’énarchie, car ils n’ont pas été nommés grâce à eux et surtout, ne dépendent pas d’eux pour le reste de leur carrière.
L’autre avantage de cette réforme va être de faire venir des talents différents, des gens qui ont débuté leur carrière ailleurs que dans les prep-ENA et autres classes prépa. Je suis pour la fluidité « public-privé » dans les fonctions de haut niveau. Bien des cadres du secteur privé ont toutes les compétences pour prendre des postes de préfet, ou même de directeur d’administration centrale. Certains seraient peut-être même meilleurs, ne serait-ce que pour le management, que ceux qui sont actuellement en poste. La question du risque « compétence » ne se pose pas véritablement. Le principal souci sera d’offrir une rémunération suffisante pour attirer les hauts profils du privé. Rémunération qui peut être financière (les niveaux de salaires ne sont pas les mêmes) ou symbolique (pour compenser la baisse de revenus engendrée par le passage dans le public).
La critique de la politisation est également à écarter. D’abord, ce n’est pas un mal en soi, à partir du moment où c’est dit et assumé. Pour le reste, il est toujours possible de mettre des barrières et des procédures pour limiter les dérapages. Un certain nombre de nominations à de hautes fonctions nécessitent une audition devant le Parlement. Il est tout à fait possible de trouver des mécanismes similaires, obligeant le pouvoir de nomination à publier les noms avant l’entrée en fonction, et de laisser un laps de temps pour les remarques et commentaires, avec éventuellement un filtre par une commission ad hoc, composée en partie d’élus de l’opposition. La critique est d’autant plus ridicule que cette politisation des hauts fonctionnaires existe déjà en partie. Il n’y a qu’à voir les déroulés de carrière, pour se rendre compte qu’un certains nombre de haut fonctionnaires alternent des postes à hautes responsabilité (voire en cabinet ministériel) et en inspection ou sur le terrain, en fonction de la couleur politique du gouvernement. Pour beaucoup, les opinions politiques (ou leur absence) sont connues des initiés. Autant que ça soit public et assumé, à la fois par le haut fonctionnaire, mais aussi par le politique qui nommé.
Une révolution du fonctionnement de la haute fonction publique à la française était indispensable, et passait nécessairement par un changement profond dans le déroulement des carrières. la réforme est lancée, je souhaite qu’elle aille au bout.