Depuis quelques temps, les médias français sont rachetés par dizaines, par Reworld et Bolloré. Tels des vampires, ils les vident complètement de leurs journalistes et en font des outils de communication, soit pour la publicité commerciale, soit pour accroitre l’influence politique de leur propriétaire. Autant dire qu’une fois repris en main, ces médias n’ont plus que de journalistique que le nom.
Il semblerait qu’après Europe 1 et le JDD, Le Figaro serait la prochaine cible de Bolloré. Je suis triste pour les journalistes qui travaillent dans ces titres, mais en même temps, j’ai du mal à éprouver un sentiment de perte devant ce mouvement.
En effet, cela fait maintenant longtemps que j’éprouve un malaise devant la manière dont travaillent les médias en matière d’information. Je ne remets pas en cause la bonne foi et la volonté de bien faire de la majorité des journalistes. Mais il s’avère que le résultat final de leur travail ne répond pas à aux attentes et aux promesses. La plupart des titres de presse ne sont plus fédérateurs, mais se replient sur des communautés, dont ils flattent les certitudes et les travers. Trop souvent, ils privilégient, sans s’en rendre toujours compte, leur point de vue parisiano-centré dans le choix des sujets et les angles de traitement, privilégiant le récit anglé, sur l’information pure.
La journalisme arrive à un moment de mutation, où la forme du « titre de presse » avec plusieurs dizaines, voire centaines de journalistes, qui entend couvrir l’ensemble de l’actualité, n’est plus pertinent. Pour réaliser ce travail exhaustif, il faut une masse critique que bien peu de titres ont. En France, il n’y en a pas, mis à part l’AFP (et encore…). Pour couvrir leurs coûts fixes, ils se mettent entre les mains des annonceurs, mais aussi de leurs lecteurs. Ils doivent donc répondre à des demandes qui ne relèvent pas de l’information, au sens « journalistique » mais de la confirmation d’opinions préétablies. Médiapart, qui assume complètement ce modèle (seuls nos lecteurs peuvent nous acheter) est un journal ultra-militant, qui n’a qu’une faible crédibilité en dehors des milieux d’extrême-gauche.
Les quelques fois où je vais sur une page d’accueil de site de presse, j’en repart rapidement et passablement agacé. Ce qui m’est proposé est très partiel, et parfois très partial. Alors que j’attends des informations et des analyses (si possibles intelligentes et pointues) je n’y trouve que des narrations et des plaidoyers pour une cause précise (chaque titre de presse ayant ses marottes). De plus en plus, j’ai l’impression que l’ambition des journalistes des médias nationaux se résume à « raconter le monde tel que le voit le journaliste » et à être un influenceur du débat public.
Ils rejoignent en cela les télévisions dites « d’information en continu » qui ne sont, depuis très longtemps, que des machines à faire le show, sans la moindre pudeur ni déontologie. Je ne suis donc pas étonné de l’état dans lequel se trouve le débat public.
Emmanuel Macron depuis son élection, et les Gilets jaunes, de l’autre coté du spectre ne disent finalement pas autre chose : les journalistes et les médias d’information ne font plus correctement leur travail et sont largement discrédités.
Derrière ce constat un peu désespérant, il y a quand même de l’espoir. Il reste encore la possibilité de s’informer, pour celui qui souhaite faire l’effort (ce qui n’est pas le cas de tout le monde). En tant qu’internaute, j’ai accès à une multitude de contenus intéressants, via internet. Les articles écrit par des journalistes y occupent une bonne place, et certains sont très intéressants et instructifs. Mais à chaque fois, ce sont des articles de journalistes dont je connais le travail, et qui ont gagné ma confiance par leur seule signature, et certainement par le média pour lequel ils travaillent. Mais il y a aussi des sources très diverses, des articles universitaires, des posts de blogs (si si, ça existe encore) et des fils twitter qui racontent des choses ou produisent des analyses de qualité. C’est moi qui fait ma propre « curation », avec des sources que je considère fiable (ou recommandées par des gens de confiance).
Certes, cela demande de l’argent (beaucoup de choses intéressantes sont payantes) et une capacité de discernement et d’analyse que tout le monde n’a pas (ou ne veut pas prendre le temps de développer). L’une des solution repose sur un format en plein essor, celui des newsletters, où des professionnels de la curation de l’information font ce travail, chronophage, de repérage des sources pertinentes sur leurs sujets. Cette voix me semble prometteuse, à condition que ce travail soit fait dans le respect d’une déontologie scrupuleuse (qui est devenue à éclipse dans les médias mainstream) et qu’ils puissent ainsi obtenir et gagner la confiance de leurs lecteurs.
Finalement, Bolloré et Reworld ne sont que les fossoyeurs d’un système déjà moribond, qui doit disparaitre car il n’est plus récupérable ni réparable. Un autre écosystème plus fluide, doit prendre la place, en travaillant différemment. Cela ne sera pas simple, prendra du temps, mais c’est la seule voie pour retrouver une qualité d’information et donc un débat public à la hauteur d’une grande démocratie.