Notre système politico-administratif vient de vivre un petit incident, qui passera largement inaperçu, mais qui est pourtant très significatif. Le candidat proposé par Emmanuel Macron pour la présidence de l’autorité de régulation des transports, Marc Papinutti, a renoncé avant même les auditions parlementaires. Officiellement, pour raisons personnelles. En fait, c’est plus ennuyeux que ça.
Sur le papier, le candidat présente toutes les garanties de compétence technique dans les transports : directeur de cabinet de Christophe Béchu, il a été directeur de cabinet de la ministre des transports Elisabeth Borne, puis directeur général des infrastructures, des transports et des mobilités au ministère. Il connait le secteur des transports sur le bout des doigts et à 63 ans, ce serait son dernier poste (il est nommé pour 6 ans).
Mais cette grande compétence technique est à la source d’un problème : ces six dernières années, il a été mêlé de très près à quasiment toutes les décisions sur les transports. Compliqué, en tant que président de l’Autorité de régulation, de se prononcer sur des dossiers où on a officié comme directeur de cabinet ou directeur général au ministère. On imagine mal, à moins d’une schizophrénie avancée, que le président de l’ART aille dans un sens différent de l’ancien dircab. Le pire, c’est que ce sont les services administratifs de l’ART qui ont signalé qu’il devrait se déporter sur 4 des 5 gros sujets que couvre l’autorité.
Le coeur du problème, que n’a pas du assez bien mesurer Macron, est qu’il s’agit d’une autorité administrative indépendante. Il est donc important qu’en tant que régulateur, cet organe puisse prendre des positions différentes de l’administration, voire même mettre des vetos. Pour cela, il faut que les membres du collège, à commencer par le président, aient un certain recul et au moins l’apparence d’un regard neuf sur les dossiers.
La nomination du directeur de cabinet du ministre de l’Ecologie et des transports, au poste de régulateur indépendant, sans la moindre transition, peut faire penser à une « reprise en mains » par le pouvoir politique. Même s’il est toujours délicat de présumer de la future indépendance d’une personne avant sa nomination (rappellez-vous, Jacques Toubon…), cette forme de « continuité » donne une image désastreuse, qui dessert l’autorité elle-même et peut se révéler un handicap sérieux pour son président, qui devrait continuellement se justifier.
Soit Emmanuel Macron n’a pas perçu cette question du conflit d’intérêt et des apparences désastreuses, et cette nomination relève d’une légèreté et d’un défaut d’analyse difficilement excusable au bout de 6 ans de mandat. Soit, c’est effectivement une tentative de mettre sous tutelle une autorité administrative indépendante, et c’est encore plus grave. Car ce serait une atteinte à une forme de séparation des pouvoirs, et une volonté d’emprise politique sur la régulation. Et surtout, c’est d’une grande bêtise de croire qu’on peut garder le contrôle d’une personne dont c’est le dernier poste avant la retraite. Il faut avoir à l’esprit que, bien souvent, « la fonction fait l’homme » et qu’une personne de bon niveau sait s’adapter aux attentes du poste. En politique comme dans la haute administration, c’est souvent illusoire de croire qu’une personne que vous avez nommé à un poste « indépendant » vous en sera reconnaissant et vous restera fidèle…
6 réponses sur « Le loupé de Macron sur l’autorité des transports »
La conclusion de votre billet est amusante…
D’autant plus venant d’un homme qui a votre expérience de ce qu’est la politique et qui en dénonce « souvent » les travers.
Mais en s’appuyant sur le cas Toubon… pourquoi ne pas le nommer à ce poste en fait ?
Le souci, dans ce cas précis, est qu’il devrait se déporter sur beaucoup de dossiers qu’il a eu à traiter dans ses précédentes fonctions. Ingérable techniquement et déontologiquement.
Je ne crois pas du tout à un loupé involontaire de Macron : c’est trop dans la droite ligne de sa volonté de contrôle total des contre-pouvoirs pour que cette explication soit crédible.
Désolé si mon commentaire est désabusé mais effectivement, je pense que cette décision relève d’une volonté présidentielle de « dégager » le terrain et de contrôler toute la chaîne décisionnelle.
Et comme vous le soulignez d’une vision « monarchique », voire clanique – et partagée par de nombreux élus – des relations qui suppose des attentes en matière de fidélité et reconnaissance.
Quelle est la différence avec Wargon/CRE ?