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Jean Pormanove, symbole de l’impuissance publique

Un épisode tragique, la mort « en direct » du streamer Jean Pormanove, met en lumière la réalité crue de notre régulation des contenus numériques, et plus globalement, sur l’action de la puissance publique dans ce domaine : ce n’est qu’un décor en carton-pâte.

Le cas est emblématique, voire caricatural. Une personne, visiblement fragile, est régulièrement brimé et humilié dans des lives sur une plateforme. Cette exposition sordide de la maltraitance et du harcèlement était connue de longue date, et a fait l’objet de tous les signalements nécessaires. Médiapart en a fait un article, qui a déclenché une enquête de la part du parquet de Nice, territorialement compétent, a ouvert un enquête. Et rien ne s’est passé, jusqu’au drame, qui a déclenché un concours de lâchetés, chaque acteur de la chaine de régulation cherchant à refiler la patate chaude à son voisin.

Placé en première ligne, le régulateur (l’Arcom) s’est défendu comme il le pouvait, expliquant que ce n’est pas son rôle de juger du caractère licite ou pas d’un contenu sur les plateformes, et de prononcer des sanctions. Si c’est techniquement exact, c’est médiatiquement inaudible, car ce régulateur est doté de pouvoirs de sanction pour les contenus audiovisuels, et ne s’est pas privé de s’en servir pour cogner sur Cyril Hanouna, qui lui aussi, faisait dans l’exposition sordide de l’humiliation. Une telle affaire ne peut qu’affaiblir la crédibilité du régulateur, capable de se payer les vedettes du PAF, mais impuissant face des streamers. Au passage, on constate aussi que cette plateforme n’était visiblement pas du tout en règle avec ses obligations légales (pas de représentant en Europe) mais tout cela était complètement passé sous les radars de tout le monde. Et pourtant, ces vérifications était dans la fiche de poste du régulateur.

Les ministres en également pris pour leur grade, et paient ainsi des postures de communication. Quand Aurore Bergé transforme son cabinet du ministère de l’égalité homme-femme en signaleur de confiance de contenus masculinistes sur Tik Tok, elle sort clairement de son rôle. Elle y trouve un intérêt politique et médiatique immédiat, mais s’expose à un backlash violent. Si vous le faites pour les contenus masculinistes, pourquoi vous ne le faites pas aussi pour le harcèlement ? Là encore, l’écart entre le discours à la télévision et la réalité de l’action est effarant. Cela ne peut que discréditer l’ensemble de la classe politique, parce qu’il ne faut pas se leurrer, c’est comme ça sur beaucoup de sujets, pas seulement la régulation des contenus numériques.

La Justice a également des comptes à rendre, car dans ce cas précis, c’était très clairement à eux d’agir. Or, rien ne s’est passé. On a beau jeu de mettre en avant la faiblesse (réelle) des moyens, ce n’est pas une réponse satisfaisante, car au final, une personne est morte, et après une période de souffrance psychologique connue et documentée puisque Médiapart avait déjà fait le boulot d’enquête. L’excuse du genre « la loi ne nous permettait pas d’agir » n’est pas audible, vu le nombre impressionnant de lois et de règlement européens pondus dans ce domaine, ces dernières années.

Cette affaire donne donc une image cruelle de l’impuissance publique et politique à réguler quoi que ce soit. Ce sujet des contenus en ligne est devenu un objet symbolique, où ce qui compte, c’est la communication médiatique, peut importe les effets réels. Une triste illustration de ce qu’est devenue l’action publique, où les choses vont comme elles peuvent, avec une impuissance des politiques, sauf en cas de grosse exposition médiatique (comme sur l’accès des mineurs aux sites pornographiques), où on concentre les maigres forces qui restent, pour des résultats pas toujours fabuleux. Pour l’instant, à partir soutirer un peu d’argent aux Gafam, l’Europe n’a pas obtenu de véritables résultats face aux plateformes, et parfois (comme pour X-Twitter), ça a même empiré.

Ce qui risque d’arriver, outre le discrédit de la puissance publique, c’est la remise en cause de l’idée même d’une régulation des contenus en ligne. A quoi cela sert-il de mettre des règles aussi contraignantes et coûteuses, si on peut s’en abstraire aussi facilement ? Ceux qui respectent la loi se retrouvent lésés, et vont se dire qu’ils ont été bien cons de jouer le jeu. Il se pourrait, avec l’action de populistes soutenus par Trump, que les autorités politiques européennes se retrouvent sur la défensive, contraints de justifier une régulation contestée dans ses mécanismes, mais aussi dans ses fondements philosophiques, sans le soutien de ceux qu’elle devait protéger, et qui n’en ont que les inconvénients, sans les avantages

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Le coup de poker de Bayrou

Le Premier ministre a boosté la rentrée politique, en annonçant, dès le 25 août, un vote de confiance devant l’Assemblée nationale, le 8 septembre. La prise de risque est réelle, car en cas de vote négatif, le gouvernement tombe. Mais la manœuvre est habile, car plus on avance dans l’automne, plus le risque est grand pour Bayrou. Autant anticiper en prenant tout le monde de vitesse.

En abattant cette carte alors que la rentrée politique commence tout juste, Bayrou préempte le calendrier. Jusqu’au 8 septembre, ce vote de confiance sera au centre des débats, politiques et médiatiques. On ne va parler que de ça, et ça va occulter tout le reste, que ce soit la journée d’action du 10 septembre, ou le contenu du plan d’économies budgétaires. Désormais, tout est centré sur la survie de Bayrou, c’est lui qui est au centre du jeu, et ses adversaires vont devoir se positionner en fonction de lui et de ce vote de confiance.

Le choix du moment est habile, car si on sent que les oppositions à certaines mesures d’économies commencent à monter, rien n’est encore cristallisé. Bayrou peut donc lâcher du lest, en ayant pris le lead sur la négociation. C’est qui a fixé la date butoir pour un deal (avec le RN), et on sait globalement que ça va porter sur la proposition de suppression de deux jours fériés, et quelques autres mesures à très forte teneur symbolique, sur la fiscalité des riches. La négociation ne fait que commencer, et va sans doute durer jusqu’au 8 septembre, où Bayrou peut se permettre de donner ses arbitrages pendant la déclaration de politique générale. Compliqué, pour les autres partis (notamment à gauche), de devoir réagir à chaud, sur des annonces qu’on découvre en live. Bayrou est véritablement le maitre des horloges, et en politique, c’est très important.

Si elle réussit et que le RN s’abstient, permettant au gouvernement de survivre, c’est une victoire politique pour Bayrou. Il sera en effet difficile, pour les partis qui n’auront pas voté contre, de changer de pied, un mois plus tard, lors de l’examen du budget, et de censurer sur un éventuel recours à l’article 49.3. Une survie, inespérée, serait un coup de massue pour l’opposition de gauche, qui fera une fois de plus la démonstration de son impuissance à changer le cours des choses, et ne pourra qu’accentuer les fractures internes, entre LFI et les autres.

En cas de défaite, c’est la crise politique, et il faudra que les partis qui l’ont provoquée l’assument (surtout si Bayrou a fait de grosses concessions en toute dernière minute). De toute manière, quel que soit le gouvernement qui lui succède, il ne pourra pas faire autrement que reprendre l’ossature de son projet de budget, car il est impossible de le réécrire complètement. Aucune coalition parlementaire alternative n’est possible, on ne pourra que dissoudre ou chercher un autre Premier ministre au sein du bloc central, qui ne sera que la continuation du gouvernement Bayrou.

En tout cas, François Bayrou aura fait la démonstration qu’il est un véritable animal politique, espèce de plus en plus rare dans notre paysage institutionnel. S’il doit finalement partir, ce sera avec un certain panache !

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Journaliste ou procureur, il faut choisir

LFI vient de refuser d’accréditer un journaliste du Monde, Olivier Perou, pour son évènement de rentrée, des Amfis. Celui-ci étant le co-auteur du livre « La Meute », on peut effectivement comprendre qu’il ne soit plus trop en odeur de sainteté du coté de la Mélenchonie.

Bien évidemment, tous les journalistes vont embrayer sur l’atteinte à la liberté de la presse, soulignant le fait que jusqu’ici, seul le RN faisait le tri dans les journalistes.

Je suis plus partagé. C’est effectivement problématique que des partis politiques se permettent de « choisir » les journalistes qui traitent de leur actualité. Mais les journalistes ont également leur part de responsabilité, et la manière dont ils exercent leur métier peut les exposer à des mesures de rétorsion qui peuvent se comprendre.

Dans ce cas précis, je peux comprendre la réaction de LFI. Le livre « La Meute » est une enquête (lourdement) à charge contre le fonctionnement du parti. Il a été écrit par un journaliste qu’ils connaissent, qui a souvent couvert leur actualité, et qui donc les connait bien. Il a du recevoir des confidences, des off, parce qu’une forme de relation de confiance se noue entre le journaliste et le terrain qu’il couvre. Cela n’est pas sans risque, dans les deux sens. Un journaliste peut se faire « capturer » par le terrain qu’il couvre, et se transformer en porte-parole, plus qu’en observateur impartial. A l’inverse, le journaliste peut se faire procureur, et faire dans la démolition et la dénonciation, ce qui peut être vécu comme une trahison de la confiance donnée, par la structure concernée. Dans les deux cas, la solution qui s’impose est que le journaliste passe à autre chose. Dans les journaux ayant encore une déontologie, les mouvements sont automatiques : on ne peut pas rester plus qu’un certain nombre d’années sur un secteur. C’est une très bonne chose.

Le Monde aurait du comprendre qu’après la publication de « La Meute », Olivier Perou était complètement carbonisé chez LFI, et qu’il fallait le transférer dans un autre service, ou a minima, sur un autre segment politique. Faire en sorte qu’il continue à suivre LFI est une erreur de la part de la direction du Monde, et a pu être ressenti comme une provocation chez LFI.

Les journalistes sont tout à fait légitimes à écrire des livres-enquêtes à charge. Mais ils doivent en accepter les conséquences.

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La clarté et la sincérité des débats

La décision du conseil constitutionnel sur la loi Duplomb a remis sur le devant de la scène la question du contrôle de la procédure parlementaire par les Sages, et le fameux principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.

La procédure d’adoption de la loi Duplomb a été assez chaotique et inhabituel, puisque les députés n’ont pas pu en débattre en séance, du fait de l’adoption d’une motion de rejet préalable. Le fait que cette motion ait été déposée par le rapporteur, et votée par la majorité, est un fait rarissime et est politiquement très contestable. Pour autant, le conseil constitutionnel n’a rien trouvé à y redire. Et c’est normal.

Le conseil constitutionnel exerce un contrôle, qui consiste à voir si, sur la forme comme sur le fond, les parlementaires ne sont pas sortis du cadre constitutionnel. Même si le résultat peut sembler baroque, ou pas le plus efficient, le conseil ne dira rien. Il le répète dans beaucoup de décisions, avec une formule classique : « le conseil ne bénéficie du même pouvoir d’appréciation que le Parlement ». Il ne faut donc pas attendre de lui qu’il se penche sur les détails des choix politiques, à partir du moment que les outils procéduraux utilisés existent, et que le mode d’emploi a été respecté.

Il existe toutefois une limite, qui est le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires. Souvent brandi par les oppositions, dans leurs recours, il n’a jamais servi, et c’est tant mieux. Pour moi, ce principe est avant tout une protection des droits de l’opposition, contre des manœuvres du gouvernement ou de la majorité, qui auraient empêché un débat libre et éclairé. Cela peut être des informations essentielles qui n’ont pas été transmises, des délais trop courts pour déposer des amendements (sauf si on a été prévenu avant, de manière informelle), des débats tronqués, qui n’ont pas permis à l’opposition de déployer tous leurs arguments, ou de la faire de manière audible. On serait dans le cas d’un fonctionnement démocratique très déficient, où le gouvernement passe en force en mentant et en bâillonnant l’opposition.

Dans le cadre de la loi Duplomb, les députés ont eu toutes les informations nécessaires, le débat a eu lieu en commission, et les arguments contre le texte ont pu être présentés et débattus. Certes, ce débat n’a pas eu lieu en séance, qui est le moment où ils auraient pu avoir plus de visibilité, mais rien de nouveau n’était attendu. La séance n’aurait été que la répétition théâtrale et ad nauseam de ce qui a déjà été dit en commission. Comme à chaque fois, pour tous les textes.

Il était évident, dès le départ qu’il n’y a eu aucune violation du principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires sur cette loi Duplomb. Le jour où ce sera le cas, il faudra vraiment être inquiet sur l’état de notre démocratie.

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Il n’y a pas que la loi Duplomb

Le 7 août 2025, le conseil constitutionnel a rendu cinq décisions. L’une d’entre elles concernait la loi Duplomb, qui a fait l’objet d’une très intense couverture médiatique. Elle a tellement occupé de place, qu’elle a occulté les autres. Pourtant, l’une d’entre elles est, à mes yeux, bien plus importante.

Les Sages ont haché menu une proposition de loi d’origine sénatoriale, qui visait à renforcer la privation de liberté pour les étrangers en situation irrégulière. Et donc, de fait, faisait reculer le périmètre des Libertés publiques de manière assez inquiétante. Le processus est ultra-classique : on prend appui sur un dispositif destiné à s’appliquer uniquement aux cas de terrorisme, et on l’étend à d’autres infractions. On permet ainsi de garder en rétention pendant 180, voire 210 jours, des étrangers condamnés à certaines peines. Et au passage, le législateur a également voulu rendre automatiquement suspensif l’appel du parquet, en cas de décision de remise en liberté.

Comme cela concerne des étrangers en situation irrégulière et condamnés, ça ne semble pas avoir ému les foules. Pas de pétition à 2 millions de signatures, pas de couverture médiatique. Pourtant, il suffirait juste d’enlever un mot (en situation irrégulière par exemple) pour avoir un dispositif qui profondément liberticide. La mécanique était en place, en banalisant la rétention longue, il suffisait ensuite de laisser glisser. La technique habituelle !

Heureusement, le conseil constitutionnel y a mis un sérieux coup d’arrêt, en s’appuyant sur l’article 66 de la Constitution, qui protège la liberté individuelle.

Ce rappel à l’ordre sévère sur une dérive liberticide me parait plus important que la censure prononcée contre la réintroduction d’un produit phytosanitaire problématique. Pourtant, cela ne semble pas être un avis majoritaire, la crainte d’attraper le cancer étant bien plus importante, dans la population, que la préoccupation sur les Libertés publiques. Cela en dit long sur notre société et notre époque.

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Relancer la délibération démocratique

Gilles Babinet a publié une tribune intéressante dans les Echos, où il pose de manière claire un problème que nous sommes beaucoup à ressentir. Les « écrans » et leur fonctionnement enferment les citoyens, et cassent les mécanismes qui entretiennent la démocratie.

Le temps passé devant les écrans (télévision et internet) est devenu de plus en plus important, et cela risque de ne pas aller en s’arrangeant. C’est autant de temps en moins pour les conversations, notamment avec les gens qui ne pensent pas comme nous, et que nous sommes quand même obligés d’écouter. Or la démocratie est un processus délibératif, fondé sur les échanges continus entre gens qui ne pensent pas pareil, pour trouver des compromis permettant de vivre ensemble. Si on se retrouve confronté, plusieurs heures par jour, à des contenus qui ne font que conforter nos préjugés, cela ne va pas dans le sens du bon fonctionnement de la démocratie.

On en voit les effets aux États-Unis, où de plus en plus, Républicains et Démocrates vivent dans des sphères parallèles, ne se voient plus, et donc ne se comprennent plus. Cela donne une vie politique polarisé, qui favorise la radicalité et les extrêmes, alors que la démocratie est basée sur des compromis centristes. L’Europe n’est pas au même niveau, mais suit le même chemin. Ces échanges quasi-permanents sont en train de se tarir, et c’est un danger grave pour notre démocratie, auquel il faut trouver des correctifs.

On ne va pas arriver à diminuer les temps d’écrans, et je crois assez peu à la lutte pour le pluralisme sur les écrans (même s’il faut la mener). Ceux qui tiennent les robinets des contenus (chaines de télévision et plateformes) ont un intérêt économique évident à la polarisation. On peut tout au plus limiter la casse, mais on n’inversera pas la tendance.

C’est la « vie réelle » qu’il faut agir, en ouvrant de nouveaux espaces de dialogues et d’échanges, entre personnes qui n’ont pas l’occasion de se rencontrer, et donc d’échanger. Ce n’est pas simple, car le temps disponible est restreint, et discuter avec une personne avec laquelle on est en désaccord, sans pouvoir la bloquer d’un clic, n’est pas l’activité la plus attirante. C’est pourtant indispensable que certains s’y collent, et que les résultats de ces échanges soient largement diffusés. Cela veut dire organiser des confrontations, des échanges, qui soient à la fois bien organisés et cadrés, pour qu’il en ressorte quelque chose qui puisse intéresser l’ensemble de la collectivité. Il n’est pas nécessaire d’arriver à des consensus, mais rien que distinguer où sont réellement les dissensus, et quelle est leur nature réelle, cela ferait progresser notre système démocratique.

Pour jouer ce rôle, il faut des organisations et des personnes qui s’y consacrent. Cela ne peut pas être le personnel politique, trop occupé à flatter les bas instincts de son électorat, et qui n’a, au fond, pas intérêt à élever le niveau du débat. Il ne faut donc pas compter sur les partis politiques, qui suivront éventuellement, si un mouvement est lancé et qu’ils y trouvent du grain à moudre. Mais ils ne seront pas moteur.

Il est nécessaire qu’un écosystème démocratique, qui existe, s’empare véritablement de cette mission, qui se faisait autrefois toute seule, et qu’il va falloir maintenant alimenter, pour que la démocratie continue à fonctionner. Cela ne demande pas nécessairement beaucoup de moyens financiers. On trouve toujours des personnes volontaires pour débattre, donner leur opinion, écouter celle de l’autre et réagir à ce qu’il dit. C’est ensuite, dans le traitement de l’information ainsi récoltée, mais aussi dans le cadrage initial, que tout se joue. Les conventions citoyennes sont une première piste possible, où au lieu de demander à de simples citoyens de se transformer en technocrates, on leur demande juste de s’écouter, de dialoguer, et d’arriver à des constats, de consensus et de dissensus, avec un processus délibératif digne de ce nom.