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Un bon débat implique du décryptage

Le Monde vient de publier une tribune de deux économistes, que je trouve absolument pertinente et d’utilité publique. Ils se penchent sur une « étude » qui affirme que les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre viennent des 10% les « plus riches ».

L’exemple même d’une « pseudo-étude », militante avant d’être scientifique, où la conclusion et l’utilisation politique sont prioritaires, la méthodologie devant s’adapter pour fournir le résultat attendu avec une apparence la plus scientifique possible. On en rencontre plein, qui viennent de tous les bords politiques, mais où certaines officines bien ancrées à gauche excellent.

Nos deux économistes posent le principe qu’il y a deux étapes dans la fabrication d’une étude, la première (la plus importante) étant de poser les conventions. Il faut bien, en effet, définir l’objet que l’on entend mesurer, et la réalité étant complexe, il est indispensable de choisir un angle. Ils soulignent bien que cette étape est politique, et que c’est ensuite seulement, lorsqu’il s’agit de mesurer, que la science intervient. Mais à la base, il y a le choix politique de définir ce qu’on mesure, et bien trop souvent (voire quasiment jamais) ce choix politique de départ n’est pas questionné, voire complètement laissé de coté. Les journalistes qui relaient ces « études », soit par fainéantise ou par complicité idéologique, zappent complètement cet aspect et ne font que reprendre les conclusions.

Les deux économistes appliquent leur méthode à cette étude, affirmant que les deux tiers des GES sont dus aux 10% les plus riches, et regardent quelle base a été choisie. Ils découvrent que la méthodologie employée diffère de celle qui est utilisée habituellement, appelée « empreinte carbone ». Cela rend d’emblée certaines comparaisons peu pertinentes. Elle est également questionnable, car les « 10% les plus riches » sont une catégorie abstraite, regroupant autour de 800 millions de personnes, aux situations très différentes, et donc au « comportement climat » très divers. Autant de remarques utiles, pour bien comprendre l’intérêt et les limites de cette étude. On en voit clairement les limites, et surtout les intentions.

Un débat public de qualité implique ce travail de décryptage, qui trop souvent, n’est pas fait. Encore un rôle que les médias ne prennent pas suffisamment à cœur, alors que cela devrait être au centre de leur activité, et justifierait qu’on paie pour cela.

10 réponses sur « Un bon débat implique du décryptage »

On peut prendre l’avion sans soucis car c’est Air France, Total, leurs actionnaires et les banques qui émettent du C02 (4x!) , pas nous. Idem pour jeter des bouteilles dans la nature, c’est coca qui pollue.
Le mieux c’est que grâce à mon éolienne je produis de l’électricité très peu carbonnee et je vend des certificats verts à la centrale à gaz voisine, et pouf le C02 a disparu.

Blague à part il y a bien études et études (cf Raoult) et à défaut de savoir faire le tri les médias pourraient garder une certaine retenue quand le résultat paraît aberrant (équivalent d’une carte bleue en plastique dans le corps, 2tonnes d’eau pour 1 kg de bœuf… ). Évidemment rien ne les y incitent et surtout pas les lecteurs (nous).

Mais il ne faut pas oublier qu’à la fin c’est rarement une étude scientifique qui permettra de trancher un débat politique. Appuyer son opinion sur des faits établis est évidemment une bonne chose, mais le programme politique parfait scientifiquement établi n’existe pas.

Sur l’empreinte carbone, j’aimerais qu’on commence enfin à regarder la réalité : il suffit de voir les chiffres du GIEC entre 2000 et 2015 pour voir que l’effet de la totalité des efforts européens ont été annulées par la seule augmentation chinoise.
On ne pèse rien, et nos efforts non plus, y compris en terme de gazs à effet de serre.
Alors soit on se mets à faire une politique douanière écologique à l’échelle de l’UE, soit on réinvestis l’argent du decarbonnage dans la préparation aux effets du changement climatique, soit on fait les deux ou on n’en fait aucun, mais on arrête l’attitude actuelle qui ne mène à rien.
On ne pèse rien sur le changement climatique et il est temps d’en tirer les conséquences

C’est malheureusement très courant avec les études scientifiques relayées par les journalistes. Il y a à la fois un manque de culture scientifique, et un manque de questionnement. Je me souviens dans un autre domaine, d’un article expliquant que le fait de « marcher lentement était mauvais pour la santé ». J’avais assez facilement trouvé l’étude en question à partir des informations de l’article. Et j’y avais découvert:
1- que la vitesse estimée de marche était purement déclarative,
2- Que la frontière proposée aux répondants sur la notion de « marche lente » était à 5Km/h.

Personnellement, je ne considère pas cette vitesse comme lente. Et j’en conclus donc que la notion de « marche lente, moyenne, ou rapide » (les 3 catégories de l’article) était purement subjective. Ce qui modère quand même grandement les conclusions « définitives » de l’article.

@Panouf – au sujet de la Chine, attention à ne pas nous tromper dans le diagnostic et dans le pronostic.

Certes, la Chine est le 1er émetteur depuis 2005 mais :

1/ les émissions de CO2 par habitant en Chine est au niveau de l’Europe en 2005-2010

2/ les émissions cumulées chinoises sont à peine au niveau de l’Europe (donc les responsabilités historiques sont équivalentes)

3/ les émissions chinoises viennent d’atteindre un pic en lien avec un développement massif de la production électrique (notamment renouvelable) et de transitions en cours (notamment dans les transports : 1 véhicule électrique sur 2 vendu dans le monde est vendu en Chine, les véhicules électriques en Chine sont moins chers que leur équivalent thermique).

Sources :
Émissions comparées Europe, États-Unis, Chine : https://ourworldindata.org/co2-emissions

Pic d’émissions en Chine : https://www.carbonbrief.org/analysis-clean-energy-just-put-chinas-co2-emissions-into-reverse-for-first-time/

Véhicules électriques : https://www.iea.org/reports/global-ev-outlook-2025

(etc.)

Attention au pic chinois: pour l’instant, on ne sait pas vraiment quelle est l’origine de cette baisse: est-ce réellement une décarbonation ou un début de récession économique (qui n’est pas à exclure, par exemple https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/CN/indicateurs-et-conjoncture).
Sans compter que cette électrification se fait aussi massivement avec du charbon https://www.connaissancedesenergies.org/afp/les-nouvelles-constructions-de-centrales-au-charbon-menacent-les-objectifs-climatiques-de-la-chine-250213

Sur la différence de prix entre véhicules électriques et thermiques, quelle part est purement industrielle, et quelle part due à la taxation type bonus/malus?

Donc je pense qu’il est un peu tôt pour se réjouir de la décarbonation de la Chine et d’affirmer qu’il y a un pic

Peut être… mais ce que je vois moi c’est que :
1/ les efforts les plus payants ont été fait au niveau de l’Europe, les suivants seront bien plus difficile pour un résultat bien moindre
2/ les résultats de ces efforts n’ont servi à rien, puisqu’UN SEUL pays à annulé la totalité de ceux ci
3/ les autres ne font rien.

Partant de ces constats, essayez donc de me convaincre que la poursuite en Europe de ces efforts coûteux et inutiles (et qui le seront de plus en plus) a la moindre chance de changer quoi que ce soit.
Je ne dis pas qu’il ne faut pas lutter contre le réchauffement climatique, mais je pense que :
1/ il est déjà trop tard
2/ l’Europe n’a aucun poids ou pouvoir sur la question… mais la possibilité d’anticiper.

Je n’aurais pas tenu ce discours sans ces données, ou il y a 10 ans.

M Panouf. Je suis comme , je pense que tout ne sert à rien. Le réchauffement climatique est la. Il est trop tard. Je ne pense pas que nous allons en quelques decennies remettre le carbone que nous brûlé là où nous l’avons pris (sachant qu’il a fallu des millionds d’années à la nature pour faire ces stocks de charbon, gaz, pétrole…)
Par contre je vous donne tort car si pour le réchauffement climatique c’est « foutu » il y a pleins.de raisons.qui font que réduire notre empreinte carbone n’est pas.une mauvaise chose. Comme par exemple.moins dépendre de .pays qui nous.veulent tant de bien. Arrêter de vivre en vile dans des atmospheres sur-polluees et nocives. Etc..

@Ares, oui, il est tard mais il n’est pas trop tard et nous n’avons de toute manière, pas le choix :

1/ Il est tard : le changement climatique est une réalité désormais visible avec des impacts réels aujourd’hui (je ne vais pas faire la liste des catastrophes naturelles qui, dans le climat d’hier, auraient été exceptionnellement rares – 1 fois tous les 100 ans, 1 fois tous les 500 ans – mais qui sont désormais des évènements avec une période de retour de 25 ans voire 10 ans).

2/ Il n’est pas trop tard : comme le documente par exemple le dernier rapport du 3e groupe de travail du GIEC*, nous avons tous les moyens techniques de réduire nos émissions au bon rythme jusqu’en 2040, et une part importante de ces options fait sens économiquement (sans prendre en compte la dimension climatique), une majorité seraient rentable avec une valorisation de la tCO2 de moins de 20$.

C’est le point de ma 2nde réponse à Panouf : nous ne sommes pas les seuls à agir, beaucoup d’autre le font également parce que cela fait du sens économiquement.

3/ Nous n’avons simplement pas le choix : le changement climatique résulte de l’augmentation de la concentration de CO2 et d’autres gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Tant que nous ne serons pas collectivement dans une situation « net zero » (i.e. une situation qui permet la stabilisation de la concentration de GES dans l’atmosphère), le climat poursuit sa dérive qui devrait progressivement s’accélérer : on ne peut pas s’adapter à un changement qui s’accentue sans cesse.

Pour récapituler : le climat d’hier, c’est foutu, mais celui de demain et d’après demain est encore très largement entre nos mains et, comme « the Good » n’est plus une option, on a (encore) le choix collectif entre « the Bad » (atteindre la neutralité carbone vers 2040-2050), « the Ugly » (atteindre la neutralité carbone vers 2060-2070) et « the Ever Ugliest » (ne jamais réduire suffisamment nos émissions de GES). Dans ces conditions, l’atteinte de la neutralité carbone n’est pas vraiment une option, c’est possible et économiquement viable. Dans ces conditions, il est donc complètement absurde de remettre en cause nos objectifs de moyen terme. Un débat sur les moyens est légitime et bienvenu, les atermoiements sur nos objectifs et nos engagements à moyen terme sont absurdes.

* Repris dans le rapport de synthèse de l’AR6 : https://www.ipcc.ch/report/ar6/syr/downloads/report/IPCC_AR6_SYR_SPM.pdf (voir graphique p. 27 et section C3).

Cela dit, merci pour ces données très intéressantes, et qui me donnent un peu d’espoir pour la suite, avec deux énormes bémols :
1/ la crédibilité des infos chinoises est tout sauf évidente selon moi : les chiffres ne sont que cette année et ont très bien pu être massivement bidonnés pour faire bonne figure lors des conférences sur le sujet…
Je ne peux pas évaluer cela… et je ne suis pas sur le GIEC le puisse !
2/ c’est un seul des gros émetteurs, quid des autres, au hasard les USA de Trump? Ou l’Inde? Le Brésil ?

@Panouf (sur cette réponse et la précédente réaction à mon commentaire)

Les chiffres chinois sont bidonnés ? Peut-être mais très probablement pas tant que ça : (i.) on peut suivre les émissions de gaz à effet de serre (GES) par satellite et via des sources secondaires – pour la Chine, pas de hiatus connu (et ce n’est pas faute de chercher) et (ii.) c’est cohérent avec ce qu’on voit (une décarbonation rapide de l’économie (malgré quelques évolutions difficiles à rationnaliser, cf. poursuite de la construction de centrales à charbon) : électrification rapide, développement massif des énergies renouvelables, décarbonation de la mobilité (train, véhicule électrique), etc. qui sont la conséquence d’un virage stratégique documenté en 2009-2010 (qui résulte aujourd’hui en une domination (technologies, matériaux/terres et métaux rares, etc.) très claire.

Les autres gros émetteurs ? Une remarque, dès lors que la question est l’atteinte collective de la neutralité carbone, il n’y a plus de gros émetteur (tout le monde a le même objectif, la seule différence, c’est la trajectoire et la vitesse d’atteinte).

Pour les grandes économies émergentes, il y a un sujet Inde mais au Brésil ou en Afrique du Sud (par exemple), les émissions sont stabilisées (Brésil) ou en baisse (Afrique du Sud) depuis une dizaine d’années.

Pour les US, la tendance est à la baisse depuis 2004-2007.

Enfin, pour un bon nombre d’économies émergentes et en développement, l’accès à l’énergie est un sujet prioritaire mais cet accès ne passe plus systématiquement par un accès aux énergies fossiles… les travaux de la Banque mondiale le démontre pays après pays** : un chemin de développement décarboné existe et fait sens.

Dans tous les cas, ces évolutions traduisent un intérêt économique à décarboner (produire de l’électricité à partir de renouvelable est moins cher qu’à partir d’énergie fossile*), les politiques climatiques jouant au mieux un rôle marginalement positif (hormis sur la période la plus récente aux US, cf. IRA, et une remise en cause depuis le début de la présidence Trump, mais cette remise en cause devient complètement absurde : on parle de subventionner le charbon pour continuer à l’utiliser…).

Alors, oui, la posture de l’administration US crée une difficulté très réelle en remettant en cause l’existence d’un objectif partagé mais non, Trump ne peut pas, à lui tout seul, remettre en cause des tendances technologiques profondes ou invalider un phénomène physique… La géopolitique du climat change en profondeur mais il y a certains invariants qui méritent d’être bien considérés.

* voir par exemple le suivi par Lazard https://www.lazard.com/research-insights/levelized-cost-of-energyplus/ ou les rapports de l’IEA https://www.iea.org/reports/electricity-2025 ou de l’IRENA https://www.irena.org/Publications/2024/Sep/Renewable-Power-Generation-Costs-in-2023

** Voir : https://www.worldbank.org/en/publication/country-climate-development-reports

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