Alors que les premières discussions autour du budget 2026 débutent, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, s’est offert une annonce-choc dans le Parisien. L’Etat va inscrire, d’ici la fin de l’année, notamment dans le budget, la suppression et la fusion d’un tiers des agences et opérateurs de l’Etat.
Cette annonce est irréalisable, car il faudrait pour cela modifier un nombre important de lois, donc passer par une assemblée nationale où le gouvernement ne contrôle pas grand chose.
Il existe effectivement un débat en ce moment (avec une commission d’enquête au Sénat) sur le développement, que certains jugent anarchique et problématique, des agences et opérateurs de l’Etat. On parle ici de structures relevant du droit public, qui disposent d’une autonomie juridique, afin de mener à bien des missions publiques, relevant clairement de la sphère de compétence de l’Etat. Il y en a de toutes les tailles, certaines ayant des centaines de salariés et plusieurs centaines de millions d’euros de budget, d’autres n’ayant qu’une taille réduite et une fonction très ciblée.
Le choix de passer par ce mécanisme présente des avantages. Il permet, par l’autonomie juridique, d’avoir une chaine de décision claire et efficace. La structure connait ses missions (en général ciblées) et a un patron identifié (son président ou son directeur général), ce qui facilite la réactivité et la responsabilisation. Cela permet aussi, via un conseil d’administration, d’associer plus ou moins des « parties prenantes » non étatiques (collectivités locales, ONG, syndicats…) à la définition des objectifs et à l’évaluation de l’action du « patron ». C’est par exemple le cas de l’Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) chargée d’animer l’aménagement du territoire (comprenez « du fin fond de la province ») dont le conseil d’administration comprend beaucoup d’élus locaux. Autre exemple, celui de l’Agence nationale des fréquences, qui regroupe dans son conseil d’administration toutes les catégories de bénéficiaires de ces fréquences hertziennes (Télécoms, militaires, audiovisuel…). A chaque fois, bien évidemment, il y a des représentants de l’Etat au sein du conseil d’administration, et le « patron » est désigné par le gouvernement. Pour les plus importantes, cette nomination passe souvent par une audition devant le Parlement.
Vouloir, par principe, fusionner et couper est une mission impossible. Toute structure qui a une autonomie va lutter pour sa survie, à moins que ceux qui la dirigent estiment que fusionner est dans l’intérêt de la mission qu’ils accomplissent (et accessoirement de leur intérêt). Autant vous dire que tuer une structure administrative qui se débat, c’est très très compliqué, et quand cela fonctionne, c’est surtout une prédation, l’absorption d’un opérateur par une agence plus grosse (comme la fusion du CSA et de l’Hadopi).
La communication gouvernementale est un peu en difficulté, car en ce moment même, un projet de loi (sur la simplification) tente de supprimer des comités consultatifs. Les députés ont passé presque trois jours sur l’article 1er de ce texte, qui concerne quelques petites commissions, pour des résultats qui s’annoncent très maigres, le gouvernement étant le premier à s’opposer à nombre de demandes de suppression. C’est donc assez paradoxal, après avec défendu en avril la survie d’un certain nombre d’opérateurs et d’agences, d’annoncer en mai des fusions et suppressions autoritaires.
Ces tentatives de fusions et de suppressions ne vont pas générer beaucoup d’économies. Certaines agences, comme l’Ademe (mais c’est le cas de beaucoup d’opérateurs) ont des budgets de fonctionnement assez modestes, et ne font finalement qu’attribuer des subventions ou piloter des politiques publiques qui ont vocation à être maintenues. On prend le risque de déstabiliser la mise en œuvre de nombre de politiques publiques, en mettant la pagaille dans les organismes qui en sont chargées. Au lieu de faire des économies, on va surtout perdre de l’argent dans des fusions administratives infernales, qui vont absorber toute l’énergie des dirigeants.
L’enjeu réel, pointé par les sénateurs dans leur commission d’enquête, n’est pas financier mais politique. Ce développement des agences et opérateurs, en accordant de l’autonomie aux structures, fait perdre du pouvoir aux administrations centrales, et donc aux ministres qui les dirigent. Si tous ces opérateurs ont des représentants de l’Etat au sein des conseils d’administrations, et que les « patrons » sont souvent issus du monde politique ou de la haute administration, ils obéissent beaucoup moins « au doigt et à l’œil » qu’un directeur d’administration centrale, qu’on peut virer sans difficulté, en conseil des ministres. Cela énerve beaucoup la droite sénatoriale, pas toujours très « écolo-friendly » de découvrir, sans pouvoir rien y faire, les initiatives très « écolo-friendly » de l’Ademe, l’agence de la transition écologique de l’Etat.
La laisse est devenue trop longue et trop lâche, et l’objectif, pour certains, est clairement de la raccourcir. Les économies ne sont qu’un prétexte, et les annonces d’Amélie de Montchalin ressemblent un peu à ce que fait Trump en ce moment. Après avoir annoncé des horreurs maximalistes, parfaitement contreproductives, mais qui sèment l’effroi, on s’assoit à la table des négociations, en espérant gratter un peu sur les véritables objectifs. Pour le gouvernement français, le budget est le seul levier véritablement efficace, pour contraindre les agences à lâcher du lest et à « dealer ». Encore faut-il qu’Amélie de Montchalin soit toujours ministre au moment où vont s’ouvrir les négociations, cet automne. Rien n’est moins sur…
16 réponses sur « Les agences survivront à Montchalin »
Un jour on fera le bilan des dégâts de Trump et de Musk et on constatera qu’ils ont eu un impact au-delà des frontières américaines, même dans des domaines où l’Amérique n’avait rien fait.
Plus généralement, cela pose la question de la pensée politique de droite, qui semaine après semaine semble incapable de répondre aux questions de notre temps.
C’est d’une tristesse.
ps:
La gauche n’est pas vraiment mieux, mais ce n’est pas ma famille. Que chacun commence à balayer chez lui.
Ces agences sont censées s’inspirer de la « nouvelle gestion publique » des pays étrangers mais dans les faits c’est souvent la « nouvelle cogestion publique »: les représentants des salariés et des parties prenantes sont souvent majoritaires, et il n’y a pas automatiquement de cohérence entre ce que disent les représentants de chaque ministère. Il ne faut pas s’étonner que ces agences n’aient jamais permis de rationaliser l’action publique, puisqu’elles servent principalement à maintenir la connivence syndicalo-associative (et élus locaux). Et en plus elles peuvent s’affranchir des règles de recrutement de la fonction publique ce qui peut favoriser noyeautage et entrisme militant. Il n’y a pas besoi
Mais en effet, à part qq comités rien ne sera fusionné.
Comme si les règles de recrutement de la fonction publique pouvaient être un gage de recrutement de qualité… Quand au noyautage vous voulait sans doute parler de l’éducation nationale 😉
Je vous laisse comparer le recrutement de la Banque de France ou de la Caisse des Dépots d’un côté, et celui de l’ADEME de l’autre. Les deux premières sont gérées comme des entreprises, la dernière est à mi-chemin entre l’autogestion et la cogestion associative
Parce que c’est connu les entreprises embauchent toujours des flèches et les associations des jean-foutre.
Pfffff
C’est vrai que ça va pas être facile. Je me demande quelle est la taille potentielle des bénéfices. Est-ce qu’on sait combien ces structures dépensent en gestion des ressources humaines, gestion du parc informatique, gestion des locaux, etc. Je ne vois que là dessus que des fusions peuvent évidemment mener à des économies à termes (au coup d’un process infernal à court terme), mais c’est assez compliqué pour moi d’estimer les économies potentielles. Dans les entreprises il parait que les synergies ventées à l’occasion des MnA ne sont finalement pas souvent folichonnes.
AMHA, le vrai enjeu n’est pas de les fusionner, mais de supprimer ou recentrer sur leurs missions les agences. voire de supprimer certaines missions (quel est le coût de gestion de l’aide à la reprise des chaussettes?)
Tiens, au hasard, l’ADEME, plutôt que d’être le porte-parole du lobby bio, ça serait bien qu’elle agisse vraiment pour l’environnement. Ouy l’Agence Bio.
Je donne ces exemples, mais je suis sûr qu’en creusant un peu on doit pouvoir en trouver d’autres. En étant mauvaise langue, on peut même supprimer l’ANSES, vu le peu de cas que les politiques et la justice font de ses avis, il suffit d’en déléguer les missions aux lobbyistes de Générations Futures ou de Greenpeace (oui je suis acide!!)
Ouais si il y a des missions inutiles il faut les éliminer. Dans ce cas l’enjeu c’est vraiment d’éliminer la mission, pas d’essayer de simplifier leur gestion. La subvention a la reprise des chaussettes est probablement un bon exemple. Je me demande combien il y en a comme ça et quel est leur coût cumulé. Finalement les grandes masses sont des missions claires et essentielles, ensuite beaucoup d’autres sont finalement très bon marché, je ne sais pas combien il y a de trucs au milieu qui formerait un coût sunatenciel pour ses missions bidon
En revanche si je peux donner mon humble avis aussi, le bio, quand on voit ce qui est en train d’arriver aux populations d’insectes chez nous (moins 80 pourcent en quelques années quand même), je ne suis pas sûr que ce soit le premier truc a éliminer
Qu’est-ce qui prouve que le bio est meilleur pour l’environnement? Rien.
Et c’est bien le problème général, et pas que dans le domaine de l’environnement, c’est que plein d’idées, et plein de décisions politiques, sont prises avec strictement aucune justification par rapport à la finalité, voire sont néfastes. Des décisions, et des missions, dépenses,… prises avec des motifs purement idéologiques, et jamais remis en question.
Tiens, par exemple, l’abattement de 10% pour frais professionnels applicable aux retraités.
L’abattement de 10% sur les pensions de retraites n’a rien à voir, sinon son pourcentage, avec les frais professionnels. C’est initialement un mécanisme compensatoire qu’il faut replacer dans le contexte fiscal de son apparition. Qu’il soit encore justifié aujourd’hui ou non est un sujet légitime, mais ça n’empêche qu’on peut l’envisager avec rigueur et honnêteté.
Les effets délétères des pesticides sont, je crois, désormais, de mieux en mieux connus et documentés sur l’environnement et la santé.
Par ailleurs l’abattement de 10 % concernant les pensions n’aurait rien à voir avec les frais professionnels sauf si l’on considère que les frais médicaux liés à l’âge peuvent être inclus dans la catégorie « frais professionnels », ainsi que la baisse de revenu induite par l’abandon de l’activité professionnelle. Plus personne ne l’ignore plus d’ailleurs depuis la polémique lancée par A. de Montchalin.
Pour avoir traité un dossier de rénovation thermique d’une copropriété avec l’Ademe, j’ai trouvé les collaborateurs de l’agence compétents, efficaces et diligents. L’Ademe remplit ses missions d’information, alloue des subventions sur des actions en faveur de l’environnement sans se limiter à l’agriculture bio.
Les critiques sur le « bio » me semblent relever plus de l’ambiance actuelle de retour à l’agro business chimique qu’à une perception objective et argumentée des missions de l’agence.
Le lien entre « application d’insecticide conçue pour exterminer les insectes par ses producteurs, et vendu tel quel en vantant son effet exterminateur sur les insectes » et « réduction des populations d’insectes », était, pour moi personnellement, suffisamment clair pour que j éclate de rire la première fois que j’ai entendu un représentant d une grande entreprise d extermination d insecte déclarer à la radio que son produit n avait aucun rapport connu avec l extermination des insectes. C’était bien il y a 15 ans.
Force est de constater que tout le monde n’est pas automatiquement aussi convaincu que moi par le lien logique, a priori disons, entre application massive d’un produit insecticide sur 80% d’un territoire et réduction des populations d’insectes. Et dans tous les cas, le scepticisme est une vertue. C’est donc très bien que depuis il y a eut pléthore d’études. Bon, je fais pas semblant d’être surpris: elles tendent quand même a plutôt confirmer l’intuition de base ….
Par exemple, deux revues recentes
https://besjournals.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1365-2664.2005.01005.x
http://www.scielo.org.co/scielo.php?pid=S0120-04882014000200001&script=sci_arttext
@Nick: je ne savais pas pour le motif. Reste que la critique de fond reste: quelle justification ?
@Brucolaque: on va juste rappeler que le bio utilise aussi des pesticides. En quoi un pesticide bio est moins nocif pour l’environnement? Comme me le disait un ancien collègue, « l’amiante et le papillomavirus sont naturels (et donc bio) »
La rénovation énergétique? Je n’ai pas beaucoup de doute que les conseillers de l’ADEME soit bons. Mais dans une optique de lutte contre le réchauffement climatique, est-ce que la rénovation énergétique est la solution la plus optimale pour ça? Dans une optique de protection de l’environnement et de réduction des particules fines, la promotion du chauffage au bois est-elle la meilleure solution?
@avs: c’est quoi ça ?https://www.grab.fr/wp-content/uploads/2020/02/5-Liste-phyto-bio-maraichage-2018.pdf
par exemple « Toxicité assez forte pour les auxiliaires et les pollinisateurs » ou « Peu de références en termes d’efficacité. » ou « Risque de phytotoxicité selon dose et conditions climatiques »
Il faudra arrêter de croire que les agriculteurs utilisent des pesticides pour le plaisir. A moins que le retour des famines suite aux invasions de ravageurs ne soit plus un problème?
Nono, dites nous d’où vous parlez enfin, on comprendra mieux. Car enfin la chute des populations d’insectes ou de passereaux dans les zones d’agriculture intensive a bien une cause ou plusieurs causes.
Pour les oiseaux on pourrait évoquer les chats par exemple. Car le chat est une redoutable prédateur, mais nous avons eu des chats avant l’usage industriel des pesticides.
Pour les insectes c’est plus compliqué, qu’est ce qui peut bien les décimer autant à votre avis ?
Quant aux rendements agricoles que de questionnement car malgré l’utilisation d’intrants les rendements n’augmentent plus et régressent même.
La terre serait-elle alors autre chose qu’un support de culture et aurait une vie propre ?
Saperlipopette ça va devenir compliqué d’être agriculteur.
Il y a eu une tendance très problématique ces dernières années à faire du mécano institutionnel. Dans les années 90 ça jurait par les champions industriels nationaux. Maintenant on fait des champions administratifs en mélangeant des missions qui n’ont rien à voir entre elle. Le monde de l’entreprise est plein d’entreprises qui ont échoué à avoir des synergies et ont dû se scinder à nouveau pour être efficaces.
A part se gargariser sur l’agence de la biodiversité (OFB), quel intérêt de regrouper les gardes chasses de l’ONF et les contrôleurs de l’eau?
Est il opportun qu’une même agence (ADEME) fasse de l’expertise (très mal) de la vulgarisation et des subventions? De mélanger les subventions aux particuliers entreprises et élus locaux? Élus locaux qui défendent l’agence comme un seul homme parce qu’elle subventionne ? C’est presque le même mélange des genres de la Sacem : un député a l’impression qu’il doit défendre le machin pour recevoir des subventions dans sa circo
On est le 14 mai, deux semaines après l’annonce de sa ministre du supprimer un tiers des agences, et votre billet trouvé une première confirmation : François Bayrou vient d’ annoncer la création d’une autorité indépendante sur les violences contre les enfants.