Le pape François vient de mourir. Cet évènement ouvre une séquence qui fascine tous ceux qui se passionnent pour les rites du pouvoir et de sa transmission : le conclave.
En dehors de toute considération spirituelle, il faut reconnaitre que le Vatican est un lieu de pouvoir hors norme, celui où son exercice, mais aussi et surtout sa transmission, sont les plus raffinés, tant dans les procédures que sur la forme.
Le corps électoral est désigné de manière absolument pas démocratique, et la création de cardinaux relève d’un pouvoir discrétionnaire du pape. François en a largement joué, avec de nombreux nominations surprenantes, tant dans les choix que les « non choix ». Beaucoup d’italiens (et plus globalement d’européens) et de fonctionnaires de la Curie attendent encore d’être promus. Pour autant, avoir façonné le corps électoral n’est pas une garantie, pour le pape « sortant », que son successeur sera conforme à ses voeux. François a pris largement le contrepied de Benoit XVI, son prédécesseur direct.
Sur la forme, le spectacle est incomparable, dans des lieux somptueux, des rituels hors du temps, comme cette litanie des saints récitée par les cardinaux, aux vertus hypnotiques, ou encore le rituel de présentation du nouveau pape, au balcon de la basilique Saint-Pierre. La mise en scène est rodée par des siècles de pratique, c’est un véritable savoir-faire de l’église catholique, assez inégalé dans le monde. Seuls les soviétiques faisaient aussi bien, depuis, on a surtout de mauvais spectacles d’opérette kitch, donnés par des dictateurs désargentés, donc ridicules.
Pour les mécanismes électoraux, tout est codifié, avec des siècles de pratiques, d’expériences, de précédents, avec des règles très strictes autour du secret des délibérations. Les interférences avec l’extérieur sont inexistantes, et je mets au défi les dictateurs manipulateurs de tenter quelques chose. Aucune chance d’arriver à manipuler ce scrutin. Les médias resteront à la porte, à commenter dans le vide, en attendant la fumée blanche. Aucune caméra embarquée, aucune taupe laissant son portable ouvert pendant les séances. C’est merveilleusement hors du temps. La discipline interne et la cohésion sont exceptionnels. Il arrive que le déroulement des conclaves filtrent, mais cela n’a rien à voir avec ce que nous connaissons dans nos démocraties occidentales, où il n’y a plus aucun secret. Une fois l’élu désigné, sa légitimité n’est pas publiquement contestée. Même s’il existe des réticences, voire des résistances à certaines décisions, le pape a les moyens de gouverner.
Officiellement, il n’y a pas de campagne électorale, de candidats déclarés, mais dans un organe aussi collectif et collégial que la haute hiérarchie catholique, elle est permanente, car jusqu’ici, tous ceux qui comptent (et ont une chance d’être élus) se connaissent à peu près. Les conférences préparatoires permettent une forme d’expression de programme, voire de candidature, mais dans un délai tellement court, qu’il n’y a pas le temps pour nouer des alliances formelles. C’est même risqué de se lancer trop ouvertement, et un vieux proverbe du Vatican dit que « celui qui y entre en pape, en ressort cardinal ».
Le pape François a encore plus brouillé les pistes, en nommant de nombreux cardinaux issus d’églises locales, et en boudant la Curie dans la distribution des chapeaux rouges. Le résultat est que les 135 cardinaux électeurs se connaissent finalement assez mal, même s’il y a des sous-groupes et des connexions variées. Un nombre important de cardinaux ont été nommés les trois dernières années, et n’ont pas beaucoup eu l’occasion de passer du temps à Rome, pour se familiariser avec « l’appareil » et s’y faire connaitre. Leur vote peut donc être imprévisible.
Ce qui est également assez fascinant est cette obligation d’arriver à un quasi consensus, avec un vote aux deux tiers, obtenus dans une réunion fermée, où tout se fait en moins d’une semaine. Avec quatre scrutins par jour, le temps pour les tractations est assez limité. Et à chaque fois, un nom sort assez vite, et s’il y a blocage, il y a une capacité à trouver des solutions de rechange. A ce niveau de pouvoir, quasiment tous les électeurs ont la carrure pour le poste (du moins, pour ceux qui sont suffisamment jeunes et en bonne forme physique).
Pour tous les spécialistes des institutions et des jeux de pouvoir, le fantasme ultime est de suivre un conclave de l’intérieur, en mode « petite souris ». Un rêve impossible !
2 réponses sur « La fascination du conclave »
[…] La fascination du conclave […]
Excellent billet.
À noter que de nos jours, même un cardinal âgé et en mauvaise santé peut faire 10 ans de règne, donc pour tous les cardinaux de plus de 70 ans, c’est probablement leur dernière chance.