Le journaliste Jean-François Achilli vient d’être licencié pour faute grave par son employeur, Radio France. Le journaliste avait été suspendu en mars, après la révélation qu’il aurait aidé Jordan Bardella à écrire un livre politique. Un mélange des genres qui semble structurel chez ce journaliste, selon Libé.
Cette affaire est emblématique du flou déontologique dévastateur que l’on rencontre dans le haut du panier de la presse parisienne, dans ses relations avec le pouvoir, la communication et l’argent.
Nous avons donc un « journaliste vedette », c’est-à-dire connu du public, et en principe reconnu pour ses compétences professionnelles, mais aussi accessoirement pour son entregent, ainsi que son réseau professionnel et extra-professionnel. Bref, un homme « de pouvoir » qui est à la croisée de beaucoup de chemins. Il y en a un certain nombre comme lui, qui se sont fait une place au soleil, et jouent ensuite sur plusieurs tableaux, avec de beaux numéros d’équilibristes.
Ce qui lui est reproché est d’avoir mis sa réputation professionnelle, et donc sa crédibilité de journaliste, au service d’intérêts politiques et/ou économiques, et de personnes qu’il fréquente par ailleurs, à titre professionnel, et dont il est censé rester indépendant. Le bénéfice qu’il en tire peut-être financier (il a monté une société pour facturer ses prestations) mais aussi égotique (le sentiment d’être un puissant de ce monde). Pour leur défense, certains expliquent que leur métier de journaliste implique une distance, mais aussi une forme de proximité avec leurs sources et les sujets qu’ils doivent couvrir. Mais dans ce cas, mieux vaut s’abstenir d’en tirer un bénéfice personnel, et rester dans une « rémunération » à usage purement professionnel. Dans le flou déontologique, il y a un coté obscur où il est très facile de glisser.
Concernant Achilli, le dérapage est documenté et semble assez ancien. Un souvenir m’a personnellement marqué, celui de son « interview » avec Jérôme Cahuzac, en 2013, où l’ancien ministre s’exprimait pour la première fois, après avoir démissionné. La séquence sentait l’opération de communication à des kilomètres à la ronde, et j’avais été scandalisé qu’un journaliste professionnel de l’envergure de Jean-François Achilli s’y compromette. Depuis cette date, il était déontologiquement « carbonisé » à mes yeux. L’accident de carrière dont il est aujourd’hui victime ne me surprend donc pas. Ce qui est en revanche plus surprenant, et révélateur, est que cela n’arrive que maintenant. Selon Libération, ce journaliste étant coutumier des ménages et du mélange des genres, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué de mettre en lumière sa dérive déontologique.
Outre le fait d’avoir conseillé le chef d’un parti politique, sur l’écriture d’un livre autobiographique, d’autres faits lui sont reprochés. Il aurait ainsi travaillé, pendant une dizaine d’années, comme média-trainer, pour un cabinet de lobbying. Une prestation de coach, sur le papier purement technique, mais qui se révèle problématique. Cela créé une proximité particulière avec les personnalités politiques/économiques qu’il entraine, et donc, un rapport différent avec eux, sur un « vrai » plateau, si jamais il est amené à les interviewer. Il fait également le jeu du cabinet de lobbying, qui sait pouvoir vendre plus cher cette prestation, car faite par un « vrai » journaliste vedette » avec lequel il est possible de sympathiser, et d’obtenir, éventuellement (si affinités) autre chose qu’un simple entrainement à l’interview radio ou télévisée. Signe d’une certaine déconnexion avec l’éthique, il lui est arrivé de recevoir, en tournée promo sur son plateau, sa compagne, venue parler de son dernier livre, sans évoquer leur lien. On peut aussi se poser la question sur les choix d’inviter telle ou telle personne, sur les plateaux d’émissions qu’il anime. Le soupçon est terrible, car crédible.
Tout le problème est dans ces non-dits, dans les liens amicaux qui peuvent se créer, dans les éventuels renvois d’ascenseurs, non seulement entre le journaliste et ses « clients » (politiques et chefs d’entreprise), mais aussi avec les communicants et lobbyistes. Rien de mieux pour miner la confiance des citoyens dans les médias !
Le traitement de l’affaire laisse toutefois un arrière-goût désagréable. Jean-François Achilli est tombé, car il a engagé des discussions avancées (qui ne se sont finalement pas concrétisées) avec Jordan Bardella, le patron du RN. La réaction aurait-elle été la même, s’il s’était agi d’un autre politique, plus dans « l’axe républicain » ? La pratique de l’aide à l’écriture pour les livres politiques est généralisée (comment un ministre peut avoir le temps d’écrire un bouquin ?) et bien des journalistes se sont plus ou moins impliqués dans cette activité de ghostwriter, sans qu’il ne leur arrive jamais rien. Cela pourrait donner l’impression qu’Achilli était sous surveillance, mais a finalement été sanctionné pour avoir dépassé une ligne rouge plus « politique » que déontologique.
Reste à voir s’il arrivera à rebondir. Après tout, d’autres avant lui ont réussi à passer sans trop d’encombre un passage délicat, causé par une faute déontologique. Ce serait sans doute cela le plus désastreux. Après, on peut faire autant d’Etats Généraux de l’Information qu’on veut pour rebâtir la confiance, cela ne servira à rien si la profession elle-même refuse de s’auto-réguler.