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Ménages, collusions et ambiguités d’Achilli

Le journaliste Jean-François Achilli vient d’être licencié pour faute grave par son employeur, Radio France. Le journaliste avait été suspendu en mars, après la révélation qu’il aurait aidé Jordan Bardella à écrire un livre politique. Un mélange des genres qui semble structurel chez ce journaliste, selon Libé.

Cette affaire est emblématique du flou déontologique dévastateur que l’on rencontre dans le haut du panier de la presse parisienne, dans ses relations avec le pouvoir, la communication et l’argent.

Nous avons donc un « journaliste vedette », c’est-à-dire connu du public, et en principe reconnu pour ses compétences professionnelles, mais aussi accessoirement pour son entregent, ainsi que son réseau professionnel et extra-professionnel. Bref, un homme « de pouvoir » qui est à la croisée de beaucoup de chemins. Il y en a un certain nombre comme lui, qui se sont fait une place au soleil, et jouent ensuite sur plusieurs tableaux, avec de beaux numéros d’équilibristes.

Ce qui lui est reproché est d’avoir mis sa réputation professionnelle, et donc sa crédibilité de journaliste, au service d’intérêts politiques et/ou économiques, et de personnes qu’il fréquente par ailleurs, à titre professionnel, et dont il est censé rester indépendant. Le bénéfice qu’il en tire peut-être financier (il a monté une société pour facturer ses prestations) mais aussi égotique (le sentiment d’être un puissant de ce monde). Pour leur défense, certains expliquent que leur métier de journaliste implique une distance, mais aussi une forme de proximité avec leurs sources et les sujets qu’ils doivent couvrir. Mais dans ce cas, mieux vaut s’abstenir d’en tirer un bénéfice personnel, et rester dans une « rémunération » à usage purement professionnel. Dans le flou déontologique, il y a un coté obscur où il est très facile de glisser.

Concernant Achilli, le dérapage est documenté et semble assez ancien. Un souvenir m’a personnellement marqué, celui de son « interview » avec Jérôme Cahuzac, en 2013, où l’ancien ministre s’exprimait pour la première fois, après avoir démissionné. La séquence sentait l’opération de communication à des kilomètres à la ronde, et j’avais été scandalisé qu’un journaliste professionnel de l’envergure de Jean-François Achilli s’y compromette. Depuis cette date, il était déontologiquement « carbonisé » à mes yeux. L’accident de carrière dont il est aujourd’hui victime ne me surprend donc pas. Ce qui est en revanche plus surprenant, et révélateur, est que cela n’arrive que maintenant. Selon Libération, ce journaliste étant coutumier des ménages et du mélange des genres, ce ne sont pas les occasions qui ont manqué de mettre en lumière sa dérive déontologique.

Outre le fait d’avoir conseillé le chef d’un parti politique, sur l’écriture d’un livre autobiographique, d’autres faits lui sont reprochés. Il aurait ainsi travaillé, pendant une dizaine d’années, comme média-trainer, pour un cabinet de lobbying. Une prestation de coach, sur le papier purement technique, mais qui se révèle problématique. Cela créé une proximité particulière avec les personnalités politiques/économiques qu’il entraine, et donc, un rapport différent avec eux, sur un « vrai » plateau, si jamais il est amené à les interviewer. Il fait également le jeu du cabinet de lobbying, qui sait pouvoir vendre plus cher cette prestation, car faite par un « vrai » journaliste vedette » avec lequel il est possible de sympathiser, et d’obtenir, éventuellement (si affinités) autre chose qu’un simple entrainement à l’interview radio ou télévisée. Signe d’une certaine déconnexion avec l’éthique, il lui est arrivé de recevoir, en tournée promo sur son plateau, sa compagne, venue parler de son dernier livre, sans évoquer leur lien. On peut aussi se poser la question sur les choix d’inviter telle ou telle personne, sur les plateaux d’émissions qu’il anime. Le soupçon est terrible, car crédible.

Tout le problème est dans ces non-dits, dans les liens amicaux qui peuvent se créer, dans les éventuels renvois d’ascenseurs, non seulement entre le journaliste et ses « clients » (politiques et chefs d’entreprise), mais aussi avec les communicants et lobbyistes. Rien de mieux pour miner la confiance des citoyens dans les médias !

Le traitement de l’affaire laisse toutefois un arrière-goût désagréable. Jean-François Achilli est tombé, car il a engagé des discussions avancées (qui ne se sont finalement pas concrétisées) avec Jordan Bardella, le patron du RN. La réaction aurait-elle été la même, s’il s’était agi d’un autre politique, plus dans « l’axe républicain » ? La pratique de l’aide à l’écriture pour les livres politiques est généralisée (comment un ministre peut avoir le temps d’écrire un bouquin ?) et bien des journalistes se sont plus ou moins impliqués dans cette activité de ghostwriter, sans qu’il ne leur arrive jamais rien. Cela pourrait donner l’impression qu’Achilli était sous surveillance, mais a finalement été sanctionné pour avoir dépassé une ligne rouge plus « politique » que déontologique.

Reste à voir s’il arrivera à rebondir. Après tout, d’autres avant lui ont réussi à passer sans trop d’encombre un passage délicat, causé par une faute déontologique. Ce serait sans doute cela le plus désastreux. Après, on peut faire autant d’Etats Généraux de l’Information qu’on veut pour rebâtir la confiance, cela ne servira à rien si la profession elle-même refuse de s’auto-réguler.

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Communication et bouts de ficelles

Le Premier ministre vient d’égrener la liste des mesures qu’il entend mettre en œuvre pour lutter contre la violence des mineurs. Si le problème est réel, il n’a rien de nouveau, et surtout, les réponses sont loin d’être à la hauteur. Elles sont symptomatiques de la manière (déplorable) dont sont abordés les questions de fond par le gouvernement. Il répond plus à la manière dont les médias posent le problème, qu’à la réalité du terrain, et privilégient les réponses « qui claquent » mais ne coûtent pas d’argent public. La faisabilité technique ne compte pas, seul importe l’impact des annonces sur l’opinion.

Face à la violence des enfants, le premier axe est de « responsabiliser » les parents par la sanction. Politiquement, c’est assez déplorable de cibler des personnes dont on ne connait pas la situation réelle, qui ont parfois besoin d’aide, pas de stigmatisation et encore moins de se faire coller un boulet supplémentaire aux pieds. Parmi ces parents d’enfants délinquants, combien de mères seules, qui travaillent à temps partiel, pour moins que le SMIC ? En revanche, sur les enfants de bourgeois, qui grandissent seuls avec un paquet d’argent, ces sanctions pourraient être pertinentes, mais seront-elles appliquées à cette catégorie de la population ? Une sanction n’est sérieusement envisageable que pour un public, les parents qui ont les moyens de bien jouer leur rôle, et qui ne l’ont pas fait. Mais cela implique de renforcer les services sociaux dédiés à l’enfance, qui en ont plus que besoin. Je n’ai rien entendu de tel dans le discours du Premier ministre, alors qu’il aurait fallu commencer par cela.

La seule esquisse de solution « positive » est d’envoyer un enfant qui commence à mal tourner dans un internat, pour le couper d’un environnement toxique. Reste à savoir qui décide de la mise en oeuvre de cette solution, sur la base de quels éléments. Et surtout, qui paie ? L’idée avait déjà été évoquée il y a quelques mois, et on constate qu’on n’a pas avancé d’un iota.

Deuxième piste, la sanction des élèves eux-mêmes. En cas de comportements perturbateurs, on leur met une remarque infamante dans leur dossier, qui leur ferme des portes pour la suite de leurs études (pour ceux qui souhaitent poursuivre des études). On ajoute ainsi un handicap à des élèves qui n’en manquent pas. Ils pourront y échapper s’ils font des « travaux d’intérêt général » dans leur établissement. On relooke la bonne vieille « heure de colle » où tu balayes la cour. Sur le papier, ça fait bien, dans la réalité, on rajoute une charge aux chefs d’établissements, de plus en plus transformés en policiers et juges d’exécution des peines. Sans moyen supplémentaires, pour une tâche que tous n’auront pas la capacité ou l’autorité de mettre en place dans leur établissement. Ce qui peut fonctionner (et encore) dans un établissement bourgeois de centre-ville, n’est peut-être pas efficient en banlieue difficile. Tout ce qu’on propose aux directeurs, c’est une hotline « SOS Laïcité » en cas de problème lié à la religion et quelques accompagnements pour la sécurité des établissements. Mais 350 écoles accompagnées, c’est une goutte d’eau.

Le pompon, c’est quand même l’obligation de consigner les élèves dans l’établissement, qu’ils aient cours ou pas, entre 8h et 18h. On en fait quoi quand ils n’ont pas cours, qui s’en occupe, pour leur faire faire quoi ? C’est une réforme un peu brutale du périscolaire, qui va déstabiliser ce qui existe, et est souvent géré par les collectivités locales, et se retrouve brusquement transféré aux établissements scolaires. Enfin, j’attends de voir ce que vont donner ces fameuses « mesures d’intérêt éducative », qui ne sont rien d’autres que des travaux d’intérêt général pour mineur. Les éventuels contentieux, contre ce qui est sans conteste une sanction, seront intéressants suivre et à analyser !

Troisième piste de solution, la régulation de l’accès aux écrans. On se demande un peu ce que cela vient faire là. C’est un refrain connu, qui n’a pas connu le moindre commencement de mise en œuvre, à part refiler le bébé à une commission de spécialistes et de scientifiques, en espérant qu’ils auront la formule miracle. Sur l’aspect législatif, on évoque l’application d’une loi votée, sur la majorité numérique. Sauf qu’elle est très probablement en contradiction avec le droit européen. C’est d’ailleurs parce que Bruxelles, qui gère largement la régulation du numérique, a haussé le ton qu’on n’entend plus parler de ce texte, jusqu’à ce que les nécessités de la communication politique amènent à le sortir du congélateur.

Bien entendu, pas de bonne réforme sans un renforcement de la « réponse pénale » c’est-à-dire un alourdissement de la répression (comparution immédiatement dès 16 ans, rabotage de l’excuse de minorité, composition pénale dès 13 ans). On note toutefois la prudence dans l’expression sur ce volet, et l’ouverture d’une petite concertation. Là encore, c’est mieux d’être prudent, car le gouvernement s’avance sur un terrain constitutionnellement risqué. Le seul point qui pourrait avoir un (petit) effet est d’amener les adolescents assister, dans le public, à une audience de comparution immédiate. Si cela ne les dissuade pas de commettre des délits, au moins, cela leur fera une formation, et ils ne seront pas complètement dépaysés quand leur tour viendra d’entrer dans le box.

Tout cela ne changera pas grand chose, car le problème de la violence et de délitement de la société est profond et structurel. Malheureusement, je ne vois pas de prise en charge politique des raisons de fond, juste la pose de quelques emplâtres. Comme si traiter un symptôme avec un placebo permettait de guérir d’un cancer.

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L’inquiétante fragilité du dispositif Attal

A peine trois mois après son entrée en fonction, le dispositif politique autour de Gabriel Attal apparait bien fragile. Il y a eu des erreurs de casting, dans la garde politique rapprochée, ainsi que de grosses difficultés à trouver des conseillers (notamment pour le pôle parlementaire du cabinet, postes pourtant prestigieux). Les premiers craquements se font déjà entendre, ce qui n’augure rien de bon.

La semaine dernière, les trois principaux conseillers de la porte-parole du gouvernement (son directeur de cabinet, la directrice de cabinet adjointe et la cheffe de cabinet) ont démissionné. Cela fait suite à un gros couac, où en sortie de conseil des ministres, la porte-parole a évoqué un attentat déjoué, avant de se rétracter un peu après.

Même si l’entourage restant cherche à minimiser l’évènement, c’est le signe d’une grave crise interne, avec un problème clairement identifié : c’est juste la ministre qui n’est pas à la hauteur, et qu’il faudrait changer. Mais comme ce n’est pas politiquement possible, ce sont les conseillers qui partent. Qu’un conseiller ministériel parte au bout de trois à quatre ans, c’est normal, car il y a une usure, vu le rythme de travail assez dingue. Mais les trois têtes du cabinet qui claquent la porte au bout de trois mois, c’est du jamais-vu (et pourtant, la Macronie nous en a fait voir).

L’ennui, c’est que le poste de porte-parole est hautement stratégique. Il l’est encore plus quand, faute d’argent et de majorité au Parlement, le gouvernement en est réduit à ne faire que de la communication.

D’autres postes aussi stratégiques dans l’entourage proche du Premier ministre, donnent également des signes de faiblesse. La nouvelle ministre des relations avec le Parlement a mal commencé, avec une opération de comm’ complètement lunaire, le jour sa nomination, suivie la semaine suivante d’une bourde dans l’exercice de ce qui est le coeur de son activité : la construction du calendrier parlementaire. A la suite du discours de politique générale de Gabriel Attal, l’opposition dépose une motion de censure, afin d’avoir un scrutin, puisque n’ayant pas de majorité, le nouveau premier ministre s’est bien gardé de demander un vote de confiance. La conférence des présidents se réunit (en présence de la nouvelle ministre des relations avec le Parlement) et fixe la discussion au lundi 5 février, à 21h30. Mais voilà que quelques heures plus tard, changement de programme, la discussion aura finalement lieu à 10h du matin (ce qui n’arrange personne). En effet, le soir, Gabriel Attal effectue son premier déplacement diplomatique, à Berlin, et n’est donc pas disponible. Cela fait un peu ballot de s’en apercevoir après la réunion de la conférence des présidents…

La troisième ministre déléguée auprès du Premier ministre, Aurore Bergé, pourrait devenir elle aussi source de problèmes. D’abord nommée ministre de plein exercice aux Affaires sociales en juillet 2023, elle est rétrogradée six mois plus tard, au poste de ministre déléguée, chargée de l’égalité hommes-femmes et de la lutte contre les discriminations. Or, voilà que la presse annonce qu’elle aurait bloqué la nomination d’une fonctionnaire, parce qu’elle aurait milité, il y a 10 ans, aux côtés de Benoit Hamon. Quand on est en charge de lutter contre les discrimination, ça fait tache. Le Canard enchainé vient aussi de publier article sanglant, où il relate un turn-over inquiétant chez les conseillers d’Aurore Bergé, avec des cas de maltraitance et d’humiliation, montrant un grave déficit de bienveillance dans le management. Là encore, quand on est ministre qui est censé s’occuper de la lutte contre le harcèlement, ça relève de la dissonance cognitive. En politique, ce genre de grand écart se finit mal.

Tout cela ne serait pas si grave, si le Premier ministre était un vieux routier de la politique, doté de réseaux profonds, tant dans l’appareil d’Etat que dans les milieux économiques. Agé de 35 ans, Gabriel Attal est entré, à l’issue de ses études, comme stagiaire au cabinet de la ministre de la Santé, où il gravit les échelons, avant d’être élu député et d’enchainer les postes ministériels, sans y rester suffisamment longtemps pour s’y tisser des réseaux ou s’imprégner des dossiers. Un Premier ministre inexpérimenté, sans réseaux, entouré de ministres déléguées fragiles, et guère plus expérimentées, il y a de quoi s’inquiéter.

Et voilà que, au fil du début de campagne pour les élections européennes, la liste de la majorité présidentielle s’effrite, alors que celle du PS semble avoir trouvé une dynamique. Dans le dernier sondage, où le RN est largement en tête (30%), les courbes commencent à se rapprocher entre Valérie Hayer (16%) et Raphaël Glucksmann (14%). Faute d’avoir trouvé une tête de liste charismatique, c’est au Premier ministre qu’il reviendra de porter politiquement la campagne de la liste Hayer, et qu’il sera donc politiquement responsable du résultat…

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A la recherche de la bonne conscience climatique

Faut-il continuer à faire du tourisme lointain, alors même que le réchauffement climatique s’accélère ? Le tourisme est une activité récente (moins d’une centaine d’années, et seulement une cinquantaine pour sa massification) de pur loisir. C’est loin d’être une activité essentielle (sauf pour les régions qui en ont fait une mono industrie). Elle nécessite de prendre des transports (notamment l’avion) et par sa massification, dans certains endroits, peut avoir des effets sur les sociétés ou les espaces naturels locaux.

Bali en est un exemple caricatural. Le déplacement ne peut guère se faire qu’en avion (vu que c’est une île) avec de très longues heures de vol depuis l’Europe ou les États-Unis. Les paysages sont absolument magnifiques, et on pourrait les croire faits spécialement pour y faire des selfies instagrammables. En revanche, c’est aussi une usine à touriste assez sordide, qui exploite une population locale qui vit dans la misère. Le choc entre les deux faces de la médaille peut être assez violent et déstabilisant.

Il est clair, à mes yeux, que les efforts de lutte contre le réchauffement climatique doivent passer par un recul, voire une renonciation à ce genre d’activité (pareil pour le ski). Le tourisme « écolo » que nous vantent certains magazines n’est qu’un alibi pour donner bonne conscience, et continuer à pousser à la consommation. Car derrière, il y a des enjeux économiques, une industrie prospère, donc des gens qui ont intérêt à ce qu’on continue à dépenser de l’argent dans des voyages et séjours exotiques. Le réchauffement climatique n’est pas nécessairement une mauvaise affaire pour cette industrie, car elle permet de facturer davantage (la bonne conscience a un coût) et modifiant un peu les produits, pour en gommer les aspects scandaleux les plus visibles. Mais il faut, coûte que coûte, continuer à consommer et à croitre.

J’ai un peu de mal à concilier cela avec les messages d’urgence qui nous sont envoyés en permanence, avec des articles qui nous répètent tous les deux jours qu’on a encore battu un record de chaleur. On vit une sorte de schizophrénie, entre cette panique climatique d’un coté, et cet encouragement à ne rien changer, ou seulement à la marge, pour ne pas se priver. Je vois mal comment on va arriver à tenir cette équation dans les années à venir. Ou alors, on sera bien obligé de changer quand un certains nombres de destinations ne seront plus fréquentables, pour cause d’insécurité, de guerre, de sécheresse. Mais ce ne sera pas un choix de notre part, et les flux ne feront que se déporter vers d’autres destinations, plus proches et plus en sécurité.

Il serait peut-être temps que ceux qui entretiennent la panique climatique se lancent aussi dans les propositions de pistes pour une action qui soit à la hauteur des efforts qu’ils estiment nécessaires. Cela passe notamment par proposer une vision renouvelée de ce qui est « désirable » et de ce à quoi il faut « renoncer ». Bref, qu’ils assument leur position décroissante, car j’ai parfois l’impression que ce sont les mêmes qui nous mettent la pression sur « l’inaction climatique » tout en allant passer une semaine à Bali ou aux Maldives. Mais comme ils trient leurs déchets, ça passe. En fait, non, ça ne passera pas…

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Le système médiatique fonctionne mal

Je souhaite apporter ici quelques réflexions sur un sujet qui fait l’objet de beaucoup de discussions, commentaires. C’est une pensée en construction, sur l’insatisfaction profonde que je ressens sur les déficits et défauts profond de notre système médiatique à fournir une information de qualité.

Comme beaucoup, je suis souvent très frustré quand je lis des choses sur un sujet que je connais bien (et donc bien mieux que le journaliste qui a écrit dessus). L’idée n’est pas d’incriminer le journaliste, qui fait souvent ce qu’il peut, avec les moyens qu’on lui donne, pour remplir une mission qui est survendue par le médias qui l’emploie.

L’impression qui ressort est d’abord une méconnaissance technique (pour ne pas dire pire), avec des erreurs d’analyse, voire factuelle. On sent que le journaliste ne maitrise pas toujours le domaine. C’est tout le problème quand on a des journalistes « généralistes » dans des services au champ immense (par exemple la rubrique « société ») souvent jeunes, donc sans le savoir que donne l’ancienneté et l’expérience. Même quand on a un rubircard, c’est parfois pas terrible, car entre la précision technique et la « lisibilité » pour le public, on est obligé d’arbitrer. En général, l’arbitrage se fait en faveur de la lisibilité, d’où des raccourcis ou des imprécisions qui peuvent irriter les connaisseurs.

Un autre point irritant, c’est le panurgisme, où tous les médias parlent du même sujet, en même temps, pour dire souvent à peu près la même chose (pour mieux l’oublier ensuite). Cela tient au fonctionnement de la profession, qui trop souvent, s’emprisonne dans l’exigence de « l’actualité ». Un sujet de fond, parfois présent depuis longtemps, n’arrive à percer qu’à l’occasion d’un « évènement » lui donnant une visibilité. C’est par exemple un phénomène de société, largement sous le radar, qui d’un seul coup prend la lumière à l’occasion d’un fait divers sordide, ou d’une proposition de loi débattue à l’Assemblée. Pour ceux qui connaissent bien le sujet et le secteur, c’est toujours agaçant de voir que le grand public s’intéresse enfin à eux, mais pas pour les bonnes raisons, pas toujours sous leur meilleur jour, et au moment le plus pertinent.

Tout cela amène à une information de mauvaise qualité, où les sujets sont traités de manière superficielle, selon un angle précis et souvent unique, pas forcément le plus pertinent. J’ai clairement l’impression que seuls les journalistes de la presse écrite travaillent réellement, radios et télévisions ne sont là que pour mettre en scène ce que la presse écrite a déjà raconté. Je n’ai quasiment jamais rien appris dans ce que les télévisions appellent des « enquêtes ». Malheureusement, j’ai aussi souvent l’impression que parmi les journalistes de presse écrite, il y en malheureusement qu’un ou deux qui travaillent réellement sur un sujet (ceux qui sont les premiers à publier) et que trop souvent, leurs collègues ne font que reprendre la même trame, avec quelques compléments. Ils ne refont que très rarement une reprise complètement, pour chercher d’autres angles. Ce n’est tout simplement pas économiquement rentable.

Tout cela rend l’information extrêmement poreuse à la communication et aux manipulations. Il suffit, pour une organisation (je parle globalement, entreprises comme ONG) de faire un travail auprès d’un journaliste, pour qu’il fasse une enquête qui traite le sujet selon le « bon point de vue ». Parfois, il y a juste besoin de sortir un rapport ou une étude un peu construite, qui sort au moment « opportun », c’est à dire quand il y a une « accroche d’actualité » pour orienter ce qui arrivera aux oreilles du grand public.

Le souci premier est le manque de moyens des médias, qui passent leur temps à courir après l’actualité, sans capacité à réellement anticiper, et à travailler sur des sujets de fond qui ne sont pas dans l’actualité, ou sans potentiel sensationnaliste. Ils emploient trop souvent des jeunes journalistes, sans bagage technique, pour traiter un champ très large de sujets, avec une pression à faire du chiffre.

Le deuxième souci est la culture professionnelle des journalistes. Le métier est une sorte de caste fermée, où l’élite ne peut que venir de certaines écoles de journalistes. On a donc des gens, parfois de grande qualité, qui n’ont jamais fait rien d’autre que journaliste, et n’ont donc pas le bagage technique et/ou le vécu suffisant pour comprendre et connaitre en profondeur les sujets qu’ils vont avoir à traiter. Certes, ce savoir peut s’acquérir, mais cela demande beaucoup de temps, de travail, et reste incomplet. Quand vous êtes dans un secteur précis, on vous parle différemment qu’à un journaliste, on vous dit des choses qu’on ne dirait pas, ou pas de la même manière à un journaliste, même de confiance.

La culture professionnelle des journalistes est également marquée par des mythes, notamment celui d’Albert Londres qui « met la plume dans la plaie ». Le journaliste d’investigation, qui dévoile les scandales et prend la pose du justicier est encore beaucoup trop valorisée. Or, beaucoup de lecteurs n’attendent pas ça, ou pas que ça. Ils souhaitent aussi qu’on leur donne des informations et les éléments d’analyse pour se faire leur propre jugement sur les enjeux. Malheureusement, ils lisent trop souvent ce que pense le journaliste (avec tous les préjugés parfois inconscients de ce milieu socialement très situé), plutôt que des faits traitées sous les angles, à charge et à décharge.

La solution unique n’existe pas, mais les pistes d’évolution pourraient être de financer davantage la fabrication de l’information, et aérer la profession, tant dans son recrutement que dans les représentations qu’elle se fait d’elle-même et de sa mission.

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Revisiter la démocratie représentative

« Pour en finir avec la démocratie participative » est un livre politique remarquable, comme on en voit peu souvent. Ecrit par deux consultants, Manon Loisel et Nicolas Rio, il est le résultat de leurs réflexions, liée à ce qu’ils ont pu voir dans leur pratique professionnelle. C’est dense, intéressant de bout en bout, sans le jargon et le raccrochage à des théories plus ou moins fumeuses, que l’on trouve trop souvent dans les livres écrits par les universitaires.

Ils entrent dans le sujet par le constat que la « démocratie participative » est une impasse, et ne fait qu’aggraver le problème démocratique, plutôt que le résoudre. Le « Grand débat » lancé à la suite du mouvement des Gilets jaunes n’a été, au final, qu’un gigantesque foutage de gueule. Ces mécanismes de consultation (desquels vivent tout un écosystème qui a tout intérêt à les promouvoir) ne font que rarement avancer les choses, car on ne pose pas les bonnes questions aux bonnes personnes. Les participants habituels à ces mascarades démocratiques sont ceux qui sont déjà les plus impliqués dans la vie publique, car ils en ont le temps et l’envie. Comme ils sont sociologiquement proches des élus, ils ne font que leur tendre un miroir, avec une forme de légitimation de ce qu’ils pensent déjà, avec éventuellement quelques inflexions marginales. Je partage depuis très longtemps leur constat sur l’inutilité des ces budgets participatifs, référendums et autres consultations en ligne, qui ne portent jamais sur les choses importantes, et servent bien souvent à amuser la galerie pour qu’elle n’aille surtout pas voir ce qui est réellement important. Anne Hidalgo nous fait des référendums sur les trottinettes et le tarif de stationnement des SUV, mais s’est bien gardée de nous demander si on est d’accord avec le fait que Paris soit ville candidate pour les JO.

Ce livre ne s’arrête pas à ce constat, qui même très bien documenté, n’est pas nouveau. Les deux auteurs explorent dans le deux tiers de l’ouvrage, ce qu’il faudrait faire pour faire revivre la promesse démocratique. Et c’est tout aussi intéressant et bien documenté.

La démocratie, c’est un régime politique où chaque citoyen est légitime à participer, notamment par les urnes. Malheureusement, la participation électorale est en berne, et est de plus en plus discréditée, ce qui est inquiétant. Au lieu d’aller écouter uniquement ceux qui parlent tout le temps, les mécanismes de démocratie participative pourrait être utilisés pour aller écouter ce qu’on n’entend ou ne voit jamais, car ils n’ont pas le temps, pas l’envie, ne se sentent pas légitime à prendre la parole. Quand on est mère célibataire, travaillant à temps partiel, on a autre chose à faire et à penser. Pourtant, ces personnes sont aussi des citoyens, qui auraient des choses à dire sur les politiques publiques (pas nécessairement celles que les élus ont envie d’entendre) si on voulait bien les écouter.

Les auteurs pointent aussi des erreurs d’analyse, qui amènent la démocratie participative dans l’impasse. La première est que ces mécanismes sont tous dans la mains des élus, qui fixent le cadre, la question, le déroulé, avec des « encadrants » professionnels. La demande vient toujours d’en haut, pas des citoyens et des collectifs de la société civile. Pas question qu’un mouvement social débouche sur une consultation, sur la base de la question ou du thème mis en avant par les contestataires. Et à la fin, après avoir fait de belles propositions, il ne faut surtout pas que les citoyens exercent un quelconque droit de suite. Le collectif ainsi créé est dissous, et on passe au suivant, sans continuité. Le cas de la convention citoyenne pour le Climat est éloquent. Après les avoir fait travailler, et promis de reprendre leurs propositions « sans filtre », les 150 citoyens ont été renvoyés chez eux, et priés ne surtout pas se mêler du filtrage sévère de leurs propositions par les administrations et les parlementaires.

Le deuxième écueil est de demander aux citoyens des choses qui ne sont pas de leur domaine. Les citoyens ne sont pas des experts, ils ne sont pas en capacité de formuler des propositions clés en main, comme le feraient des inspecteurs des finances ou des universitaires. En revanche, ils ont des idées et des revendications ainsi qu’un vécu, une expérience personnelle, qui peuvent être très utile pour tester la solidité et la pertinence de propositions techniques formulées par ceux dont c’est le métier. La participation citoyenne peut aussi être très utile pour l’évaluation des politiques publiques, et comprendre pourquoi un dispositif, pourtant conçu par les meilleurs cerveaux, n’a pas fonctionné. Encore faudrait-il qu’on ait une culture de l’évaluation en France !

Un autre problème majeur est la difficulté, voire le refus, pour nombre de décideurs, d’écouter réellement et de tenir compte des demandes citoyennes. Ce mode d’exercice du pouvoir où on a un minimum de comptes à rendre, semble convenir à pas mal d’élus. Le mal est profond car même les « élus de base » en souffrent. Que ce soit au sommet de l’État ou dans les collectivités locales, beaucoup de choses se décident dans le bureau du président ou du maire, dans des réunions où ne sont présents que ceux qui sont conviés, discrétionnairement, par le patron. Les instances officielles de décision, conseil municipal ou conseil des ministres (voir l’assemblée nationale), ne sont que des chambres d’enregistrement. D’où une grande frustration, qui peut se traduire par un désinvestissement, de ceux-là même qui sont chargés de faire vivre la démocratie représentative.

Les deux auteurs posent également la question, très pertinente, de la place de l’administration dans les décisions publiques. Le mythe politique, en France, est de croire que l’élu est un super-héros, doté de supers-pouvoirs, qui à lui seul, sauve le pays ou la collectivité. C’est bien entendu faux, et le décideur politique est pris dans un réseau de contraintes, qu’il ne maitrise pas, et qui limitent sa capacité d’action. Les fonctionnaires, à tous les niveaux, sont un élément majeur de la décision publique. Ils sont souvent les meilleurs connaisseurs techniques des enjeux, et sont aussi et surtout chargés de la mise en œuvre. Or, ils n’apparaissent que très peu dans les processus politiques, et semblent parfois ne pas le vouloir, privant parfois la délibération politique d’un apport technique indispensable.

Le problème central de notre système démocratique est le délitement de la délibération politique, qui est de plus en plus mauvaise, quand elle existe encore. Pour les auteurs, une bonne délibération est celle où tous les acteurs concernés sont autour de la table, et que chacun y tient son rôle. Aux citoyens et aux différentes associations de donner leurs revendications (qui sont souvent contradictoires), aux fonctionnaires d’instruire les réponses techniquement possibles, et aux élus de trouver un compromis acceptable pour le plus grand nombre, y compris en tranchant entre des options irréconciliables, si nécessaire.

Ils dessinent ainsi un idéal démocratique qui n’est pas un grand soir, mais une remise en ordre de ce qui existe déjà, et qui fonctionne de manière de plus en plus imparfaite. Même pas besoin de changer les institutions, juste de modifier des pratiques, et surtout, que chacun s’investisse véritablement dans la chose commune.