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L’épineux débat sur la fin de vie

La réforme des retraites a peut-être un peu occulté le fait que d’autres débats sont en cours, et pourraient déboucher prochainement sur un texte de loi. C’est le cas par exemple de la question de la fin de vie. Un débat s’est ouvert en commentaire, sous le précédent billet, et me donne l’occasion et le prétexte pour aborder cette question sensible.

Disons-le d’emblée, je suis hostile aux évolutions qui semblent être envisagées sur ce sujet de la fin de vie. Un cadre existe déjà, offrant des possibilités pour traiter, au cas par cas, les situations qui se présentent, sans avoir à ouvrir la boite de pandore de la levée de l’interdit anthropologique de donner la mort.

L’enjeu majeur du débat est en effet anthropologique, avec ce franchissement d’un palier, qui semble très problématique. La règle est claire « tu ne tueras point » et créer des exceptions ne peut que l’affaiblir, en la relativisant. Elle est pourtant une base absolument nécessaire de la vie en société.

Le premier sujet est de savoir si la personne qui va être tuée est consciente de ce qui va lui arriver, et réellement consentante ? On voit bien que la principale « clientèle » de ce texte, ce sont les personnes en fin de vie (quel que soit leur âge) pour qui l’issue fatale est irrémédiable, et est l’affaire de quelques semaines, voire de quelques mois. Parmi ces gens, il y en a un bon nombre qui n’ont plus toute leur tête, voire ne sont plus conscientes et en état d’exprimer le moindre consentement. Qui décide à leur place ? Et même si elles sont en situation de s’exprimer, ce sont souvent des personnes vulnérables. Qu’est-ce qui garantit qu’elles n’ont pas subi de pressions, pour accélérer un peu la date du départ (et donc de l’ouverture de la succession) ? Il y aura des dérapages, nécessairement…

Le deuxième sujet est de savoir où va être fixée la nouvelle limite. A partir du moment où les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites. Si on autorise la possibilité de donner la mort par suicide assisté, jusqu’où ira-t-on ? Quid des personnes handicapées qui ne sont pas en fin de vie ? Si on fait sauter une borne, il est absolument nécessaire, d’en mettre une autre immédiatement, dans le même mouvement. Anthropologiquement, il faut des limites et des interdits. Cette future loi ne peut donc que reculer une limite, déplacer une borne, mais certainement pas la supprimer. Or, ce sujet me semble très absent du débat.

Les raisons avancées pour proposer cette évolution me dérangent également. La principale association qui milite dans ce sens indique clairement les choses dans sa dénomination même : « Association pour le droit de mourir dans la dignité ». En résumé, mieux vaut partir que de vivre diminué, voire comme un légume. Derrière cette position, se dessine une conception de la vie (que je récuse) où certaines vies ne vaudrait pas le coup (ou le coût…) d’être vécues. On conditionne donc le droit de vivre au regard, très contingent et personnel, portée sur la situation d’une personne, par elle-même, mais aussi par d’autres. On en revient d’ailleurs à la question de savoir qui pose le « diagnostic » de dignité, qui conditionne l’ouverture de la possibilité de se faire suicider.

Cette vision portée par l’ADMD m’apparait profondément narcissique, car c’est l’expression du regard de gens en bonne santé, sur d’autres en moins bonne santé. Ils se disent « je ne veux pas devenir comme ça » donc il me faut une possibilité pour qu’on me fasse partir avant la déchéance. C’est donc au nom de ce narcissisme qu’on bouscule un tabou anthropologique très fort, et qu’on prend le risque de fragiliser encore davantage les plus vulnérables. Cela m’apparait bien léger, si ce n’est totalement irresponsable, comme justification.

L’autre argument avancé, celui de la souffrance, est très proche : partir pour ne plus souffrir physiquement. Cela fait un peu fi des progrès de la science, où la prise en charge de la douleur permet de gérer 98% des cas. Reste effectivement les quelques cas où la médecine ne peut rien, mais cela ne saurait justifier de lever un tabou.

Enfin, un autre point qui m’importe personnellement, est celui du sens de la vie et de la dignité de la personne. Chaque situation est différente, et gérer une fin de vie, c’est avant tout accompagner la personne, parfois en allant à la limite, mais sans transgresser le tabou. Oui, au cas par cas, avec des mécanismes de régulation, on peut être amené à accélérer un peu un processus. C’est ce que permet l’actuelle loi « Claeys-Leonetti ». L’essentiel n’est pas dans le biologique, mais dans le social. Mourir dans la dignité, c’est mourir entouré, en étant encore considéré comme une personne à part entière, pleinement membre de la société.

Vouloir faire partir un peu prématurément les vieux et les malades, c’est s’en débarrasser pour ne pas avoir à s’en occuper. Parce que cela coûte cher. Ne nous voilons pas la face, ça ne sera jamais dit, mais c’est en filigrane. C’est aussi parce que nous, personnes en bonne santé, estimons avoir mieux à faire qu’accompagner des personnes en fin de vie, dont le délabrement physiologique nous renvoie à notre propre finitude, que nous ne voulons pas voir.

Cette évolution que va nous proposer Emmanuel Macron, c’est juste un pas de plus dans le processus de relégation des plus fragiles hors de la société des bien-portants. Cette exclusion n’est pas ma conception de la société. Je ne peux donc pas souscrire à la légalisation du droit de donner la mort.

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Le décrochage de la vie politique

Ce deuxième quinquennat d’Emmanuel Macron continue à m’intriguer, voire à me sidérer, avec une méthode déroutante. Des concertations sont mises en place en pagaille, avec notamment des CNR dont il n’est rien sorti de concret jusqu’ici. Quand, enfin, quelque chose de précis est publié, il est torpillé dans la demi-journée, comme ce rapport de Jean Pisani-Ferry sur la transition écologique, abattu en vol par Bruno Le Maire, qui refuse les deux principales solutions mises en avant.

Pendant ce temps, le « débat » politique et parlementaire se noie dans des petites polémiques de cour de récréation, à coup d’échange de tweets accusateurs. Toute le cirque autour de la PPL du groupe Liot visant à abroger la réforme des retraites est assez pathétique et symptomatique de ce qui arrive, quand un gouvernement passe en force sans en avoir vraiment les moyens. A l’absence de vision, s’ajoute l’enlisement politique, qui ne peut générer que de l’aigreur, de part et d’autre.

Quand, de temps à autre, des propositions un peu construites émergent, elles se retrouvent embourbées par l’absence de majorité absolue du gouvernement, qui préfère tout bloquer, plutôt que d’accepter de co-construire avec les oppositions. L’exemple du projet de loi Immigration en est un exemple, où le gouvernement et LR jouent au chat et à la souris, dans une succession de petits coups tactiques, où on se demande vraiment si l’envie d’aboutir à un compromis est vraiment là.

Toute la machinerie politique et parlementaire est en train de se consumer, dépensant beaucoup d’énergie, pour peu de résultats. Les députés sont cramés, il n’y a plus la moindre inspiration politique au gouvernement, où on ne fait plus qu’enquiller les projets technocratiques, en tenant de gérer au mieux (sans forcément y arriver).

Ce sentiment d’un enlisement mortifère me pèse, car plus ça va, moins j’ai envie de suivre la vie politique. Et c’est problématique, car je pense ne pas être le seul à décrocher progressivement, entre lassitude et écœurement. Cela est grave pour la vie publique, car ce détachement nuit à la crédibilité des institutions, affaiblit le contrôle citoyen, et finalement, laisse la voie ouverte aux troisièmes couteaux. Le seul point positif, c’est qu’on légifère moins, et que pour l’instant, ça ne semble pas gêner le fonctionnement du pays.