Catégories
Non classé

Les Français se sont laissés sortir de la politique

La France vit un moment de crise politique. Quelque soit le résultat des élections législatives, ça ne sera pas glorieux. Au delà de savoir qui va effectivement gouverner, il faut constater que notre système démocratique a un problème, celui de l’absence du citoyen dans son fonctionnement au quotidien, en particulier dans les partis politiques.

Quand on compare la situation des partis français, avec certains de leurs homologues (allemands notamment), on constate qu’en France, nos partis sont largement hors sol. Il y a très peu de militants, qui sont surtout des gens exerçant un mandat, ou aspirant à en exercer un. Ce n’est pas nouveau, mais on est arrivé à un niveau dramatiquement bas.

C’est le résultat d’un choix politique, finalement assez consensuel, de sortir les citoyens des partis, et donc des fonctions démocratiques qu’ils exercent : élaboration des programmes et sélection des candidats. La classe politique trouve cela très confortable, de faire ses petits affaires sans avoir de comptes à rendre à une masse de militants, et tant que les électeurs votent pour eux, aucune raison de changer cela. Mais paradoxalement, les citoyens trouvent aussi cela très confortable, car cela permet de ne pas avoir à travailler, s’investir, tout en pouvant gueuler de temps à autre et virer tout le monde à grand coups de déroutes électorales. Le tout dans le bruit, la fureur et les postures, conformément à notre culture politique.

Résultat des courses, le travail n’est pas fait, ou alors a minima. Les programmes des partis politiques sont indigents (et je reste gentil) et sont rédigés par au maximum une vingtaine de personnes dans chaque parti, qui s’y prennent parfois à la dernière minute. Ils restent superficiels et font la part belle à la démagogie. Le cru 2024 est particulièrement significatif de cette dérive. Pareil pour la sélection des candidats, qui relève de la cooptation entre amis, à peine équilibrée (parfois) par la nécessité d’avoir des gens présentables et un tantinet compétents techniquement. Le tout est décidé en conclave, sans que les militants n’aient absolument pas leur mot à dire. Rien de surprenant dans les partis populistes, comme le RN ou LFI, qui assument d’être des autocraties centrées sur la personne du chef, mais pour les autres, c’est inquiétant.

La faute en revient aussi aux citoyens, qui se sont désinvestis de la vie politique et militante. Il y a encore 40 ans, il y avait des militants politiques en nombre important. Ils auraient très bien pu refuser de se faire spolier de leur pouvoir, et imposer des règles de fonctionnement démocratique au sein des partis. Si on se retrouve avec une telle dérive, c’est parce qu’un acteur essentiel, les militants, n’a pas fait son boulot de contrôle, voire de contre-pouvoir. En Allemagne, les accords de coalition, quand ils sont conclus, sont soumis à un vote de ratification des militants, qui n’est pas qu’une simple formalité à l’issue quasi certaine.

En politique, comme pour tout, on a ce qu’on se donne. Quand les citoyens abandonnent le terrain et laissent les partis entre les mains d’apparatchiks fainéants et technocratiques, ils peuvent difficilement venir pleurer ensuite, que rien ne va, et exprimer dégoût et rejet. Si on veut sortir de cette crise politique, il va falloir que les citoyens se réinvestissent dans les structures militantes, et acceptent de bosser et de faire de la politique.

20 réponses sur « Les Français se sont laissés sortir de la politique »

Alors, certes, mais cela commence par ne pas criminaliser l’action politique et syndicale des citoyens.
Autant dire aller à rebours des tendances de ces 20 dernières années.

Des gens se sont enthousiasmés pour le grand débat de Macron, pour voir toutes leurs doléances partir à la benne.

D’autre part, les gens ont voté en masse pour les primaires ouvertes des partis. Le résultat fut un désastre, avec des candidats trahissant leur base (Hollande), abandonnés par leur parti (Hamon) ou se révélant escrocs (Fillon) ou très mauvais candidats (les écologistes).
Aucun vainqueur d’une primaire ouverte n’a atteint le second tour des présidentielles depuis Hollande en 2012, et tout le monde l’a bien compris.
Ce qui fait gagner une présidentielle, c’est d’avoir une écurie uniquement dédiée à sa personne, soutenue par de gros moyens financiers et médiatiques, pas l’engagement citoyen.

Une primaire ouverte avec que des canards boiteux, quel projet politique enthousiasmant en effet.

La primaire ouverte est l’ultime esquive pour faire fonctionner le système, sans faire entrer les citoyens dans les véritables instances de pouvoirs militantes. C’est une forme de démission du parti politique, dont le rôle est justement de sélectionner le candidat à la présidentielle en interne, et certainement pas par un scrutin ouvert.

C’est la question à 1000 (anciens) francs : c’est un problème d’offre ou de demande ?

Les Français se sont détournés de la politique et des partis par confort et flemme, ou parce que le fonctionnement démocratique a toujours cherché à tenir leur participation pour négligeable (grosse oeillade au référendum européen de 2005) ?

Le parallèle avec l’Allemagne est intéressant justement, sachant que l’Allemagne est un régime parlementaire qui favorise la coopération. Pas étonnant d’ailleurs que le taux de syndicalisme y soit aussi beaucoup plus élevé qu’en France (même si divisé par deux en 40 ans hélas).

Je ne suis pas sûr que les Français se soient réellement désinvestis de la vie politique. Par contre ils ont sans doute réinvesti un champ dans lequel on ne conteste pas leur légitimité et ou ils ont un sentiment d’efficacité : la contestation populaire. Tu faisais toi-même le constat il y a 2-3 billets de la vitalité démocratique, qui est au contraire pour moi le signe d’une demande et un désir de vie politique. A titre personnel je pense juste que nous avons une classe politique absolument pas à la hauteur, et qu’on a lâché l’affaire : le nombre d’initiatives qui ont cherché, peut-être de bonne foi, à rénover la vie politique, et qui ont échoué ces 20 dernières années, c’est désespérant.

Maintenant comment améliorer l’offre ? La voie militante est une piste comme tu l’évoques. La voie institutionnelle, autrement dit changer les règles du jeu et forcer à un fonctionnement qui implique plus le peuple, en est une autre. Je pense que la première voie est beaucoup plus incertaine et chronophage, et nous vivons dans une société, malheureusement, ou le temps « hors travail » se réduit et est de plus en plus en tension avec d’autres besoins/désirs. C’est aussi une donnée importante.

Donnons aux Français les outils démocratiques pour réinvestir la vie politique, le temps créera la culture…

Oui, l’action syndicale et militante de contestation reste investie, car elle correspond mieux à l’habitus et à la culture politique française. C’est utile pour établir des rapports de force, mais cela reste stérile, s’il n’y a pas, par ailleurs, des propositions « raisonnables », c’est à dire réellement applicables, à pousser. L’un ne va pas sans l’autre.

L’exemple du traité de 2005 est un mauvais exemple: les Français ne voulaient pas du Traité constitutionnel, ils ont voté non, ils ne l’ont pas eu. Leur volonté a été respectée.

En 2005, les français ont dit non à un approfondissement de la construction européenne. Ils l’ont eu quand même. Et c’est une anomalie démocratique majeure.

Et en 2007, ils ont été encore plus nombreux que ceux qui avaient voté non en 2005 pour voter pour des candidats qui avaient cet approfondissement de la construction européenne dans leur programme.
Et il y avait suffisamment de candidats qui n’en voulaient pas pour que les électeurs puissent trouver chaussures à leurs pieds. Aucun de ces candidats n’est arrivé au second tour. Voire ils ont été laminés au premier.
Encore heureux que quand on réalise qu’une décision est mauvaise on puisse revenir en arrière et changer d’avis.

Sans parler du fait que le non de 2005 était en grande partie du à un rejet de l’exécutif.

Chat échaudé craint l’eau tiède : Emmanuel Macron a multiplié les « bidules » démocratiques sans jamais en avoir tiré les conséquences, du Grand Débat aux différentes Conventions Citoyennes.

Faire « semblant » de jouer à la démocratie participative avec ce cynisme démesuré a été dévastateur, à mon humble avis, au sein des esprits. Pourquoi croire en la délibération citoyenne (et donc, inclus, le vote et la démocratie représentative) quand on nous a montré par l’exemple à de multiples reprises dans les 10 dernières années qu’au final, ce sont toujours les mêmes idées qui gagnent ?

C’est une question rhétorique, mais je me pose sincèrement la question de savoir comment on pourrait prouver aux gens que la politique peut sérieusement changer leur quotidien, ce qui leur prouverait l’intérêt de l’engagement citoyen et dans la politique. J’ai hélas peur que certains de mes concitoyens soient plus attirés par un certain type de changement qu’un autre, et ça hante mes nuits depuis le soir du 9 juin.

Le sujet n’est pas de refaire de la « démocratie participative » dont je pense le plus grand mal, mais de réintroduire les citoyens dans les vrais lieux de pouvoir, à commencer par les partis politiques.

Nous avons eu l’honneur de conceptualiser, depuis Montesquieu, que les institutions doivent être adaptées aux mœurs de chaque peuple. Nous ne sommes ni Germains ni Ibères. En Perse, il règne un affreux despotisme. Le système actuel est très adapté à nos habitudes gauloises, comme vous le soulignez d’ailleurs.

Bonjour. Je ne suis pas totalement d’accord avec votre analyse. les français s’investissent dans la politique. Seulement ils ne s’y investissent plus à travers les structures traditionnelles. Il suffit pour cela de voir le nombre de mouvements sociaux importants qui se sont déclenchés, sans les partis ni les syndicats. Celui des agriculteurs en est d’ailleurs le dernier exemple.

Le fait que vous fassiez un parallèle avec l’investissement politique d’il y a 40 ans est (volontairement?) intéressant. Car justement, il y a 40 ans c’est quasiment la date exacte de la « trahison des élites » avec le tournant de la rigueur impulsé par Mitterrand et le PS. A partir de cette date, quelle que soit l’étiquette politique accolée aux « partis de gouvernement », tous ont prouvé qu’il n’y avait aucune différence fondamentale entre « la gauche » (PS) et « la droite » (LR). Absence de différence largement démontrée avec François Hollande. Puisque je rappelle que les lois travail ont été initiées sous son mandat, l’allongement de l’âge de la retraite aussi, etc. Autrement dit Macron a simplement prolongé la politique de Hollande.

Un autre problème pour « s’investir à l’Allemande », c’est la culture politique de notre pays. En Allemagne il y a une culture du compromis. Donc un militant de la CDU a le droit de penser que certaines idées du SPD sont intelligentes (et inversement). Alors qu’en France, être militant dans un parti politique, c’est considéré que nous seuls avons la Vérité Divine Dévoilée, et que les autres sont donc des gros cons. (Soit dit en passant c’est le parfait exemple de la position de Mme Weil, la philosophe donc, envers les partis: https://www.youtube.com/watch?v=Pg0qv0kIaKo). Au point (petite anecdote personnelle) qu’en 1995, lors d’une discussion avec une militante PS je suis passé en une phrase, d’un plus génial des hommes, parce que j’étais heureux du fait que Jospin était au 2ième tour des présidentielles, au plus parfait des salauds, parce que j’avais osé dire que vouloir interdire le FN était une connerie. Et que si on l’interdisait « au nom de l’Histoire », je voyais mal comment on pourrait ne pas interdire les autres partis. En effet, le PCF trainait son soutien aux crimes de Staline. L’ancêtre des LR était mouillé jusqu’au cou (avec le PS d’ailleurs) dans la guerre d’Algérie. Le parti avait d’ailleurs un grand nombre d’anciens membres d’organisation d’extrême-droite (Madelin pour le GUD, Pasqua pour le SAC, ….).

Ce que nous observons donc aujourd’hui, avec la montée du RN, et ses propos anti-système, ce sont donc les derniers soubresauts d’un système politique qui n’est plus du tout en phase ni avec la vision politique des français, ni avec ses aspirations. Malheureusement, il faudra probablement que ce parti arrive au pouvoir et finisse de détruire la société française, pour que « les hommes retrouvent l’amour et la fraternité ». Et qu’on soit capable de remettre en place de nouveaux partis, avec des visions politiques, et des modes de fonctionnement, capable d’attirer à nouveau à eux les français.

Quelqu’un chose me dit que vous êtes blanc et pas dans une catégorie cible de l’extrême-droite, pour vous permettre ce genre d’élucubration.
L’extrême droite, on a déjà essayé il y a 80 ans, et beaucoup trop n’y ont pas survécu.

Vous croyez vraiment que le RN de 2024 a le même programme que le PPF de 1936 ?

Je vois que vous êtes blanc, non musulman, homosexuel ou transgenre, n’avez aucune activité syndicale ou associative progressiste, et ne vous sentez aucunement menacé.
Tant mieux pour vous.
Les autres personnes dont je parle ont peur pour leur vie.
En 1936, on n’avait aucune idée jusqu’où pouvait aller l’extrême droite au pouvoir.
Aujourd’hui, on sait.
Et cette élection est une menace existentielle pour toutes les minorités de ce pays.

Comme dirait Bertrand Renard à l’époque des Chiffres et des Lettres, « il y avait plus simple » que votre proposition un poil eschatologique : élire la gauche dans 10 jours, faire de même en 2027. Car c’est de ce côté-ci de l’échiquier qu’un changement de régime est proposé.

Si on change les règles du jeu, on ne joue plus au même jeu.

La 6ème république amenée par une constituante me semble une idée compliquée, longue, aléatoire (cf Chili) et nécessitant un président de gauche.
En attendant, je serais (un peu) rassuré par quelques changements constitutionnels, avec lesquels seraient d’accord la gauche, le Sénat et Macron, dans le but de préparer les institutions au choc d’une éventuelle arrivée au pouvoir du RN.

Orban est toujours au pouvoir, le Pis l’est resté longtemps…

Pitié, pas ENCORE la Constitution !
En quoi y toucher tous les 4 matins est une chose banale? A force de servir de gadget de communication, la Constitution est atteinte de la maladie de Parkinson!

Pouvez-vous me citer une seule modification constitutionnelle qui ait réellement changé les choses?

C’est vraiment intéressant mais – même si ce n’est peut-être pas le moment de se la poser – demeure la question « pourquoi » ? Qu’ont gagné les militants à ne plus militer ? Ou notre système finalement peu « participatif » à finalement déteint sur le fonctionnement partisan ?

Perso, j’ai quitté le PS en 2016 parce que justement, la volonté des militants était contrecarrée par une minorité de frondeurs, qui ont gâché le mandat de Hollande. On ne m’y reprendra plus.

Les commentaires sont fermés.