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Fabien Roussel a-t-il occupé un emploi fictif ?

Médiapart vient de publier une série d’articles accusant le candidat communiste à la présidentielle, Fabien Roussel, d’avoir occupé un emploi fictif, comme collaborateur parlementaire de Jean-Jacques Candelier, député PCF du Nord entre 2008 et 2014.

A cette époque, Fabien Roussel est secrétaire fédéral du PCF dans le département du Nord. Il exerce donc une activité réelle et documentée, dans le secteur politique. Rien à voir, donc, avec Pénélope Fillon, qui n’exerçait pas la moindre activité tout court.

Le cœur du problème, ici, est l’appréciation du caractère « rattachable à l’activité parlementaire » du travail effectué par Fabien Roussel. On est sur un terrain complexe, où les appréciations ont évolué ces 20 dernières années.

Le rôle d’un député est double, à la fois « personnalité faisant de la politique » et « technicien de la législation et de l’évaluation de l’action du gouvernement ». Selon la définition, large ou restreinte, que l’on retient, le champ de l’activité d’un assistant parlementaire n’est pas le même.

Si on retient la définition large, Fabien Roussel est globalement dans les clous. Patron départemental du parti, surtout au PCF, c’est un poste stratégique, important à contrôler pour les parlementaires membres de ce même parti. En effet, cela permet d’avoir des réseaux, qui rayonnent au delà de la circonscription. Quand on est une personnalité politique ambitieuse, on cherche à se déployer au delà de son seul territoire d’élection, et avoir une influence, au moins départementale, si ce n’est nationale. Avoir une personne dédiée à ce volet spécifique peut alors se justifier.

Dans une mouvance politique où le parti pèse beaucoup (notamment pour obtenir l’investiture aux élections), avoir avec soi le patron local permet de sécuriser sa propre place, et se mettre à l’abri d’un vote défavorable des militants, au moment de la remise en jeu des mandats. Ce n’est pas un hasard si, dans certains partis, les postes à responsabilité au niveau départemental (président ou secrétaire départemental) sont occupés par les parlementaires. Un partie des tâches techniques sont alors effectuées par les collaborateurs du parlementaire en question, sans que personne, au sein du parti, voire au delà, ne trouve cela incongru, tant que l’action du collaborateur est clairement perçue comme étant « au bénéfice de son parlementaire ».

Mais il se trouve que la conception du rôle du parlementaire a progressivement évolué, vers une vision plus restrictive, celle du parlementaire « technicien de la loi », concentré sur ce qui se passe à Paris. Dans cette conception, il faut que les assistants parlementaires en circonscription soient cantonnés à la permanence et dévolus à des tâches comme la rédaction de courriers aux administrations, la réception d’électeurs (pour une finalité, le piston, qui n’est pas vraiment dans la liste des tâches d’un parlementaire) et la rédaction d’amendements ou de questions écrites. Dans ce cadre là (celui que retient Médiapart), la situation de Fabien Roussel est beaucoup plus bancale.

Cette « dépolitisation » du mandat parlementaire s’observe depuis une bonne dizaine d’années, avec des étapes législatives qui marquent le basculement, comme l’interdiction du cumul des mandats. Cette loi, en spécialisant le parlementaire sur l’aspect national du mandat, contribue à l’isoler du tissu politique local. Les parlementaires, anciennement cumulards, et qui sont restés au Parlement après 2017 l’ont fortement ressenti, et l’ont souvent mal vécu, au point pour certain, de revenir à la politique locale. Ils ne sont plus invités aux manifestations locales et aux cérémonies officielles, ou alors en mode « cinquième roue du carrosse », prenant la parole en dernier, quand on la leur donne. Les lois sur la Transparence et la déontologie (en 2013 puis 2017) ont eu également un rôle, en apportant des précisions aux règles relatives à l’exercice concret du mandat, appuyant clairement la vision restrictive.

Sentant la montée en puissance de cette évolution, Jean-Jacques Candelier décide en 2014, de ne plus salarier Fabien Roussel comme assistant parlementaire. Il est conscient que cette pratique, ancienne et jusque là « normale », est de moins en moins bien acceptée, et que ça pourrait lui valoir des ennuis. Son flair ne le trompe pas, des actions en justices étant engagées en 2017 contre le Modem ou encore le FN, pour des faits similaires (mais dans proportions quasi industrielles). C’est cela qu’il exprime dans la conversation privée diffusée par Médiapart, datant de 2018, se disant qu’il a eu le nez creux, et s’est ainsi évité des ennuis.

L’emploi de Fabien Roussel n’était donc pas fictif dans son esprit, car il remplissait bien un rôle d’assistant parlementaire, en « tenant » et animant le parti local, pour le compte et le bénéfice de son député. Un raisonnement qui pouvait encore être majoritaire en 2012, qui l’est beaucoup moins en 2022. Les accusations de Médiapart, ont donc une logique compréhensible et une cohérence par rapport à une certaine vision du mandat parlementaire, technique et dépolitisé.

Une réponse sur « Fabien Roussel a-t-il occupé un emploi fictif ? »

En plus de la suppression du cumul des mandats, la fin de la réserve parlementaire a aussi marginalisé les députés dans la vie politique locale. Cette évolution vers la légistique est dangereuse mais bon…

Après, même si on avait gardé le cumul des mandats, on a recruté des parlementaires EM en leur disant spécifiquement de bosser à Paris en semaine et de se reposer le weekend. Certains anciens faisaient le contraire, bosser en circo du vendredi au lundi et dormir à Paris (ou faire les mots croisés en séance) du mardi au jeudi. Et on n’a plus assez d’élections locales pouvant servir de pseudo midterms: les néodéputés gaullistes de 1958 avaient les cantonales et les municipales en 1959, pour les macronistes de 2017 c’était pas avant 3 ans (2020).

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