Cela fait maintenant pas loin d’un an que notre pays est en crise, du fait de la pandémie. Suffisamment longtemps pour pouvoir commencer à tirer des bilans. En effet, une crise est un formidable révélateur, en ce qu’elle accentue des tendances (positives ou négatives) et qu’elle pousse beaucoup de dispositifs et d’habitudes à leurs limites, révélant au grand jour des travers jusqu’ici un peu inaperçus. Il est plus difficile, aujourd’hui, de se voiler la face sur le déclin de la France.
Les sujets sur lesquels des bilans sont à faire sont très nombreux et variés, et je ne suis pas en capacité de tous les faire. Je voudrais toutefois m’arrêter sur quelques uns d’entre eux, et esquisser des pistes de réflexions et des attentes.
La pandémie a été assez terrible pour le système étatique français. Si l’hôpital public a relativement bien tenu (merci aux soignants), c’est un désastre pour l’administration de la Santé, à savoir le ministère et son bras armé sur les territoires, les ARS. Toutes les polémiques qui s’enchainent, du manque de masques en mars 2020, à la lenteur du démarrage de la vaccination en janvier 2021, sont largement imputables à des dysfonctionnements de cette haute administration. La palme revient sans conteste au directeur général de l’ARS du grand Est, qui en avril 2020, en pleine crise, confirme un plan de suppression de lits (prévu de longue date) à l’hôpital de Nancy, qui était en saturation complète au même moment.
Ce fut aussi l’occasion de voir à quel point les politiques, notamment le ministre de la Santé, sont complètement à la remorque de leur administration, incapables de sortir des fiches et des éléments de langage qui leur sont donnés. J’étais triste de voir ce pauvre Olivier Véran, ramer complètement dans sa communication et se prendre à chaque fois, en pleine figure, les questions gênantes et l’incapacité de son administration à agir vite et bien. Nous avons eu un témoignage vivant de l’impuissance des élus face aux administrations, et donc de leur utilité…
Malheureusement, ce problème est systémique et largement transposable à d’autres administrations, sur d’autres sujets. La stupéfiante pratique des certificats de sortie que se donnent les français à eux mêmes, est juste kafkaïenne. Elle témoigne d’un manque de confiance de l’administration dans les citoyens, et d’un besoin maladif de pouvoir contrôler et sanctionner. En respectant globalement ce dispositif, les Français ont fait preuve, soit d’une grande responsabilité devant l’ampleur de la crise, soit d’une acceptation, inquiétante, de cette infantilisation humiliante. Là encore, il va falloir revenir sur cela, et se poser des questions sur le rapport de l’administration aux citoyens, et inversement, des citoyens aux injonctions qui leurs sont données par les fonctionnaires d’État.
Autre sujet, totalement différent, ce qu’a révélé la mise en télétravail massive, forcée et brutale, des français. Tout le monde n’était pas prêt, tant sur les moyens matériels que sur les méthodes de management. Cette période a permis de voir que le management « à la petit chef » qui surveille tout et micro-manage, si répandue en France, n’est en rien gage de productivité. Bien au contraire même, et bien des entreprises ont continué à fonctionner sans trop de mal, une fois les premières semaines passées.
On a ainsi pu se rendre compte des tâches et pratiques réellement indispensables. Nombre de réunions, se sont révélées inutiles, ou ont pu être sérieusement raccourcies, pour un résultat équivalent. Beaucoup, voire la quasi totalité des travailleurs, ont bien mieux optimisé leur temps. Combien, pendant des réunions en visioconférence, ont fait autre chose de plus utile, en tendant vaguement une oreille pour savoir ce qu’il se disait ? La période a également permis de mesurer à quel point il est indispensable d’avoir des limites et des équilibres entre vie professionnelle et professionnelle. On a également compris qu’il est nécessaire d’avoir des moments où tout le monde se retrouve, pour échanger, avoir une vie sociale d’entreprise. Brainstormer ou créer un collectif, ça ne se fait pas en visioconférence. Cela prendra du temps, mais nous avons une matière très riche pour repenser notre rapport au management, à l’organisation du travail, voire même notre rapport au travail tout court.
L’année 2020 a laissé du temps à beaucoup pour faire un bilan de leur vie, et réfléchir à une éventuelle réorientation, quand ce n’est pas un changement radical. On commence à voir quelques effets, et c’est sans doute loin d’être fini. Je pense que d’importants glissements sociétaux sont à attendre dans les années qui viennent, car toutes les leçons ne sont pas encore tirées, toutes les réflexions sont loin d’être cristallisées, et les mutations sont forcément lentes. On ne change pas de travail, de lieu de résidence, et de mode de vie sur un claquement de doigt.
Même si la période est difficile et anxiogène, sur le moment, elle pourrait être profondément bénéfique à long terme, si nous acceptons de voir les problèmes qui sont remontés à la surface, et de les traiter. C’est cela que j’attends du débat public, des médias, de la classe politique, dans les années à venir. De toute manière, le mouvement est enclenché, nous n’avons plus le choix de décider de changer ou pas. Nous pouvons juste le faire bien, ou nous planter une fois de plus.
6 réponses sur « La crise peut aussi être bénéfique »
« le mouvement est enclenché, nous n’avons plus le choix de décider de changer ou pas. »
Enfin !
Vu la formidable capacité de notre classe dirigeante à enfouir la tête dans le sable pour ne pas tirer les leçons des crises, je suis plus que pessimiste.
Je citerais simplement un collègue médecin, à risque de décéder du Covid : « mon appel au secours sur Facebook a été plus efficace que le gouvernement pour la fourniture des FFP2.
Merci à tous mes contacts d’avoir répondu.
Honte au gouvernement et autres élus pour leur immobilisme et incompétence. »
Tout est dit…
Vu notre classe dirigeante, je suis plus que pessimiste.
Je citerais simplement un collègue médecin, à risque de décéder du Covid, sur un statut du 20 mars : « mon appel au secours sur Facebook a été plus efficace que le gouvernement pour la fourniture des FFP2.
Merci à tous mes contacts d’avoir répondu.
Honte au gouvernement et autres élus pour leur immobilisme et incompétence. »
Tout est dit…
Bonjour. Voyons voir ce que cela donne en terme « d’évolution de l’administration ». Pour la vaccination, on ressort un « collectif citoyens ». Le temps de le mettre en place, espérons que la vaccination aura fait un grand pas en avant. Ce qui le rendra caduque. Quand à la « gestion de la crise », j’ai cru comprendre que nous allions avoir un nouveau machin qui serait en charge des crises. Et qui se rajoutera aux 200 autres machins qui se sont allègrement tirés dans les pattes durant cette période. Rien de nouveau sous le soleil par conséquent. Du moins au niveau étatique.
Oui, je rejoins les commentaires précédents. Je pense qu’on est pas suffisamment au bout du gouffre pour avoir réellement envie de changer. Dans ce pays, trop de gens tirent leur subsistance directement ou indirectement de l’état et des organismes sociaux. Seule une faillite de l’état et un facteur extérieur amènera le changement. Les politiciens de tout bord sont incapables d’avoir une vision stratégique de sortie et encore moins de l’expliquer. Sur ce, bon courage à tous pour 2021
Merci pour vos réflexions rafraîchissantes et intéressantes, qui changent des lieux communs insipides qu’on voit trop souvent ailleurs.
C’est toujours un plaisir de vous lire.
Meilleurs voeux pour cette nouvelle année.