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La niche était presque parfaite

Le 8 octobre 2020 a eu lieu la première journée d’initiative parlementaire du groupe Ecologie, Démocratie, Solidarité, composé d’anciens députés LREM. L’opération a été très bien préparée, et la niche a été exploitée à fond, avec un sens politique que j’ai rarement vu à l’Assemblée sous cette législature. Cela fait plaisir de voir que des députés élus en 2017, peuvent arriver à faire de la politique. Un petit bémol, il aurait peut-être été judicieux de ne pas en mettre en premier un texte polémique (sur l’IVG), qui a complètement phagocyté la journée, au détriment des autres textes. Une niche, c’est une journée de séance, et c’est court !

Le groupe a initialement déposé sept propositions. A chaque fois, sur des thèmes hautement politiques, et bien marqués politiquement à gauche. Un groupe EELV (ou un groupe PS avec un peu d’audace) aurait pu choisir les mêmes textes : renforcement du droit à l’IGV, restriction de la publicité, parrainage citoyen des réfugiés, bien-être animal, moratoire sur l’installation des entrepôts d’Amazon, extension du congé parental, droit de vote à 16 ans. Le champ des « publics » touchés est large, avec des textes faciles à porter dans les médias, car aisément compréhensibles, à la fois sur le sujet visé, et sur les buts. La première utilité d’une niche parlementaire est de pouvoir mettre des sujets à l’ordre du jour, et de créer le débat, de préférence au delà de l’hémicycle. Rien que sur cet aspect, la niche du groupe EDS est un succès.

Avec trois textes, ils ont joué tous les registres possibles pour une niche parlementaire. Au sein du groupe LREM, deux clans se disputaient le sujet du bien-être animal, chacun ayant déposé sa PPL et faisait son lobbying auprès du gouvernement pour la faire inscrire avant l’autre. C’est finalement Cédric Villani qui les a grillés. Le débat, qui aurait eu lieu, d’une manière ou d’un autre, s’est finalement fait sur la base de son texte, frustrant ainsi le groupe majoritaire.

Le gouvernement a donc été obligé, en catastrophe, de faire des annonces en septembre, sur le bien-être animal, et sur l’extension du congé parental, afin de ne pas laisser tout le bénéfice politique au groupe EDS. Au moins, on sait que ces deux propositions de loi ont des chances de poursuivre leur chemin parlementaire.

Autre belle opération, la proposition de loi faisant passer le délai d’avortement de 12 à 14 semaines. Un sujet brulant, clivant et qui divise les français, donc médiatique. En proposant ce texte, le groupe EDS, qui est unanime sur la question, sait qu’il va fracturer la majorité, qui est « en même temps » de droite et de gauche. Ils vont également ennuyer le gouvernement en ouvrant un dossier brulant, alors que les débats de la loi bioéthique sont encore frais. Le ministre, sachant qu’il va être battu, s’est prononcé « ni pour, ni contre » en sachant que la proposition de loi n’a que très peu de chances (sinon aucune) d’arriver au bout du processus parlementaire d’ici 2022, car la navette va être longue.

Troisième beau coup, la reprise des propositions de la Convention citoyenne pour le Climat, sur la restriction de la publicité. Le gouvernement s’est engagé à tout reprendre « sans filtre », et bousculer le calendrier est un moyen, pour les oppositions, de mettre la pression, en forçant le gouvernement à s’exprimer et à dévoiler ses batteries. Un grand classique des niches parlementaires d’opposition. Même si le texte n’est finalement pas allé au bout (il a été retiré après le débat en commission), le débat médiatique a été lancé. Pareil pour la très démagogique proposition de moratoire sur les implantations d’entrepôts d’Amazon. Le texte ne tient pas juridiquement la route, mais il fait le buzz, car parfaitement taillé pour les médias. Lui aussi a été abandonné en cours de route, car il a rempli son rôle avant même le passage en séance publique.

C’est sur la gestion de la journée que le groupe a péché par inexpérience. En déposant sept textes, le groupe EDS savait qu’il était trop gourmand, et qu’il n’arriverait pas à tout passer en séance, pendant la journée qui leur est consacrée. Mais au moins, il y a eu un examen en commission, avec un rapport parlementaire sur chacune. Une fois cette étape passée, le groupe retire trois propositions, celles qui n’avaient aucune chance de passer, et qui n’étaient destinées qu’à faire le buzz, ou à poser des jalons pour l’avenir. Ne restent alors que quatre textes, ce qui est jouable. A condition de ne pas avoir, dans le lot, un sujet chaud bouillant. Comme l’IVG, par exemple…

L’erreur a été de placer le texte sur l’IVG en première position, sans mesurer à quel point l’opposition LR allait être vent debout. Vieux briscards des travées, les députés de droite ont fait durer les débats, y trouvant leur intérêt médiatique en se posant en opposants à l’IVG. Ils ont ainsi cramé la niche EDS, ne permettant pas d’examiner les autres textes prévus, alors même qu’ils avaient de très bonnes chances d’être adoptés.

Cette journée risque toutefois de laisser des traces au sein du groupe LREM. Les députés qui y sont restés ont vu que leurs 16 collègues, qui sont partis former leur propre structure, ont ainsi pu faire parler d’eux et de leurs sujets bien plus qu’ils ne peuvent le faire en restant dans le groupe majoritaire. En effet, les journées réservées au groupe majoritaire sont la plupart du temps trustées par le gouvernement, qui y place des propositions de lois qui sont des projets de loi déguisés. On y trouve aussi des textes techniques, ou des propositions gentillettes et absolument pas clivantes (comme la proposition de loi sur l’apprentissage des gestes qui sauvent et le statut du citoyen sauveteur).

Voir que c’est en quittant le groupe majoritaire qu’on peut enfin faire de la politique, et arriver à faire progresser ses idées, ça ne va pas aider le nouveau président, Christophe Castaner, à tenir ses troupes.